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Coup d’envoi officieux du marathon de l’Élysée

Le temps commence à être compté pour ceux qui rêvent de renverser la table, car les partis devront franchir l’étape des élections régionales, au mois de juin, pour espérer atteindre la ligne d’arrivée de l’Élysée.
Photo: Éric Feferberg Agence France-Presse

Christian Rioux

La vie politique française serait-elle en train de sortir de la léthargie dans laquelle l’a plongée l’épidémie deCOVID-19 ? Chose certaine, à un an exactement de l’élection présidentielle, l’agitation semble soudain s’emparer de l’Élysée.

Coup sur coup, il y a une semaine, le président Emmanuel Macron se rendait à Montpellier, où il annonçait le renforcement des effectifs policiers. Un peu plus tôt, il avait donné une entrevue au quotidien Le Figaro dans laquelle il annonçait une augmentation de 10 000 gendarmes et policiers d’ici la fin de son mandat. Le même week-end, il donnait une grande entrevue à l’émission Face the Nation à la chaîne américaine CBS News dans laquelle il affirmait qu’en matière de racisme, la France devait s’atteler à « déconstruire » son histoire.

Pour le professeur de la Sorbonne Arnaud Benedetti, il ne fait pas de doute qu’Emmanuel Macron est entré de plain-pied dans la campagne présidentielle. « Cette sursaturation est bien plus celle d’un candidat que d’un président, écrit-il dans Le Figaro ; elle témoigne d’une précipitation dans la séquence préélectorale avec une stratégie assez identique à celle qui fit sa réussite, où l’émetteur multiplie les signaux, quitte à brouiller les messages. »

« En même temps »

Alors que tous les sondages annoncent un nouveau duel Macron-Le Pen, le président est convaincu que l’élection se gagnera à droite, notamment sur le thème de la sécurité. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à surveiller sa gauche, à qui était clairement destinée l’entrevue accordée à CBS. Dans celle-ci, le président ne se contentait pas d’affirmer que, sur « la question de la race », la France devait « d’une certaine manière déconstruire [sa] propre histoire ».

C’est pourtant à gauche que les menaces semblent les moins grandes. Même réunis, ce qui est loin d’être le cas, les partis de gauche et d’extrême gauche ne parviendraient pas à rassembler plus de 28 % de l’électorat. Selon un sondage du Journal du dimanche publié le 10 avril dernier, aucun candidat de gauche ne se détache. Si Jean-Luc Mélenchon (LFI) atteint tout de même 13 %, il semble avoir perdu une grande partie des électeurs qui avaient voté pour lui au premier tour en 2017. Pour les autres ni la mairesse de Paris, Anne Hidalgo (PS), ni l’écologiste Yannick Jadot (EELV) ne franchissent la barre des 10 %.

Comme en 2017, le président français fera donc tout pour affronter Marine Le Pen (Rassemblement national) au second tour. Même si ses chances de victoire sont aujourd’hui moins grandes qu’il y a quatre ans. Pour cela, il est crucial qu’un candidat sérieux ne se détache pas à droite.

Surprise à droite ?

Pour l’instant, le seul nom qui surnage dans la droite traditionnelle est celui de l’ancien ministre et président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Depuis trois semaines, l’homme est sur tous les plateaux. Un jour, il brosse le portrait d’une France « Orange mécanique » et propose d’abaisser l’âge de la majorité pénale. Le lendemain, il suggère de modifier la Constitution pour lutter contre le terrorisme. Le surlendemain, il propose de baisser les impôts sur l’industrie. Comme Marine Le Pen, Xavier Bertrand veut un référendum sur l’immigration. À un an de l’élection, certains se demandent pourtant s’il n’en fait pas trop et s’il pourra tenir le rythme.

Car, avant de devenir un candidat crédible, Xavier Bertrand devra s’imposer dans son propre camp et ce qui reste du parti Les Républicains. Pour l’instant, rien n’est joué, puisqu’on ne sait même pas si le parti organisera une primaire pour départager les candidats. En attendant, Bertrand « ne fait pas rêver », écrit poliment sur Slate.fr le journaliste Benoît Helme.

