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Entretien avec Patrick Stefanini

L’ancien directeur de campagne de François Fillon et Jacques Chirac, ex-préfet d’Auvergne, Patrick Stefanini, publiait, à l’automne dernier, « Immigration, ces réalités qu’on nous cache » (Robert-Laffont)
Peut-on, comme certains le font, tirer un trait entre terrorisme et immigration quand on sait par ailleurs que 80 % des attentats commis depuis 2015 sont le fait de ressortissants français ?
Ce lien existe, mais il n’est pas automatique. Il n’est pas ce que les mathématiciens appellent « bijectif ». Évidemment, tous les terroristes ne sont pas ni des étrangers, ni des immigrés. Ces quarante dernières années, la France a connu des mouvements terroristes qui n’ont rien à voir avec l’immigration. Telle Action directe dans les années 80.
Et même dans des attentats récents en France se réclamant du terrorisme islamiste, certains auteurs ne relèvent pas de l’immigration comme dans l’attaque au couteau de la préfecture de police de Paris. Il serait ainsi erroné de réduire le terrorisme à une question d’immigration.
Le sujet étant délicat, j’ajoute naturellement que tous les immigrés ne sont pas des terroristes. Une fois qu’on a dit ça, force est de constater que les attentats commis en France depuis 2015 l’ont été pour l’essentiel par des personnes parfois françaises, mais d’origine étrangère. C’est une réalité statistique.
Le profil des attentats a évolué, dites-vous.
Dans les années 80, les actes terroristes étaient commis par des étrangers venant en France pour réaliser un attentat puis tentant de s’échapper, y parvenant parfois. Ces attentats étaient souvent commandités par des puissances étrangères, comme par l’Iran, pense-t-on, en 1986. Ensuite, en 1995, la France a connu des attentats en lien avec la guerre civile qui secouait l’Algérie. Khaled Kelkal, enfant du regroupement familial, était abattu par la police dans la région lyonnaise. Plus récemment, depuis 2015, et c’est un phénomène nouveau, ces attentats sont commis par des gens qui ont une double nationalité, franco-algérienne, franco-belge…
Le lien avec l’immigration existe mais il serait simpliste et erroné de dire qu’il suffirait de couper l’immigration pour se protéger contre le risque terroriste.
On sait qu’on doit faire face sur le territoire à des Français de longue date mais qui se sont radicalisés et sont prêts à passer à l’acte ou à des familles d’origine étrangère dont certains membres basculent. On peut penser, et c’est ce que je pense, qu’il faut renforcer nos contrôles aux frontières, notamment extérieures à l’Union européenne, mais ce n’est pas une assurance tous risques pour autant.
Vous proposez de réduire le nombre de régularisations.
Avant la crise du Covid, en 2019, la France a délivré 274.000 titres de séjour à des ressortissants de pays hors Union européenne. Je ne propose pas l’immigration zéro, ça n’a pas de sens. En revanche, sur ces 274.000 titres, environ 30.000, plus de 10 %, ont été délivrés à des étrangers qui ne remplissaient pas les conditions. On parle « d’admissions exceptionnelles au séjour » pour des raisons diverses : attaches familiales en France, promesse d’un employeur…
Je pense qu’il faudrait réduire très sérieusement le nombre de régularisations, soit en les suspendant temporairement, soit en excluant, au minimum, les étrangers entrés de manière irrégulière sur le territoire français car ce n’est pas un acte qu’on fait par inadvertance.
Tout en faisant un sort à part, en vertu de la Convention de Genève, pour les demandeurs d’asile, persécutés dans leur pays. Pour réduire les flux migratoires, je préconise aussi une politique de quotas, ce qui implique une révision de la Constitution, et probablement un référendum, ainsi qu’une révision des accords bilatéraux qui nous lient à la plupart des grands pays d’immigration en France (Maghreb, Afrique subsaharienne…)
Vous estimez que la France n’est pas en capacité économique d’intégrer de nouveaux arrivants.
La France connaît depuis une quarantaine d’années un chômage de masse, plus important que ses voisins européens. Ce taux chez les immigrés était en 2018 supérieur à 15 %, soit le double de celui des non-immigrés. Si on a un effort à faire en priorité, c’est de former les immigrés déjà présents en France. On sait aussi que, chaque année, sortent de notre système scolaire environ 150.000 jeunes sans diplôme ni formation. Sauf cas particuliers de compétences très poussées, notre priorité ne devrait pas être de faire venir d’autres travailleurs immigrés, mais de conduire vers l’emploi toute une partie de la population.
