Étiquettes

Service public en France, administration de l’Etat en département, panneau indicateur des services d’une direction départementale des territoires, Ariège. Wikimédia


par Antoine Gobin,Pauline Hot,Benjamin Huin-Morales .

La puissance publique reste notre meilleur outil pour faire face aux menaces écologiques, sociales et démocratiques. Il est toutefois nécessaire de l’orienter vers plus de décentralisation, en privilégiant les besoins des usagers et en y diffusant une « culture territoriale ».

« Que demandons-nous à l’action ? De modifier la réalité extérieure, de nous former, de nous rapprocher des hommes, ou d’enrichir notre univers des valeurs1. »

Jeunes hauts fonctionnaires issus de la promotion Hannah Arendt de l’École nationale d’administration, nous avons fait nos classes au service de l’État dans des temps troublés. Notre première année de scolarité, en stage, d’abord à l’étranger puis en France, a en effet été placée sous le signe des contestations sociales qui ont rappelé l’urgence de repenser notre modèle social hérité du Conseil national de la Résistance. Aux Gilets jaunes, qui exigeaient dès novembre 2018 que soit combattu le déclassement économique, social et territorial d’une grande partie des citoyens ont ainsi succédé les mobilisations sociales contre le projet de réforme des retraites. Alors que nous poursuivions notre scolarité à Strasbourg, l’apparition soudaine de la crise sanitaire donnait à voir, entre autres maux de notre société, des lourdeurs administratives, un émiettement certain de l’État territorial, une insuffisante culture de partenariat entre l’État et les collectivités et un manque d’anticipation qui ont affecté la capacité de l’État à répondre à la crise sanitaire. Plus qu’aucune autre, cette crise illustre l’ampleur du phénomène de défiance de nombreux Français envers la puissance publique, les élites et le savoir institutionnel. Dans un tout autre registre, en octobre 2020, alors que nous quittions justement les bancs de l’école pour prendre nos premiers postes au sein de nos administrations respectives, l’assassinat de Samuel Paty nous rappelait que la tolérance, la liberté d’expression et la sécurité publique étaient toujours à conquérir face à l’obscurantisme. En somme, ces deux années, tout en donnant un sens inédit à notre vocation de servir l’intérêt général, nous ont rappelé une évidence : pour atteindre le cap fixé à l’article 1er de la Constitution (« Une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »), nous devrons, tout au long de notre vie administrative, contribuer à repenser l’État, son organisation et ses modes d’action. Cet article se veut donc être à la fois un témoignage et une réflexion sur l’État.

L’État concurrencé

Pourquoi servir l’État ? La question mérite d’être posée au regard de la corrélation du déclin continu du nombre de candidats aux concours de la fonction publique, qui a chuté de 65 % depuis 1997, et du regain heureux de l’engagement de la jeunesse pour certaines causes, au premier rang desquelles la protection de l’environnement. Cette corrélation semble traduire un sentiment selon lequel rejoindre l’État ne serait plus une façon efficace de servir l’intérêt général, et cela pour au moins trois raisons.

En premier lieu, l’État et l’administration peuvent apparaître comme vidés de leur substance et affaiblis au regard de la place qu’ils ont traditionnellement occupée dans la construction nationale. Depuis les années 1980, à l’échelon supranational, l’exercice de nombreuses compétences régaliennes est soit confié à des institutions européennes, soit contraint en raison de la concurrence internationale. Au surplus, en stage dans les enceintes onusiennes ou dans des ambassades, nous avons vu les difficultés de la France et de l’Union européenne à se constituer comme des forces diplomatiques de premier plan face aux lourdes conséquences de la remise en cause des grands accords internationaux par les États-Unis d’Amérique de Donald Trump, ou encore à faire respecter l’ordre international. À l’échelon infranational, la plupart des politiques publiques structurantes ont été transférées aux collectivités territoriales. Depuis les années 2000, la création de multiples agences et opérateurs a de surcroît démembré l’État central, réduisant de fait les capacités de conception, de pilotage et d’application des politiques publiques par l’administration. À Mayotte, par exemple, un serviteur de l’État désireux de lutter contre le braconnage de tortues peut rapidement être découragé par la myriade d’acteurs différents avec qui il doit se coordonner.

