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Pour l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, il serait hasardeux de tirer des leçons catégoriques des scrutins des 20 et 27 juin pour l’élection présidentielle.

Par Alexandre Devecchio

Les régionales auront été marquées par une abstention massive inédite. Comment l’expliquer?

Henri GUAINO. – Il est fascinant de voir comment une situation de ce genre est analysée et commentée les soirs d’élection où chacun est sommé de trouver une explication, politicienne pour les politiciens, systémique pour les analystes, définitive pour les journalistes. Au soir du deuxième tour, comme du premier, on a bâti sur les plateaux beaucoup de théories sur le sable de la vieille politique du temps où tous les partis n’étaient pas en crise et où l’idéologie tenait encore une place importante dans les comportements électoraux. Or aujourd’hui, sur les décombres des partis et des idéologies, la sociologie, ou plutôt la psychosociologie a pris une place beaucoup plus importante.

C’est d’abord ce glissement vers la psychologie et la sociologie qu’exprime cette exceptionnelle poussée d’abstention qui, dans le cas présent, n’est pas répartie à peu près uniformément dans le corps électoral mais touche principalement des catégories particulières: jeunes, actifs, classes populaires. Il n’y a dès lors pas lieu de chercher des explications compliquées. La meilleure est que, si la plupart des Français ne sont pas allés voter, ce n’est pas dû à l’effondrement du civisme ou au rejet de tel parti en particulier, mais c’est, tout simplement, que ce scrutin ne les intéressait pas: dans la crise qui les met à rude épreuve, ils n’en voyaient pas les enjeux pour eux-mêmes. Et, au fond, comment leur donner tort?

Est-ce l’échec de ceux qui réclament plus de décentralisation?

L’abstention mesure en tout cas le gouffre abyssal qui sépare ceux qui, au sommet de la société, crient en sautant sur leur chaise «Décentralisation! Décentralisation!» à chaque fois qu’on leur soumet un problème à résoudre, et les attentes de la multitude pour laquelle cette pensée magique n’a pas le moindre effet sur leur vie quotidienne ni sur l’avenir de leurs enfants. Logiquement, aux yeux de la plupart des Français, les enjeux des scrutins départementaux et régionaux sont purement gestionnaires. Les préoccupations de ceux qui n’ont pas voté sont ailleurs. Savoir qui entretient le collège et le lycée compte moins pour eux que ce que l’on y enseigne à leurs enfants et quelles chances cela leur donne dans la vie.

Qui au demeurant s’y retrouve dans le maquis des compétences, de l’État, des communes, départements et régions, compliqué encore par celles des métropoles, communautés urbaines et grandes intercommunalités, toutes ces structures pour lesquelles on ne vote pas? Cette abstention, c’est aussi l’échec des grandes régions, cette très mauvaise idée que l’on doit à François Hollande et qui a encore éloigné les citoyens des élus. Mais comme toujours, les grands prêtres de la pensée formatée diront, comme ils le disent pour l’Europe à chaque fois qu’elle est désavouée, que c’est parce que la décentralisation n’est pas allée assez loin…

N’est-ce pas le double désaveu d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen? Et le début de la fin de ce clivage?

Si les gens ne sont pas allés voter parce que cela ne les intéressait pas, on ne peut pas en tirer de leçons de ce genre. Le RN a connu un revers électoral parce que la sociologie de son électorat était la moins sensible à l’enjeu de ce scrutin. Il est d’abord victime d’une sorte de bon sens populaire, qui n’a pas toujours raison, mais qui jauge les enjeux politiques à l’aune de sa propre vie depuis que la motivation idéologique s’est estompée.

Je ne sais pas si c’est la fin de ce clivage qui, pour être réel, n’en est pas moins réducteur, mais ce qui est certain, c’est que l’idée selon laquelle le fait que la colère populaire ne se soit pas exprimée dans les urnes à cette occasion signifierait qu’on l’avait surestimée, et qu’au fond, elle n’existe pas, procède d’un dangereux aveuglement. Si l’on tourne le dos à cette colère parce que, finalement, elle n’empêche pas de gagner des élections où votent un tiers des électeurs, elle finira par nous sauter violemment à la figure, dans les urnes ou autrement.

Le RN échoue partout. Cela signifie-t-il que sa stratégie de normalisation ne fonctionne pas et que le plafond de verre est impossible à briser pour le RN?

Je ne sais pas si cette stratégie est bonne ou mauvaise. Elle ne s’appliquait en tout cas pas à ce type d’élection. J’ai tendance à penser que le noyau dur de l’électorat de Mme Le Pen, qui cette fois-ci n’a pas voté, n’est pas très sensible à ce genre de débats. Encore une fois, c’est un vote avant tout sociologique. La stratégie que vous évoquez s’adresse surtout à l’électorat qui est au-delà de ce noyau dur, dans la perspective de la présidentielle, pour briser le fameux plafond de verre.

Marine Le Pen est-elle assurée d’accéder au second tour de la présidentielle?

Toute projection sur la présidentielle est un château de sable qui se dispersera au premier coup de vent. Cela ne veut pas dire que, psychologiquement, le coup n’est pas rude pour Mme Le Pen. Et encore moins que le duel avec Emmanuel Macron au second tour est assuré, parce que la présidentielle ne se passe jamais comme on l’annonce un an avant. Cependant, la présidentielle, ce n’est pas une confrontation de partis mais de personnalités, cela change tout. Et les enjeux de la présidentielle sont beaucoup plus compréhensibles.

Croyez-vous au retour de la droite?

Ni de la droite, ni de la gauche, ni du centre. Le système des partis est en ruine car les partis n’ont plus de ciment idéologique. Sans enracinement dans des familles politiques qui sont des courants d’idées profonds, ils ne structureront pas la vie politique qui en a pourtant besoin. La droite a besoin d’un courant gaullo-bonapartiste pour se ressouder autour de lui. Elle ne se ressoudera pas autour d’un courant néo-libéral orléaniste.

Le pire serait, pour la droite comme pour la gauche, de bâtir des stratégies politiques sur les illusions du trompe-l’œil des régionales, où seuls militants et sympathisants des partis, ceux dont le vote est affilié à ces partis, sont allés voter. Le fait que tous les sortants soient reconduits, avec une très faible part des inscrits, renforce la thèse de ce petit vote uniquement partisan et aussi celle d’une perception purement gestionnaire de ces mandats: les présidents sortants n’ayant pas démérité sur ce terrain, va pour les sortants!

L’élection présidentielle reste-t-elle la mère de toutes les batailles électorales?

Oui, bien sûr et à cause du quinquennat, de l’inversion du calendrier, c’est la seule. Au-delà du débat qu’il faudra bien avoir sur les méfaits du quinquennat, la présidentielle exprime le besoin d’incarnation de la politique dans une société où pullulent les pouvoir anonymes sur lesquels les citoyens ont l’impression de n’avoir plus aucune prise. N’abîmons pas ce legs gaullien en affaiblissant la fonction présidentielle ou en bricolant le système électoral: ces régionales, c’est aussi l’échec d’un scrutin à la proportionnelle incompréhensible et qui donne la primauté aux apparatchiks.

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