Or, notre modèle d’intégration, à la française, est en panne. Lequel reposait sur l’école et le travail. Les étrangers venaient en France pour travailler, donc s’intégraient. Leurs enfants allaient à l’école, celle-ci constituant un puissant facteur d’intégration.
Le chômage de masse, le fait que notre système scolaire fonctionne moins bien comme le montre le classement Pisa… expliquent en partie cette panne. En contrepartie d’une limitation de l’immigration, il faudrait faire des efforts considérables pour intégrer ces nouveaux migrants car beaucoup viennent de pays n’ayant pas de liens historiques avec la France, où on ne parle pas le français (Somalie, Éthiopie, Érythrée, Pakistan, Afghanistan…). Ils sont donc complètement déracinés, d’où la nécessité de renforcer nos efforts d’intégration, sinon on court le risque de voir s’installer des ghettos aux pratiques communautaristes.
On ne peut plus dire aujourd’hui, comme Bernard Stasi autrefois, que l’immigration est une chance pour la France ?
Je ne raisonne pas avec ce type d’analyse car l’immigration est aujourd’hui largement régulée par des lois et des conventions internationales qui renvoient à des situations objectives. L’immigration estudiantine peut être une chance, par exemple, pour la France si les étudiants que nous avons formés en France repartent dans leur pays d’origine pour devenir des cadres, notamment dans les pays africains. Quant à l’immigration familiale, _ c’est le premier poste de l’immigration en France, à savoir un peu plus de 90.000 titres de séjour chaque année_ je ne raisonne pas en termes de chance ou pas chance. Ces personnes viennent uniquement parce qu’elles entretiennent des liens familiaux. Au bout de deux ou trois ans, elles cherchent un emploi et comme elles n’ont pas été sélectionnées en fonction de leur aptitude à occuper un emploi, de nouvelles poches de chômage se créent. La thématique de M. Stasi remonte à plus de 40 ans. La question n’est pas de savoir si l’immigration est une chance pour la France. La question est de faire le constat que notre modèle d’intégration est en panne.
Est-il possible en France de parler d’immigration sans instrumentaliser les chiffres ?
Je me suis efforcé de le faire. Je connaissais un peu le sujet, ayant exercé des responsabilités dans le pilotage de politiques migratoires, mais j’ai fait des recherches, j’ai appris et je m’efforce dans mon livre de présenter les choses de manière factuelle, sans hausser le ton. On peut parler de l’immigration sans monter dans les tours, ni tomber dans la caricature. Il faut dire les choses avec sérénité. On peut être en désaccord avec mes propositions mais j’ai essayé de mettre sur la table les éléments d’un diagnostic qui devrait être commun à tous ceux qui s’intéressent à ce sujet.
Pensez-vous qu’à l’horizon 2022 ces questions sécuritaires et d’immigration vont devenir centrales lors de la présidentielle ?
Je veux être clair. Je pense que l’immigration offre une clé de lecture des difficultés de la société française, mais ce n’est pas l’unique. Prenons notre classement Pisa. Le niveau de ces tests se vérifie sur tout le territoire national, alors que certaines régions françaises sont très peu touchées par l’immigration. Mon diagnostic et mes propositions ne sont pas les mêmes que ceux du Rassemblement national.
Propos recueillis par Florence Chédotal
Repenser la politique d’aide au développement
« Il faut repenser de fond en comble notre politique d’aide au développement, qui a dérivé depuis 20 ans », estime Patrick Stefanini. « On n’a plus de ministère de la Coopération, mais une agence, l’Agence française de développement, une banque en réalité, qui se préoccupe beaucoup plus d’accorder des prêts que de faire des dons. Et ces prêts concernent des pays émergents comme la Turquie, la Chine, l’Inde… C’est sans doute rentable financièrement mais cela ne participe absolument pas de la maîtrise de l’immigration. L’AFD n’aide pas assez en revanche des pays d’Afrique subsahariennne, comme ceux du Sahel, qui sont les plus pauvres du monde. Or, si on veut fixer la jeunesse africaine, il faut lui proposer des emplois chez elle. Cela suppose qu’on fasse à ces pays des dons, qu’on ait une politique de coopération, notamment en matière d’agriculture, d’énergie solaire, de santé… Le président de la République a commencé à infléchir dans ce sens notre politique d’aide au développement, mais il faudrait aller beaucoup plus loin ».