En deuxième lieu, la puissance publique et le service qu’elle rend ont été affaiblis par la logique budgétaire et court-termiste qui a sous-tendu de nombreuses décisions, en oubliant que l’impératif de maîtrise des comptes ne saurait jamais constituer une fin en soi, mais toujours un moyen au service d’ambitions telles que la santé, l’éducation, la culture et la préservation de l’environnement. La crise sanitaire a également révélé que trop d’administrations poursuivent une logique comptable plutôt qu’opérationnelle. Or cette logique du chiffre, symptomatique d’une « gouvernance par les nombres2 », induit une perte progressive de sens chez de nombreux agents du service public. Si la dépense publique peut sans doute être encore optimisée, cette démarche ne peut constituer à elle seule la raison d’être de la transformation publique, qui est d’autant moins bien acceptée qu’elle ne s’accompagne pas toujours d’une amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. C’est ainsi que la réforme de l’organisation territoriale de l’État, notamment la création de secrétariats généraux communs aux administrations déconcentrées, a été largement perçue comme un levier d’économies plutôt que d’amélioration concrète du service. Expliquer, construire, arbitrer en fonction de priorités démocratiquement établies constituent aujourd’hui des impératifs nécessaires pour redonner du sens à une action publique toujours plus ambitieuse dans ses fins et toujours plus modeste dans ses moyens. En retour, ces tendances sont susceptibles de réduire l’attractivité du service public pour nombre de jeunes désireux de s’engager pour leur pays.

En troisième lieu, plusieurs acteurs émergents peuvent sembler plus efficaces, voire plus légitimes, que l’État à faire advenir l’intérêt général et apparaissent ainsi plus attractifs aux jeunes désireux de s’engager pour le bien commun. Les associations offrent à leurs membres un engagement bénévole et donc a priori désintéressé. Nombre d’associations jouent en effet aujourd’hui un rôle fondamental, en venant en renfort de l’État et des collectivités territoriales auprès des populations les plus vulnérables, dans les territoires les plus en difficulté où plus personne d’autre n’est présent. Les organisations non gouvernementales permettent une action plus souple, en apparence plus concrète et plus proche du terrain, et sont au service de causes – notamment environnementales – qui leur permettent d’influencer l’opinion et de mobiliser largement. Le récent contentieux environnemental porté par la commune de Grande-Synthe, soutenue par quatre associations et ONG, qui a vu l’État contraint de justifier sous trois mois que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effets de serre à l’horizon 2030 pourra être respectée, démontre avec force leur capacité d’action. De l’autre côté, les entreprises, notamment les multinationales, innovent et développent des produits qui marquent des générations, génèrent des chiffres d’affaires supérieurs au budget de bien des États et rivalisent de stratégies pour contourner l’impôt et concurrencer les monnaies.

Même si nous sommes membres d’associations variées, nous ressentons que notre engagement au service de l’État est le plus apte à répondre aux attentes des citoyens, dans la mesure où l’État dispose des leviers et de la hauteur de vue nécessaires à la réalisation de projets durables.

L’État incontournable

Quels sont les défis du xxie siècle ? Il y a d’abord le péril écologique sur notre capacité à vivre en harmonie avec notre environnement. Dans le sud de la France, les incendies meurtriers du mois d’août 2019 ont succédé à la canicule du mois de juin, avec des conséquences parfois dramatiques sur la viticulture. À Mayotte, la pollution des sols, la perte de biodiversité, la détérioration de la qualité de l’eau, la difficulté croissante de traiter les déchets et, surtout, l’émergence de risques naturels préfigurent les défis auxquels il nous faut dès à présent nous préparer. Le changement climatique impose aujourd’hui à toutes les sociétés une réaction immédiate, déterminée, à la hauteur des enjeux, mais si complexe qu’elle ne cesse de se faire attendre. Au-delà de la voix émue de Greta Thunberg et des images apocalyptiques des incendies australiens, le changement climatique n’est pas qu’une crainte qui s’ajoute à d’autres. C’est bien un fait qui impose à tous d’assumer ses responsabilités dans un monde en crise, et de contribuer directement à la résilience et à l’adaptation de notre modèle socio-économique.

Il y a ensuite les inégalités qui divisent les sociétés et portent un coup fatal aux promesses de progrès et de réussite pour tous de notre République. Alors qu’une poignée d’individus se partage la richesse mondiale, il est de plus en plus difficile pour une majorité d’espérer vivre dignement de son travail et de transmettre à sa descendance le résultat de plusieurs décennies de labeur. À Montpellier, le Samu social est toujours plus sollicité dans le centre-ville, alors que l’hébergement d’urgence est structurellement sous tension et que la crise migratoire perdure. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. À cet égard, la multiplication des lignes de fractures qui traversent la société – territoriales, culturelles, générationnelles – n’est que le reflet des difficultés socio-économiques dont souffrent une partie grandissante de nos concitoyens.

