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Par Pascale Pascariello

À l’initiative de la population de Redon et d’organisations comme Amnesty et la Ligue des droits de l’homme, des centaines de personnes se sont rassemblées, samedi, pour dénoncer l’intervention des gendarmes des 18 et 19 juin, au cours de laquelle un jeune homme a eu la main arrachée.

Redon (Ille-et-Vilaine).– La pluie n’aura pas eu raison de leur détermination. Près de 300 personnes se sont retrouvées, à 11 heures, devant la sous-préfecture de Redon (Ille-et-Vilaine), pour exprimer leur colère et dénoncer les violences commises les 18 et 19 juin à l’encontre de 1 500 jeunes rassemblés pour une free party interdite dans un ancien hippodrome.

Sept heures durant, près de 400 gendarmes ont fait un usage massif de gaz lacrymogènes, de grenades de désencerclement et de GM2L (à composante pyrotechnique), ainsi que des lanceurs de balles de défense (LBD), pour empêcher que la fête ait lieu. Au cours de cette opération, un jeune a eu la main arrachée et plusieurs autres ont été blessés. 

Afin de rappeler la violence de cette intervention, les débris de grenades retrouvés sur le site ont été déversés sur le sol.  © PP © PP

« C’était le chaos, se remémore Clément, 20 ans, encore sous le choc de la nuit du 18 juin. Lorsque je suis arrivé, les gendarmes ne voulaient pas discuter. Ils nous ont tout de suite envoyé des lacrymos sans sommation, alors que certains étaient assis devant eux, les bras en l’air. »

Le jeune homme garde en mémoire cette main arrachée qu’il a vue, le « brouillard continu des gaz lacrymogènes rendant l’air irrespirable ». Les tremblements de sa voix trahissent l’émotion qu’il contient malgré tout, parce qu’il a « la rage. Celle d’avoir vécu une nuit d’horreur, de répression alors qu’[ils] voulai[ent] juste faire la fête ».

Ce charpentier, toujours profondément choqué, « pense sans cesse à celui qui a perdu sa main et aux bouleversements dans sa vie mutilée » : « Contrairement à ce qui a été dit, nous travaillons et tentons de nous construire un avenir. C’est inhumain et cela provoque un sentiment de colère. » Sans approuver les jets de cocktails Molotov qui ont pu être envoyés contre les gendarmes, Clément rappelle que c’était « en réponse à la violence des forces de l’ordre ».

Les mots lui semblent « bien vains » : « Ça ne suffit pas de dire que ça ne va pas. Comment allons-nous nous défendre et faire stopper cette répression ? C’est du fascisme qui n’en porte pas le nom mais c’est cela que nous vivons aujourd’hui. » Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP « Le scandale est grand !, lance alors une habitante de Redon, du haut d’un petit muret qui fait office de tribune pour les prises de parole. Peut-on trouver normal que près de 2 000 jeunes en fête se trouvent confrontés à plus de 500 gendarmes, des jeunes qui ne font que vivre ce dont leur âge leur permet de profiter, ces jeunes qui n’ont plus d’avenir que des petits boulots précaires, ces forces de l’ordre souvent lâchées comme des meutes sans frein ni loi ?», interroge-t-elle. 

« Le sous-préfet, dimanche matin, bien propre sur lui, se félicitait de l’ordre maintenu. […] C’est un choix vilement politique qui a prévalu. Juste avant des élections », poursuit-elle, avant d’appeler l’ensemble des « citoyens et citoyennes, de tous bords professionnels et politiques, à dénoncer cette attitude des pouvoirs en place qui privilégient la répression brutale à la négociation, et surtout à l’éducation ».
Pascal lors du rassemblement contre les violences policières à Redon (Ille-et-Vilaine), 26 juin 2021. © PP Pascal lors du rassemblement contre les violences policières à Redon (Ille-et-Vilaine), 26 juin 2021. © PP C’est aussi « une question de classe sociale », commente Pascal, 29 ans, habitant à quelques kilomètres de Redon. « Que vous soyez riche ou pauvre, vos droits ne sont pas les mêmes et le gouvernement ne vous réserve pas le même sort », constate-t-il en prenant l’exemple de la fête « de musique électronique organisée à l’Élysée, le 21 juin, alors que les jeunes qui l’ont faite le 18 juin dans un champ à Redon se sont fait gazer et que ceux qui étaient dans la rue le 21 juin, à Nantes ou Paris, ont eu droit aux matraques ». Sans activité professionnelle, Pascal donne de son temps à différentes associations en tant que bénévole. 

