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Commémorations, reconnaissance par l’État français de sa responsabilité dans la mort d’Ali Boumendjel, panthéonisation de Gisèle Halimi… Dans son rapport remis à Emmanuel Macron, l’historien Benjamin Stora formule une trentaine de recommandations.

Près de soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, comment sortir de la paralysie mémorielle qui empoisonne la relation franco-algérienne ? L’historien Benjamin Stora a remis ce mercredi à Emmanuel Macron le rapport commandé en juillet par le chef de l’État. « Le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée », écrivait le président de la République dans la lettre mission adressée au spécialiste de l’histoire contemporaine. Six mois plus tard, voici les principales préconisations émises par Benjamin Stora dans son rapport.

Commémorations et lieux de mémoire

L’historien propose la mise en place d’une commission intitulée « Mémoires et vérité », chargée « d’impulser des initiatives communes entre France et l’Algérie sur les questions de mémoires ». Elle pourra ainsi organiser « des commémorations importantes », par exemple autour de la participation des Européens d’Algérie à la Seconde guerre mondiale, autour des harkis, ou encore autour de la date du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France.

Cette même commission pourra recueillir « la parole des témoins douloureusement frappés par cette guerre », poursuit Benjamin Stora. Il suggère également la construction à Amboise d’une stèle portant le portrait de l’émir Abdelkader, qui a lutté contre les forces françaises au XIXe siècle.

Autre proposition : transformer en lieux de mémoire les quatre camps d’internement situés sur le territoire français (Larzac, Saint-Maurice l’Ardoise, Thol et Vadenay), et où des milliers d’Algériens ont été retenus à partir de 1957. « Des plaques, apposées à proximité de ces camps, pourraient rappeler leur histoire. »

Transparence sur les assassinats et disparitions

Plus de deux ans après la reconnaissance par la France de la responsabilité de l’État dans la mort du mathématicien communiste Maurice Audin, l’historien préconise d’aller plus loin, en reconnaissant cette fois sa responsabilité dans l’assassinat de l’avocat algérien Ali Boumendjel. Torturé puis exécuté en 1957, sa mort avait été maquillée en suicide.

Benjamin Stora met également l’accent sur le travail de mémoire autour des disparus de la guerre d’Algérie, proposant la création d’un « guide des disparus », ainsi que l’identification des lieux où ont été inhumés les condamnés à mort exécutés pendant la guerre. Il appelle par ailleurs l’État français à financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans morts pour la France entre 1954 et 1962.

Recherche et programmes scolaires

Plusieurs propositions du rapport portent sur les travaux de recherche autour de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora recommandant de faciliter le travail des universitaires. Il suggère notamment la constitution d’un « premier fonds d’archives commun aux deux pays, librement accessible ».

Autre préconisation : accorder davantage de place, dans les programmes scolaires, à l’histoire de la France en Algérie. « À côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation -, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels) », peut-on lire.

Noms de rue et panthéonisation

Enfin, Benjamin Stora recommande de donner à certaines rues le nom « de Français particulièrement méritants, en particulier médecins, artistes, enseignants, issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France« . Il appuie également l’entrée au Panthéon de l’avocate et militante féministe Gisèle Halimi, « grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie », rappelle l’historien.

« D’autres chemins » que celui des excuses

Dans un autre chapitre de son rapport, Benjamin Stora évoque la question des excuses, réclamées par les autorités algériennes depuis plusieurs années. « Dans la lignée des discours présidentiels français précédents, ce geste symbolique peut être accompli par un nouveau discours. Mais est-ce que cela sera suffisant ? N’est il pas nécessaire d’emprunter d’autres chemins, de mettre en œuvre une autre méthode pour parvenir à la ‘réconciliation des mémoires’ ? », interroge-t-il. 

Même tonalité ce mercredi midi du côté de l’Élysée, qui a fait savoir qu’il n’y aura « ni repentance ni excuses », tout en envisageant des « actes symboliques ». Emmanuel Macron participera à trois journées de commémoration dans le cadre du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie en 1962 : la journée nationale des harkis le 25 septembre, la répression d’une manifestation d’Algériens le 17 octobre 1961 et les Accords d’Evian du 19 mars 1962.