Il y a enfin la menace qui pèse sur les démocraties. Mises à mal par la difficulté à prendre des décisions dans un monde complexe, fragilisées par la fragmentation de l’espace public, les démocraties occidentales semblent à un tournant de leur histoire. Il ne saurait être pris avec succès en formulant des vœux pieux sur l’éducation à la liberté d’expression ou sur la lutte contre la diffusion des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Bien plus, les projets politiques nés après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe et le multilatéralisme, souffrent en retour du recul des légitimités démocratiques.

Ces défis multiples font plus que jamais peser le risque de la disparition de tout horizon commun, et le retour du ferment de nos divisions : la violence terroriste, les dérives identitaires, « l’égoïsme territorial3 », l’entre-soi social, la peur des différences, la poursuite aveugle des intérêts particuliers, les communautarismes en tout genre, le ressentiment, le cynisme et la tentation grandissante d’une partie de la société, aux deux extrêmes du spectre social, de faire sécession et de se replier sur ses certitudes ou ses acquis. Ces risques sont bien sûr démultipliés au lendemain de la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons depuis le mois de mars 2020. Alors que l’espoir d’un retour à la normale rapide et indolore, voire du « monde d’après » un temps fantasmé, semble définitivement s’éloigner, l’avenir de la République paraît incertain et, par bien des aspects, menacé.

Mais nous sommes convaincus que la puissance publique est le meilleur outil pour faire face à ces menaces. Par sa force d’organisation et sa compétence, l’administration de l’État est la plus à même de mettre en place les politiques publiques de crise, comme elle l’a fait – n’en déplaise à ses détracteurs – depuis mars dernier. Parce qu’il détient les leviers régaliens, l’État est également le seul à pouvoir réduire les inégalités par des dispositifs propres à rétablir la justice fiscale et territoriale. En s’appuyant sur les institutions puissantes que sont l’Éducation nationale et l’Université, l’État est par ailleurs le berceau de la méritocratie républicaine, à laquelle il ne doit en aucun cas renoncer. Par son ancrage dans le temps, qui n’est pas synonyme d’inertie, l’État participe à la stabilité de notre démocratie. La fécondité de la IVe République, en dépit de l’instabilité politique, ou encore l’extraordinaire résistance de la Constitution de la Ve République face à l’effondrement des partis politiques traditionnels le démontrent. Enfin, par sa neutralité et son impartialité, l’État est la matrice au sein de laquelle peuvent encore être intégrés les intérêts les plus divergents et parfois opposés de nos concitoyens. Au-dessus de la mêlée des intérêts particuliers, il peut s’abstraire des séparatismes et volontés de sécessions en tout genre pour porter une parole commune dans l’espace public.

Par sa force d’organisation et sa compétence, l’administration de l’État est la plus à même de mettre en place les politiques publiques de crise.

Au fil de nos stages et de nos expériences professionnelles, nous avons été marqués par les attentes fortes des citoyens envers l’État et le service public. Quelle que soit la défiance exprimée à l’encontre des élites de Paris ou Bruxelles, l’attachement des Français à l’État est incontestable. Nous avons pu l’éprouver en travaillant sur les projets de services publics de proximité, la rationalisation du réseau territorial de la direction générale de l’impôt et des finances publiques, et le projet France Services : nos interlocuteurs exprimaient constamment leurs craintes à l’idée que l’État abandonne les territoires les moins accessibles ou les plus fragiles. Nous avons vu à quel point, en dépit de la décentralisation, l’État demeure comptable, aux yeux des citoyens, de bien des politiques menées, en particulier lorsqu’elles échouent. Face à cette attente, l’État peut compter sur ses agents qui, loin des caricatures courtelinesques, sont désireux de servir au mieux, dans des conditions parfois difficiles. Pendant la crise sanitaire, dans toutes les préfectures de France, des agents mobilisés, réactifs et peu soucieux du décompte de leurs heures, se sont efforcés sans relâche d’adapter l’action publique au nouveau paradigme du confinement. L’État peut également compter sur ses processus décisionnels : la rapidité avec laquelle ont été déployés à grande échelle le soutien à l’activité partielle et les prêts garantis de l’État au printemps 2020 ne doivent pas être négligés.

