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Philippe Bilger

Je n’ai pas l’intention de me pencher à nouveau sur le désir du Président d’affronter encore Marine Le Pen et sur sa crainte que la victoire soit moins aisée qu’en 2017.

Le Front républicain qui se fissure – parce que beaucoup à gauche comme à droite sont lassés d’avoir déjà largement « donné » pour sauver l’adversaire – n’est que l’une des inquiétudes qui agite le camp présidentiel. Le Premier ministre a beau dénoncer cette tentation, elle n’en demeure pas moins explicable .

Une autre est que le pouvoir à l’issue du mandat ne soit jugé que sur sa gestion diversement appréciée de l’épidémie depuis le début de l’année 2020, sans parvenir à transmettre la réalité de réformes qui auraient diversifié le bilan.

Récemment un reproche fondamental a été fait au président de la République d’avoir, par son action ou son inaction, favorisé le développement du RN. Il l’a vigoureusement contredit en rappelant que le FN puis le RN n’était pas né avec lui et que donc il déniait sa responsabilité dans ce processus.

Pourtant, ne devrait-on pas faire preuve de lucidité et accepter l’évidence que le RN s’est bien nourri de quelque chose, de faiblesses et d’incuries du gouvernement, de son langage longtemps si peu régalien, de sa médiocrité dans le maintien de l’ordre et la lutte contre les multiples délits et crimes qui indignent et bouleversent notre pays, qu’il s’agisse de l’immigration, des cités, des quartiers sensibles, des jeunes ou des moins jeunes, des voyous attaquant la police, des bandes s’affrontant sans souci de la loi, de tout ce qui, du plus infime au plus grave, manifeste que la France est en péril et que, si on l’avait rêvée rassemblée en 2017, elle n’a jamais été plus éclatée et fracturée.

Le réel, sous Emmanuel Macron, vote RN et le président a laissé faire, pour ne pas dire davantage.

Il est donc évident que sur ce terreau d’indéniable faillite sur le plan de la sécurité et de la Justice, le RN s’est greffé avec efficacité d’autant plus que ce domaine a toujours été précocement son point fort et que même ses adversaires les plus résolus admettent qu’il a eu raison trop tôt sur des problématiques qui aujourd’hui sont au coeur des angoisses françaises.

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Hier il était vilipendé au nom de l’éthique et on cherche maintenant une argumentation politique à lui opposer. Le discours du pouvoir, pour l’instant, est impuissant à contrer une normalisation qui, pour être qualifiée d’hypocrite, n’est pas sans effet sur l’opinion publique. Il est paradoxal de la traiter d’ennemie de la République alors que les apparences vont de plus en plus dans l’autre sens. Ce hiatus, pour l’argumentation, est assez dévastateur.

Cette normalisation vise aussi à « achever » l’idée d’un Front républicain déjà, on l’a vu, mal en point et à prévenir les conséquences probablement si peu démocratiques d’un succès qui est craint et dont on commence à croire qu’il est possible.

Surtout il me semble que l’erreur la plus grave commise par ceux qui sont en charge de l’univers régalien – notamment les ministres Darmanin et Dupond-Moretti – s’égarent tactiquement en la prenant quasiment pour cible exclusive alors qu’une majorité de Français la déclarent la plus crédible pour combattre l’insécurité et l’immigration. C’est absurdement se porter sur un terrain où elle est de loin la plus convaincante, parce qu’elle est convaincue depuis longtemps, et où la quotidienneté confirme sans cesse la validité de ses dénonciations, l’échec du pouvoir, en tout cas son impuissance.

La mépriser alors est totalement contre-productif, comme la traiter de populiste, puisqu’on prétend l’accabler avec le ferment essentiel qui au contraire favorise son développement et contre lequel le verbe condescendant du garde des Sceaux ne peut rien.

Pourquoi ne pas abandonner cette stratégie où elle est meilleure qu’eux, avec le confort de n’être pas aux responsabilités, et où ils ne sont clairement pas bons ? Pourquoi ne pas la considérer telle une adversaire classique et démontrer son impréparation, son amateurisme, ses voltes opportunistes, sur le plan économique et social, en matière européenne, et tenter banalement de faire valoir que nous aurions peut-être une autorité de l’Etat restaurée mais une France abîmée ?

Le président de la République est directement responsable de la quasi-certitude d’une Marine Le Pen au second tour de 2022. Parce qu’avec sa faiblesse régalienne, il a accru la force de son adversaire. Avec sa réalité très imparfaite, l’espérance d’une part du peuple. Avec sa démocratie molle, le rêve d’une République ferme.

Leurre ou non, il serait, il est le coupable.

Si le pire survenait, les vaincus déniant, par principe et peut-être dans la violence, la légitimité des vainqueurs, il y aurait des orages à venir.

Source: https://www.philippebilger.com/blog/