Cette sursaturation est bien plus celle d’un candidat que d’un président; elle témoigne d’une précipitation dans la séquence préélectorale avec une stratégie assez identique à celle qui fit sa réussite, où l’émetteur multiplie les signaux, quitte à brouiller les messages— Arnaud Benedetti

À droite, certains rêvent plutôt de la candidature du journaliste et polémiste Éric Zemmour. Depuis l’automne,l’auteur à succès cartonne dans une émission quotidienne sur la chaîne CNews où il s’entretient aussi bien avec des ministres d’Emmanuel Macron qu’avec le philosophe anarchiste Michel Onfray. Si une équipe s’active autour de lui, l’homme n’a encore rien confirmé. Il continue de tâter le terrain en ouvrant notamment plusieurs comptes sur les réseaux sociaux.

Mais on ne passe pas si facilement du journalisme à l’action politique. « J’aurais souhaité qu’une candidature de ce type puisse prendre corps. Mais à l’heure qu’il est, elle n’a pas de consistance suffisante », a déclaré le maire de Béziers, Robert Ménard, dans le magazine L’Express. Après avoir sévèrement critiqué Marine Le Pen, Ménard s’est finalement rallié à sa candidature. Quant à celle qui a le plus à redouter d’une telle candidature, elle se contente de dire qu’« Éric Zemmour vaut mieux que de devenir la Taubira du camp national ». Une allusion à la candidature de Christiane Taubira qui avait rassemblé moins de 3 % des électeurs en 2002. Juste assez pour empêcher Lionel Jospin d’accéder au second tour de la présidentielle.

Le Pen présidente ?

Alors que les rumeurs bruissent de tous côtés, on ne voit toujours pas ce qui pourrait empêcher dans un an la réédition du duel de 2017 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Sauf qu’après un quinquennat chamboulé par la révolte des gilets jaunes et l’épidémie de COVID-19, Emmanuel Macron semble plus fragilisé, même s’il garde une popularité très honorable pour un président en fin de mandat.

Le 17 mars dernier, un sondage IFOP ne lui accordait pourtant qu’une victoire à 53 % sur la présidente du Rassemblement national. On est très loin des 66 % recueillis au soir du 7 mai 2017. Une majorité de Français considère qu’il a notamment échoué en matière d’immigration (68 %), de sécurité (66 %)et de pouvoir d’achat (64 %), nous apprend un sondage BVA.

En réalité, l’électorat est plus clivé que jamais. Selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès, proche des socialistes, non seulement Marine Le Pen est parmi les candidats celle qui a l’électorat le plus stable (89 % de ses électeurs du premier tour de 2017 la soutiennent toujours, contre 71 % pour Macron), mais son score a progressé dans tous les scrutins depuis cinq ans. Si la marche à franchir est encore haute, cela n’est plus impossible, soulignent les observateurs. Selon la même étude, son élection pourrait être favorisée soit par un fort vote de rejet d’Emmanuel Macron (comme ce fut le cas pour Sarkozy et Hollande), soit par une forte abstention à gauche envers le président.

Non seulement le Rassemblement national gagne en popularité, mais une partie de son programme a déjà conquis la droite traditionnelle quand il n’est pas repris par Emmanuel Macron lui-même. Pourtant, Marine Le Pen continue de traîner un fort déficit d’estime. Si le nombre de personnes ayant une très mauvaise opinion d’elle est passé de 50 % à 39 % en deux ans, même « dédiabolisée », sa personnalité est toujours jugée peu présidentiable par une majorité de Français.

Il lui reste un an pour changer cette image. D’ici là, les partis devront franchir l’étape des élections régionales, au mois de juin. Le temps commence à être compté pour ceux qui rêvent de renverser la table.

Le Devoir