Pour être à la hauteur des défis à venir, l’administration de l’État doit profondément se réformer. En effet, la verticalité consubstantielle à la gestion de crise et à la construction de notre pays n’a pas été sans fausses notes, et la gestion locale de l’épidémie par les collectivités territoriales a souvent été jugée plus efficace et plus rationnelle. On peut se demander s’il revient à une cellule interministérielle de crise, pendant une pandémie inédite, de décider de l’ouverture des surfaces commerciales non alimentaires plutôt que de faire confiance à l’intelligence collective des préfets et des maires. Le secteur associatif a joué un rôle essentiel dans le soutien aux plus vulnérables, comme aux personnels soignants. Des solidarités locales ont vu le jour (fabrication de masques, chaînes d’appels téléphoniques aux personnes isolées, cours particuliers et soutien scolaire…), parfois encouragées par le gouvernement (jeveuxaider.gouv.fr), mais aussi spontanées, via les réseaux sociaux ou la presse régionale.

En parallèle, le choc de la pandémie a rendu plus urgente que jamais une vraie transformation écologique et sociale. L’eau cristalline des canaux de Venise vidée de ses touristes, le retour d’une faune sauvage dans les grandes métropoles et un printemps plus verdoyant que jamais ont montré, dès mars 2020, la – relative ? – réversibilité des dégradations dues à l’activité humaine. Au-delà de l’interrogation légitime sur les conséquences sur la santé mondiale d’un rapport dénaturé de l’homme à son environnement, la crise actuelle ouvre la voie à un changement de modèle appelé par les jeunes générations. Cette voie écologique ne pourra toutefois faire l’économie, dans un monde ébranlé par plusieurs années de ralentissement de l’activité, d’un accompagnement social vigoureux de tous ceux pour qui la crise a marqué un coup d’arrêt insurmontable.

Il y a donc lieu de tirer tous les enseignements nécessaires de la situation actuelle, dans la perspective d’un renforcement de la dimension territoriale de l’État et de l’instauration d’une vraie priorité écologique et sociale.

Pour un État présent et territorialisé

Depuis 1982, notre République est décentralisée. Si de plus en plus de compétences ont été – et continuent d’être – transférées aux collectivités territoriales, force est de constater que l’organisation de l’État n’a pas été réellement adaptée à la décentralisation. L’émergence des préfets de région, qui ont depuis 2010 « autorité sur les préfets de département », et l’agrandissement des régions en 2015 ont affaibli le poids des services de l’État dans les départements. De plus, comme nous l’avons constaté, la culture de beaucoup de hauts fonctionnaires reste, sinon jacobine, du moins centralisatrice, ce qui découle à la fois d’un manque de confiance envers les collectivités et parfois du constat de responsabilités inégalement assumées et assurées selon les collectivités. Malheureusement, la prophétie de Pierre Joxe – « dans quelques années, tout le monde aura oublié l’extraordinaire centralisation de l’administration pendant un siècle4 » – n’a pas été réalisée, bien au contraire ! Pour parachever la décentralisation, il est besoin de renouveler la culture de l’action publique dans trois directions différentes.

La première est de cesser de raisonner à partir des structures pour le faire à partir des politiques publiques et de son usager. Autrement dit, il importe finalement peu au citoyen de savoir qui, de l’État ou des collectivités, est compétent pour conduire une politique publique – dès lors que les compétences sont clairement réparties – tant qu’elle lui bénéficie concrètement et qu’elle lui est accessible. La refonte du mécanisme d’expérimentation prévu dans la Constitution pourrait, par exemple, permettre aux collectivités qui le désirent d’aller plus loin en matière sociale et environnementale. De la même manière, à l’image de l’objectif d’accessibilité des urgences médicales à moins de trente minutes, on pourrait imaginer un objectif d’accessibilité d’un espace vert à moins de dix minutes de son domicile, y compris dans les zones périurbaines, afin de recentrer les politiques publiques sur leurs bénéficiaires.

