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Par Scarlett HADDAD
S’il était prévisible que le secrétaire général du Hezbollah évoque dans son discours de vendredi la situation gouvernementale et cherche avec une précision de joaillier à faire l’équilibre entre ses deux alliés en conflit, le président de la Chambre et le chef du Courant patriotique libre, l’élément nouveau par contre était la partie qu’il a consacrée à l’armée libanaise.
Il est en effet rare que « le sayyed » parle de l’institution militaire avec une telle franchise et la dernière fois qu’il l’a fait, c’était lors de la bataille du jurd de Ersal en 2017, que le Hezbollah avait commencée, avant de céder la place aux militaires dans la partie proche de cette localité. Hassan Nasrallah a donc clairement déclaré que « l’armée libanaise est la véritable garantie de la stabilité et de la sécurité au Liban ». Contrairement à ce qui se dit dans les coulisses diplomatiques et à ce qu’insinuent les détracteurs du Hezbollah, il a ainsi affirmé que sa formation a intérêt à ce que l’armée soit renforcée, même si l’aide vient des États-Unis. Comme le dirigeant chiite a l’habitude de peser chacun de ses mots, il s’agit donc d’une déclaration destinée à démentir toutes les rumeurs sur une présumée méfiance du Hezbollah à l’égard de l’armée, surtout en raison de l’aide que lui fournissent les Américains. D’autant que, selon certains analystes, l’aide US pourrait avoir pour objectif caché de pousser l’armée à mener la guerre à la formation pro-iranienne. Les propos de Hassan Nasrallah font d’ailleurs suite à une visite très remarquée effectuée par le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, au commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Cette visite avait d’ailleurs été interprétée comme un message de soutien du parti chiite à la troupe et à son chef, au moment où ce dernier se trouve au cœur d’une polémique politique qu’il n’a pas voulue.
Selon des sources proches du Hezbollah, les propos du secrétaire général ne se limitent pas à cet aspect purement politique. En effet, dans ses différentes réunions d’évaluation de la situation, le Hezbollah décortique en profondeur les développements internes et étudie les différents scénarios possibles. L’un d’eux consiste en une paralysie politique prolongée suivie d’une aggravation de la situation sociale et économique, qui pourrait provoquer une explosion populaire dont chercheraient à profiter les fauteurs de troubles. Certains rapports de sécurité font même état d’un processus de militarisation chez certains partis, comme à la veille du déclenchement de la guerre civile en 1975. Même si ce phénomène ne s’est pas encore généralisé, et même si la décision de déclencher un conflit au Liban n’est pas une question purement intérieure, le Hezbollah prend au sérieux les risques de dérapages et le scénario de troubles sécuritaires. S’il pense qu’en matière d’expérience et d’équipements militaires sa force surpasse celle des autres formations, le parti chiite estime en même temps qu’il ne sera pas facile pour lui de se battre contre des adversaires libanais. La plaie provoquée par les affrontements du 7 mai 2008 (entre le Hezbollah d’un côté, le PSP et le courant du Futur de l’autre, suite à une décision du gouvernement présidé par Fouad Siniora de s’en prendre au système de communication du Hezbollah) n’est pas encore totalement cicatrisée. Le Hezbollah qui refuse de trop s’impliquer dans les questions de politique intérieure pour ne pas s’enliser dans les sables mouvants libanais ne veut pas, à plus forte raison, se laisser entraîner dans des combats internes. Il estime donc que l’armée est la véritable garantie de la sécurité et de la stabilité au Liban car elle est en mesure de s’interposer entre d’éventuels belligérants et d’imposer le calme, d’autant que cette institution est celle qui bénéficie encore de la plus grande confiance populaire.
D’une certaine façon, on peut donc dire que la politique américaine rejoint celle du Hezbollah sur le plan de l’appui à l’armée. Même si chacune de ces deux parties agit pour des raisons qui lui sont propres. Ce qui est sûr, c’est que ce soutien affiché à l’institution militaire confirme la tendance internationale qui refuse de laisser le Liban sombrer dans le chaos. Car celui-ci n’arrange ni les Occidentaux ni « l’axe de la résistance ».
Même si la crise politique devait se prolonger, entraînant une dégradation encore plus violente des conditions de vie des Libanais, l’armée restera donc le recours pour empêcher le pays de glisser vers le démembrement ou vers l’effondrement total.
C’est une lourde responsabilité qui pèse sur les épaules de l’armée en ces temps difficiles où les Libanais vivent une véritable inquiétude pour l’avenir et où le discours sur un changement de système de gouvernance est de plus en plus évoqué dans les médias et par certaines parties politiques.
À ce sujet, certains parlent d’amender l’accord de Taëf pour faire en sorte que le système puisse fonctionner sans dépendre du bon vouloir des responsables ou de l’action « d’un tuteur ». D’autres évoquent l’abolition totale du confessionnalisme et l’instauration d’un État civil et d’autres encore parlent de fédéralisme, qui dans le cas du Liban, selon un spécialiste en sciences politiques, serait un processus de division, non de rassemblement… En attendant les solutions, la priorité pour tous est donc d’éviter le chaos.