Étiquettes

, ,

Par Scarlett HADDAD

C’est vrai que les yeux des Libanais sont fixés sur le dollar, guettant ses moindres fluctuations par rapport à la livre libanaise, et suivant par conséquent l’évolution du dossier gouvernemental. Mais, pendant ce temps, un développement important a eu lieu. Il s’agit de la visite de la délégation du Hezbollah à Moscou. Cette visite est porteuse de nombreux messages à la fois dans son timing et dans son contenu. C’est en effet la première fois depuis 2011 qu’une délégation du Hezbollah se rend officiellement à Moscou.

Certes, les contacts entre les dirigeants russes et ceux du Hezbollah se poursuivent sans interruption depuis que ce dernier a décidé de participer à la guerre en Syrie, suivi plus d’un an plus tard par l’implication directe russe dans le conflit syrien. Pour évoquer le dossier des développements militaires en Syrie, les responsables militaires et sécuritaires du parti chiite se réunissent d’ailleurs régulièrement avec les généraux russes, à la base de Hmeimim ou ailleurs, et ils coordonnent souvent leurs actions sur plus d’un champ de bataille.

Mais cette fois, si les Russes et le Hezbollah ont décidé de tenir des pourparlers officiels, c’est qu’ils veulent transmettre un message différent. Selon une source diplomatique bien informée, la médiatisation de la visite de la délégation du Hezbollah à Moscou et la composition de cette délégation – qui regroupait notamment le chef du groupe parlementaire de la résistance Mohammad Raad et le responsable des relations internationales Ammar Moussaoui – indiquent une volonté de consacrer le rôle politique de ce parti. Pour Moscou donc, le Hezbollah est un acteur politique sur la scène libanaise, indépendamment de son rôle militaire en Syrie. De plus, s’il s’agissait d’évoquer les développements militaires en Syrie ou dans la région, les discussions auraient pu se dérouler avec les responsables militaires et sécuritaires de la formation pro-iranienne. Le choix d’une délégation politique indique donc que le contenu des discussions était essentiellement centré sur la situation politique au Liban.

Le message russe est donc clair : Moscou considère le Hezbollah comme un acteur important sur la scène politique libanaise. C’est d’autant plus vrai que cette visite a eu lieu avant celle du président du Conseil désigné dans la capitale russe. Ce dernier devrait en effet être reçu prochainement à Moscou, alors qu’il avait sollicité le rendez-vous depuis quelque temps déjà.

Le fait que les dirigeants russes aient choisi de recevoir la délégation du Hezbollah avant Saad Hariri, dont les relations étroites avec la Russie remontent à l’époque de son père Rafic Hariri, a aussi une portée particulière. Cela signifie, selon la source diplomatique précitée, que pour Moscou, le partenaire principal au Liban est le Hezbollah, qui a été un allié et un acteur fiable en Syrie, et qui reste un partenaire régional.

À cet égard, la source diplomatique rappelle que pour la Russie, le Liban est un dossier annexe à celui de la Syrie et que les dirigeants russes ne le considèrent que sous cet angle. D’ailleurs, depuis l’intervention directe russe en Syrie, les parties libanaises, dans toute leur diversité, ont tenté à plusieurs reprises de solliciter l’aide de Moscou dans les dossiers intérieurs, mais la réponse a toujours été la même, qu’elle soit donnée par l’ancien ambassadeur russe au Liban Alexandre Zasypkine ou par l’adjoint du ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov. Elle se résume comme suit : nous ne voulons pas nous laisser entraîner dans les méandres de la politique intérieure libanaise ; nous avons une relation solide et efficace avec le Hezbollah en Syrie et nous ne voulons pas l’ébranler pour des raisons liées à la situation libanaise.

Aujourd’hui, à la suite de l’insistance des parties locales à pousser Moscou à jouer un rôle plus déterminant au Liban, surtout après l’arrivée de la nouvelle administration américaine et la situation floue qui en a découlé dans la région, la Russie a décidé de s’impliquer un peu plus dans les dossiers intérieurs libanais. Mais les dirigeants russes ont voulu expliquer aux différentes parties libanaises qu’elles ne doivent pas miser sur un conflit entre Moscou et le Hezbollah au Liban.

De son côté, le chef de la délégation du parti Mohammad Raad a fait savoir que les Russes poussent vers la formation d’un gouvernement le plus rapidement possible, assurant à cet égard que les positions entre le parti chiite et les Russes sont convergentes. Au cours d’un dîner mercredi soir à l’ambassade d’Iran à Moscou – ce qui constitue aussi un autre message à tous ceux qui considèrent que les Russes et les Iraniens sont en désaccord total en Syrie –, Mohammad Raad a une nouvelle fois précisé que le Hezbollah aide les parties concernées par la formation du gouvernement à trouver un terrain d’entente et qu’il est prêt à déployer des efforts en ce sens.

Tous ces indices, mis bout à bout comme les pièces d’un puzzle, montrent que les Russes commencent à s’intéresser au dossier libanais tout simplement parce qu’il a des implications sur le dossier syrien. De plus, les Russes sont actuellement en train d’évoquer la fin de la guerre en Syrie et par conséquent, un tel développement ne peut qu’avoir un impact sur le Liban, qui doit être prêt à l’accueillir avec un gouvernement en pleine fonction. Surtout que les Russes ont l’intention d’organiser à Beyrouth un congrès international pour le retour des déplacés syriens chez eux, dans le courant de l’année, et qu’il faut pour cela que le Liban soit doté d’un gouvernement en mesure de prendre les décisions adéquates.

En même temps, la source diplomatique précitée affirme que Moscou n’a pas d’initiative particulière pour débloquer la crise libanaise. Les Russes se contentent d’écouter tous les points de vue et de pousser vers l’entente, tout en donnant la priorité au rôle que peut jouer le Hezbollah dans ce sens.

Aux dernières informations, ce dernier aurait d’ailleurs pris les choses en main… avec une proposition concrète pour tenter de rapprocher les points de vue entre Michel Aoun et Saad Hariri.

OLJ