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Dans une lettre adressée au président de la république, Victor Evase, étudiant en droit, déplore le sacrifice des moins de 30 ans sur l’autel des mesures anti-covid.

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Par Victor Evase (étudiant en droit)

Monsieur le Président,

Permettez-moi de commencer cette lettre par quelques mots de remerciement. Je ne peux qu’imaginer la responsabilité qu’est la votre aujourd’hui : celle de prendre des décisions difficiles dans un contexte de crise inédit. Les décisions doivent être prises rapidement, à base d’informations parfois incomplètes, et j’ai bien conscience que votre objectif se résume malheureusement à choisir le moins pire de deux maux.

Vous avez récemment déclaré que le problème de la France, est qu’elle était composée de « 66 millions de procureurs ». L’Insee ayant publié la semaine dernière les dernières données démographiques de la France, qui compte désormais 67 millions d’habitants, j’ai l’orgueilleux espoir de faire partie du million de rescapés qui pourra trouver grâce à vos yeux.

Je vous écris aujourd’hui car je voudrais vous faire entendre la voix de nombreux jeunes qui, comme moi, se sentent sacrifiés, oubliés. Les plateaux de BFMTV reçoivent à la pelle des médecins, tous plus savants les uns que les autres. Les politiques jouent des coudes pour se faire entendre dans le reste de temps d’antenne disponible. Et dans tout ce brouhaha, je ne peux que m’étonner de voir l’absence de jeunes de moins de 30 ans. Pourtant, les décisions qui sont prises aujourd’hui, par vous et votre gouvernement, nous concernent en premier et nous impacteront pour les 50 prochaines années au bas mot.

Les milliards pleuvent, la dette se creuse

Les semaines passent et se ressemblent. Les plans de soutien à des secteurs d’activité se succèdent : restauration, culture, sport, ski, tourisme, etc. l’économie est sous perfusion, et votre gouvernement s’en félicite. La politique du « quoiqu’il en coûte » est appliquée avec un zèle retrouvé qui avait fait défaut à nos hommes politiques ces 30 dernières années lorsqu’il aurait fallu mettre de l’ordre dans nos dépenses publiques pendant les temps de prospérité.

Je comprends tout à fait l’objectif de sauver des emplois, de préserver l’économie jusqu’au moment où la crise sanitaire sera passée. Mais à quel prix ?! 40, 60, 80, 100 milliards d’euros ? On perd le fil de l’argent public dépensé sans compter ces derniers mois. Ces chiffres délirants nous amènent à passer des niveaux historiques d’endettement. Le plafond de verre des 100 % de dette de PIB a volé en éclats, les 120 % n’étaient qu’une formalité, on se demande si on arrivera à 200 % d’ici la fin de l’année…

Comprenez-moi bien monsieur le Président, si je m’inquiète de ces dépenses, c’est qu’un jour c’est nous, les jeunes de ma génération, et nos enfants qui allons devoir tout rembourser. Et entre l’absence de vie sociale due aux couvre-feux, confinements, et fermetures des campus et des bars, cette facture future, nous la ressentons comme une double-peine…

Sauver des vies ?

La fermeture de pans entiers de l’économie, vous ne la faites pas de gaieté de coeur, c’est pour limiter la propagation du virus, l’encombrement dans les hôpitaux, et maximiser le nombre de vies sauvées. Les résultats des mesures vous donnent entièrement raison sur l’efficacité des confinements, couvre-feu, et fermetures administratives. La politique générale menée par le gouvernement est en ce sens réussie. Mais ma question est la suivante : ne nous trompons pas d’objectif ?

Comprenez le sens de mon propos : dans 99 % des cas, avoir le Covid-19 n’est pas grave pour l’individu. Ce n’est donc pas la propagation en soit du covid qui pose problème. Par ailleurs, l’âge médian des décès liés au covid est de 85 ans. Et dans 65 % des cas, ces décès sont associés à une comorbidité. Pour dire les choses crûment, ces personnes seraient malheureusement sans doute décédées 6 ou 12 mois plus tard.

Peut-on alors parler de « sauver une vie » dans ce cas ? La mort fait partie de la vie, et qu’elle vienne avec le covid ou avec le cancer, à 85 ans, elle me semble naturelle. C’est un débat philosophique qui mérite d’être ouvert et qui est pourtant aujourd’hui tabou. Nicolas Bedos avait reçu une volée de bois vert lorsqu’il avait essayé, via un tweet, de questionner le sens d’une vie confinée et la place de la mort dans notre société. C’est bien triste dans un pays qui se fait le chantre de la liberté d’expression lorsque Charlie Hebdo est attaqué, mais qui fait l’autruche quand ses citoyens questionnent les choix du gouvernement.

Le réel problème que pose le covid est qu’il met le système hospitalier sous pression extrême : les patients en réanimation occupent les lits sur une longue période, et le nombre de places en réanimation étant limité, les médecins ne veulent pas se retrouver dans une situation à choisir qui va en réanimation, qui n’y va pas, qui vit, qui meurt. C’est pour ça qu’ils incitent les politiques à continuer cette fuite en avant, cette gabegie du « quoi qu’il en coûte » : pour ne pas se retrouver en position de responsabilité. Pourtant nous sommes en guerre. Ce n’est pas moi, mais vous qui l’avez dit. Et en situation de guerre, malheureusement un médecin doit faire un choix entre qui il peut sauver et qui il doit laisser reposer en paix.

Génération sacrifiée

Monsieur le Président, vous voulez rassembler la société, mais vous la divisez. Vous la divisez car vous avez fait le choix de sauver les vies de certaines personnes, et de sacrifier les vies d’autres. Oui, sacrifice, le mot est fort. 

Sacrifice, car vous faites payer aux jeunes générations une dette insoutenable. Sacrifice, parce qu’avec les mesures d’aujourd’hui les jeunes étudiants se retrouvent en détresse, et pour certains dans une telle dépression, qu’ils font le choix de se donner la mort. En atteste l’augmentation significative (+20 %) des ventes d’anti-dépresseur pendant le deuxième confinement. Sacrifice, car le covid étant l’unique priorité, d’autres pathologies ne sont pas détectées. Et des personnes qui auraient pu soigner leur cancer parce que détecté tôt, n’auront pas cette opportunité. Sacrifice enfin car la vie, elle se joue aujourd’hui, dans l’instant présent. Mais pas dans 1, 2 ou 3 ans quand le virus aura peut être été vaincu. La vie est précieuse, et elle se vit pleinement, aujourd’hui. Pour un jeune, vivre enfermé entre 4 murs, sans avoir la possibilité de voir ses amis, de trouver son âme soeur, d’explorer le monde, ce n’est pas vivre.

Monsieur le Président, faites le choix de la vie, ouvrez les bars, les restaurants, les stations de ski, les musées, les cinémas, théâtre, etc. Vivons, avec le risque du covid, mais vivons. Chaque jour nous risquons de mourir en traversant la rue, en fumant une cigarette, en s’adonnant à certaines activités sportives. Ce risque, il fait partie de la vie, et nous l’acceptons.

Victor Evase est étudiant en droit.

Les Echos