« Je suis au service des autres. Ce qui me paraît d’autant plus important dans les heures qu’on vit actuellement. On ne peut plus vraiment parler de démocratie. J’ai moi-même un profond dégoût du gouvernement et de l’institution policière », concède-t-il. Cela n’a pas toujours été le cas, puisqu’il y a quelques années, il a voulu entrer dans la police. « Mais en préparant les concours, j’ai déchanté en découvrant un système surtout répressif. On est loin de la notion de “police secours”, celle pour laquelle je respectais encore ce métier. » 

Pascal trouve d’un « cynisme terrible » l’intervention des forces de l’ordre sur cette free party organisée « en hommage à Steve [Maia Caniço], décédé lorsque les policiers ont chargé une fête sur les quai de la Loire à Nantes. Et là, que font-ils ? Ils refont la même chose. Et un jeune a une main arrachée ».

Difficile pour ce bénévole de « respecter la police. Surtout lorsqu’on voit un préfet faire des déclarations contradictoires pour ne pas assumer la casse du matériel ».Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP Le 19 juin, vers 17 heures, les gendarmes sont intervenus à nouveau, sur l’ancien hippodrome, pour saccager à coups de masse et de matraque les enceintes et les tables de mixage prévues pour la fête. Aucune demande en ce sens n’a été faite par le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, qui a tenu à précisé auprès de plusieurs médias, dont Mediapart, que «les gendarmes ont procédé sur instruction du parquet à la saisie conservatoire d’une platine, trois tables de mixage et trois amplificateurs. Les recherches pour identifier les propriétaires de ces biens se poursuivent. Aucune instruction du parquet de Rennes n’a été donnée au-delà ».

Seuls les articles 41-4 et 41-5 du code de procédure pénale prévoient la destruction de biens, dans des cas bien particuliers (par exemple lors des saisies de produits stupéfiants). Le code de la sécurité intérieure encadre, quant à lui, la saisie du matériel des rave parties, mais ne notifie, en aucun cas, sa destruction. 

C’est donc en toute illégalité que les gendarmes ont agi le 19 juin. Le préfet d’Ille-et-Vilaine Emmanuel Berthier s’est empêtré dans des communiqués contradictoires. Après avoir nié l’ordre de destruction, il a finalement reconnu avoir demandé à ce que le matériel soit saisi et rendu « inopérant »

Mais la responsabilité du préfet n’est pas la seule pointée du doigt. C’est également au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin que plusieurs associations demandent des comptes. Lors de leurs prises de parole, Patrick Rothkegel et Mireille Spiteri, représentants de la Ligue des droits de l’homme de Rennes et de Redon, ainsi que Pascal Trochet, secrétaire général du syndicat Solidaires 35, ont rappelé que « Gérald Darmanin devra[it] rendre des comptes »Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP Ils ont convié l’ensemble des jeunes à venir déposer leurs témoignages auprès de l’Observatoire rennais des libertés publiques (Orlib), qui fera « tout pour que la vérité soit faite sur les violences commises par les forces de l’ordre »,observatoire qui, dès le 22 juin, a interpellé dans un courrier que nous avons publié (à lire ici) le ministre de l’intérieur et le préfet d’Ille-et-Vilaine.

