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Beaucoup de questions se posent sur la Russie et son potentiel militaire. Les dirigeants européens ont-ils pris réellement la mesure de l’avancée technologique de l’armée russe ?

Xavier Raufer

En février 2021, ça se tend entre l’Otan et la Russie : « Qui veut la paix prépare la guerre », dit Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères ; Le secrétaire général de l’Otan renché­rit : La Russie ? « Si elle veut des affrontements, nous sommes prêts ». À ce moment, l’ob­servateur de ces zones de friction et autres « petites guerres » qu’est forcément le géopoliti­cien, en vient à s’inquiéter.

À notre époque confuse en effet, où le crime organisé, les terrorismes, méga-gangs et mi­lices armées tourbillonnent sur (et autour) d’imprécis champs de bataille, avec des forces spé­ciales toujours moins repérables et distinctives, l’opinion européenne – voire, ses diri­geants – semblent égarés, entre ignorance des faits récents et clichés dépassés. La Russie par exemple, et son potentiel militaire : une opinion européenne paresseuse somnole sur l’idée confortable d’une armée russe aux chars rouillés et à l’arsenal nucléaire dormant dans des hangars délabrés, clos de cadenas.

Or depuis une décennie, ce que les experts voient, de la Mer noire à la Syrie et du nord de l’Ukraine et l’Azerbaïdjan-Karabagh, révèle qu’on en est loin. D’où, comme l’aveuglement straté­gique est toujours désastreux, cette petite revue d’arsenaux russes bien plus high-tech qu’on ne l’imagine.

Wargames ? Kriegspiel ? En français, simulation de combat. Fin 2020, la Pologne en orga­nise une, niveau quartier général ; le ministre de la Défense et le prési­dent polonais la sui­vent de près. À la manœuvre, des milliers d’offi­ciers, scrutés par l’Otan et Washington. Objec­tif de la simulation « Hiver 2020 » : vérifier la capacité de l’armée polo­naise à repousser toute offensive militaire russe. Côté polonais, ce kriegspiel suppose ac­tives les armes récem­ment achetées aux États-Unis, missiles Patriot, chasseurs F35. Champ de bataille : l’est de la Vistule, de Kaliningrad à la Biélorussie.

Bilan terrible, révèle l’agence polonaise Interia : dans la première semaine d’une guerre avec la Russie « l’armée polonaise cesserait d’exister », perdant de 60% à 80% de ses effec­tifs et équipements. Varsovie encerclée en 4 jours ; ports bloqués, flotte aérienne et mari­time vaincue malgré l’appui de l’Otan. Une surprise ? Non : cinq ans avant, un war­game (de la RAND corp.) sur les Pays baltes (de 2016), les mon­trait hors de com­bat en 60 heures.

Les experts expliquent ces frappantes dé­faites par un arsenal high-tech, limite science-fic­tion, développé depuis une décen­nie en Russie ; des dizaines de systèmes d’armes et de disposi­tifs de guerre électronique « aguer­ris » de l’Ukraine à la Syrie, via le Nagorno-Kara­bagh. Ces experts notent le manque de tels armements et systèmes dans les dernières ar­mées réelles d’Eu­rope, France, Allemagne et Grande-Bretagne.

L’ultra-moderne destroyer USS Donald Cook (4e génération) est surarmé : 96 missiles de croi­sière Tomahawk, 50 missiles antiaériens. En avril 2014, il navigue en Mer noire, ce qui agace toujours les Russes. Soudain, un bombardier tactique SU-24 le survole, porteur du disposi­tif électronique « KHIBINY ». Comme on éteint la télé, voilà le Donald Cook sourd et aveugle. Écran noir : son « cerveau numérique » régissant tout à bord – cir­cuits de contrôle, sys­tèmes de tir, radars, transmissions – est mort. À la merci du premier mis­sile venu – et le SU-24 feint plusieurs attaques – Donald Cook gagne un port roumain voi­sin, dirigé manuelle­ment par des officiers abasourdis.

En avril 2018, un phénomène analogue affecte deux frégates françaises (L’Aquitaine et l’Au­vergne), parties en Méditerranée orientale « punir » la Syrie de Bachar al-Assad par tirs de missiles. Alors, notre ministre de la Défense dit « n’avoir pas l’intention de com­men­ter les performances de tel ou tel système d’armes ».

En combat conventionnel, de tels cyber-sabotages révèlent ces cruciaux disposi­tifs de guerre radio-électroniques de théâtre, donnant la suprématie sur les ondes et paraly­sant l’adver­saire. Pour l’Otan, ce sys­tème de maîtrise du champ de bataille (C4I, Command, con­trol, communication, com­puter and intelligence) se nomme AE­GIS : ce « système nerveux » or­chestre, con­trôle, scrute la bataille terrestre, maritime, aériennne – spatiale, même, en temps réel ; guide et coordonne les déci­sifs moyens de dé­fense antimissiles.

Or en Syrie, L’Otan constate qu’à l’arrivée du corps russe d’appui à Ba­char al-as­sad, tout change. Portés par camions, avions ou hélicoptères, des armes de com­bat radio-élec­tro­nique type « KRASSOUKHA-4 » suscitent une « bulle » de 300 km. de rayon, impéné­trable aux moyens Otan. L’ennemi y perd l’espace élec­tromagné­tique. Ra­dars de détection-guidage des mis­siles ou avions de chasse ; liai­sons avec les satellites-es­pions ; réseaux-radio VHF/HF, ter­minaux pour communi­ca­tions cellulaires, canaux de con­trôle des drones (recon­nais­sance, at­taque), WIFI : morts, écran noir.

Saturé de contremesures électroniques et de fausses informations, l’ennemi doit alors ten­ter de brouiller des systèmes russes puissamment cryptés – et nombreux, avec : MOSKVA-4, BO­RISSOGLEBS-2, SVET-KU, RHTUT-BM, INFAUNA, etc., véritables « bou­cliers d’invisibilité », empê­chant notamment l’ennemi de voir vos avions (ou missiles) décol­ler ou atterrir.

Concrètement : depuis 2012, les milices rebelles syriennes étaient informées par leurs maîtres américains de tout mouvement de l’armée syrienne, au nord du pays : voilà ces merce­naires aveugles, bientôt en déroute.

Autre joyau de l’arsenal russe, les robots de combat terrestre type URAN-9, que leur usage au combat en Syrie a perfectionnés. Conçus pour la reconnaissance, l’appui-feu ou la des­truc­tion, roulant à 35kmh. en terrain plat, ils embarquent des missiles antichars, un lance-flamme, un canon et une mitrailleuse et sont télécommandés du sol ou d’un hélicop­tère. Là aussi, la panoplie russe est vaste, car existent aussi STRELOK, PLATFORMA-M, RTK-VN, NE­REKHTA, ARGO et GNOM (sous-marin).

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