La deuxième direction est d’adapter les structures de l’État à l’organisation décentralisée de la République et de simplifier son organisation territoriale. Il faut faire autant en matière de déconcentration qu’en matière de décentralisation. Pendant nos stages en préfecture, la dispersion des services déconcentrés nous est apparue comme un frein considérable à l’efficacité de l’action de l’État, notamment pour déployer rapidement une réponse sanitaire, sociale et économique coordonnée à la crise épidémique. Dans ce contexte, conférer au préfet de département une autorité a minima fonctionnelle sur l’ensemble des services déconcentrés de l’État, à l’exception des services judiciaires, pourrait renforcer l’efficacité de l’action publique locale. Ainsi renforcé, l’échelon déconcentré devra néanmoins être mieux doté. Il est dès lors nécessaire d’inciter les hauts fonctionnaires à exercer dans les services déconcentrés, en favorisant la mobilité géographique et la délocalisation de certains services d’administration centrale, à l’heure où les dispositifs de visioconférence font pleinement partie du quotidien.

La dernière direction serait de diffuser, dès la formation des fonctionnaires de l’État, une culture territoriale de l’action publique en renforçant les liens entre hauts fonctionnaires et élus locaux. À Mayotte, une plateforme d’ingénierie a ainsi été mise en place au bénéfice des collectivités. De telles plateformes pourraient être créées pour aider les plus petites collectivités à mettre en œuvre le plan de relance. Une telle culture locale ne doit pas imprégner uniquement l’esprit de l’action publique, mais aussi l’esprit national. Car ce que le rôle prépondérant de l’État dans la construction nationale ne doit pas cacher, c’est que la France est une « composition » de « petites patries » dont l’amour, loin de nous retrancher derrière des réflexes identitaires, nous unit autant qu’elle ancre la République dans les territoires5.

Pour une République démocratique, écologique et sociale

Nous souhaitons nous engager dans un État qui réalise la République démocratique, écologique et sociale. Alors que la pandémie a illustré à la fois l’ampleur que peut prendre une catastrophe biologique et sanitaire dans un monde globalisé et la capacité des sociétés à modifier rapidement ses modes de vie, nous ne renonçons pas à l’espoir d’une accélération de la transformation écologique. Nous aspirons à ce que la République se dote également d’une dimension sociale renouvelée, car il nous paraît impensable que ces transformations nécessaires aient lieu aux dépens des plus vulnérables et au mépris de la passion républicaine pour l’égalité. Enfin, ces transformations ne sauraient être conduites sans un réveil démocratique incontournable. Un encouragement de la participation publique aux décisions locales et l’expérimentation de nouveaux modes de prise de décision, comme les jurys citoyens, pourraient y contribuer.

Si les grands « commis d’État » de l’après-guerre « [allaient] dans l’administration comme [ils entraient] en religion : pour continuer le combat6 », il s’agit aujourd’hui de servir l’État avec la volonté de répondre aux appels du siècle : engager, enfin et définitivement, la transformation écologique, assurer la résilience sanitaire et sécuritaire de nos sociétés, garantir la cohésion nationale face aux inégalités croissantes et aux doutes identitaires, actualiser le principe de laïcité face au retour du religieux, réaffirmer le rôle fondamental de la science et du savoir en démocratie à l’heure de la post-vérité, garantir la paix malgré le regain de tensions internationales. C’est aujourd’hui sans naïveté mais avec espoir et confiance en notre génération que nous abordons cette feuille de route, en partie héritée, avec comme unique boussole l’intérêt général et les valeurs républicaines que nous avons en partage.

  • 1.Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, Paris, Presses universitaires de France, 1949.
  • 2.Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Paris, Fayard, 2015.
  • 3.Laurent Davezies, Le Nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations, Paris, Seuil, 2015.
  • 4.« Pierre Joxe : “La sécurité ou la décentralisation, c’est d’abord, c’est aussi de la politique” », L’Unité, 1er mars 1985. L’entretien est consultable sur http://www.vie-publique.fr.
  • 5.Voir Mona Ozouf, Composition française. Retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard, 2010 et Olivier Grenouilleau, Nos petites patries. Identités régionales et État central, en France, des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2019.
  • 6.Simon Nora, « Servir l’État. Entretien avec Marcel Gauchet », Le Débat, no 40, 1986/3.

Antoine Gobin Ancien élève de l’École nationale d’administration.

Pauline Hot Ancienne élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration.

Benjamin Huin-Morales Ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration, il occupe le poste de premier adjoint au maire dans la commune de Zimmerbach.

Source: https://esprit.presse.fr/article/antoine-gobin-et-pauline-hot-et-benjamin-huin-morales/pourquoi-servir-l-etat-43282