Amnesty a également annoncé l’envoi d’un courrier au ministre de l’intérieur « pour qu’une enquête impartiale et indépendante soit menée », précise Marie-Françoise Barboux, secrétaire générale d’Amnesty-Rennes. « Cette opération des forces de l’ordre ne semble ni légitime ni proportionnée, poursuit-elle, avec le recours à des armes de guerre, dont les grenades explosives et les LBD, dont nous ne cessons de demander l’arrêt en France. » Françoise et Edwige, lors du rassemblement contre les violences policières à Redon (Ille-et-Vilaine), 26 juin 2021. © PP Françoise et Edwige, lors du rassemblement contre les violences policières à Redon (Ille-et-Vilaine), 26 juin 2021. © PP Collée l’une contre  l’autre sous leur parapluie, Françoise et Edwige tentent de « se réchauffer et de retrouver un peu le moral ». Rejointe par Noé, son fils de 27 ans, Françoise est « inquiète ». « Les jeunes n’ont plus de liberté », s’énerve-t-elle. Les larmes la submergent lorsqu’elle pense « à ce jeune qui a perdu une main ». « C’est insoutenable. Ça aurait pu être mon fils. Quel avenir leur réserve-t-on ? »

Son fils, Noé, rappelle que ces fêtes sont « gratuites pour une jeunesse qui ne roule pas sur l’or et qui rêve d’autre chose que des discothèques ou de consommer ». Mécanicien, il se rend régulièrement dans des free parties, « qui s’organisent dans des lieux qui ne dérangent personne, en plein air, dans des friches par exemple ». « Il y a une cohésion qui se crée dans ces fêtes auxquelles on a encore accès, contrairement aux gros festivals de musique qui coûtent cher. »

Depuis trois ans, il constate que le dialogue avec les autorités est « toujours plus difficile » : « [Cela] crée des situations de plus en plus dangereuses pour nous. Ils nous mettent en danger au lieu de nous protéger. »  

Enseignante à la retraite et grand-mère de trois petits enfants, Edwige est remontée de « voir comment on casse une jeunesse » : « On veut en faire des moutons qui consomment sans réfléchir en leur réservant des boulots précaires. C’est cela l’avenir qu’on veut pour nos enfants ? »

Elle ne se résout pas à devoir un jour dire à ses « petits-enfants qu’ils n’auront plus le droit de danser » : « Et pour cela, je soutiendrai jusqu’au bout toutes les procédures qui seront engagées pour faire la lumière sur ce qu’il s’est passé à Redon. » 

À quelques mètres de là, Jean-Marie, 60 ans, et sa fille Lena, 19 ans, sont venus apporter leur soutien à « ce jeune qui a perdu sa main et à ces jeunes qui ont simplement voulu faire la fête » .

Sans être un fan de la musique « électronique », c’est parce que « la situation n’est plus acceptable et que le niveau de violence a atteint un degré plus qu’inquiétant » que cet ingénieur agricole, habitant de Redon, s’est joint au rassemblement. « C’est terrible pour ma génération de voir qu’on est en train de taper sur la gueule de notre jeunesse. Une société qui fait cela va très mal. » 

Peu coutumier des manifestations, Jean-Marie constate qu’après le droit à manifester, c’est « le droit de faire la fête et de s’exprimer pour toute une jeunesse qui est remis en question ».  

À ses côtés, Christine, 50 ans, a eu peur pour son fils le soir du 18 juin. « Il va souvent à des fêtes comme celle-ci et j’ai attendu des heures avant d’avoir de ses nouvelles. Par chance, il n’y était pas. Et voilà où nous en sommes arrivés, à avoir peur que nos enfants aillent faire la fête », regrette-t-elle. Témoin d’une mutilation lors d’une manifestation à Bordeaux, son fils ne va plus « manifester. Désormais il ne va plus aller dans ces fêtes qui étaient encore des espaces de liberté, quoi qu’on en pense ».

Mais à ces mots, Jean-Marie tente de « combattre la peur » : « Nous ne devons pas vivre terrorisés. C’est toute la difficulté de cette époque où le gouvernement entretient ce climat de peur. C’est très dangereux. » 

Mediapart