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Samedi, plus de 160 000 manifestants dénonçaient la prétendue « dictature sanitaire » que constitue, selon eux, le projet de loi étendant le passe sanitaire. Le gouvernement doit veiller à ce que les contraintes s’exerçant sur les individus restent proportionnées à l’urgence du moment.

La crise sanitaire qui sévit depuis un an et demi oblige le pays à une réflexion approfondie sur la liberté. Le concept, inscrit dans la devise nationale, semblait aller de soi jusqu’à ce que, sous la contrainte d’une quatrième vague épidémique, le gouvernement soumette au Parlement un projet de loi étendant le passe sanitaire et rendant obligatoire la vaccination pour les soignants, les sapeurs-pompiers et les professionnels au contact des personnes âgées. Le texte, adopté dimanche 25 juillet par le Parlement, soulève depuis une semaine des débats passionnés entre défenseurs irréductibles de la liberté individuelle et partisans d’un civisme sanitaire qui passe par l’amputation temporaire de certaines libertés individuelles.

Les dispositions qui ont mis le feu aux poudres sont loin d’être anodines : pour pousser les plus rétifs à se faire vacciner, le gouvernement s’est résolu à opérer une discrimination entre ceux qui ont reçu leur dose et ceux qui ne l’ont pas encore réclamée, au prix d’un contrôle sanitaire dans les bars et restaurants, foires et salons, transports publics (pour les longs trajets) et établissements de santé. Au moins, quatre droits se trouvent ainsi amputés : la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience, le droit de refus de se soumettre à un traitement, la protection de la vie privée et des données personnelles de santé. Cela fait beaucoup au pays des droits de l’homme.

Au Parlement, deux partis, La France insoumise et le Rassemblement national, se sont faits les défenseurs irréductibles de la liberté individuelle en accusant le passe sanitaire d’être le vecteur d’une politique « autoritaire et arbitraire » conduisant à « une société de contrôle et de contraintes ». Les autres partis ont, en revanche, admis avec plus ou moins d’allant qu’une amputation de la liberté individuelle était devenue, à ce stade, nécessaire pour viser l’immunité collective. Hostile au passe sanitaire, le PS a préconisé comme alternative la vaccination obligatoire, qui est une mesure encore plus coercitive. Quant à la droite, son unique souci a été de trouver le meilleur équilibre possible entre contrainte sanitaire et préservation des libertés individuelles.

« Irresponsabilité » et « égoïsme »

Au terme d’un compromis fructueux entre députés, sénateurs et gouvernement, la durée de l’état d’urgence sanitaire a été raccourcie, le passe sanitaire a été supprimé dans les centres commerciaux, de même que la possibilité de licencier des employés réfractaires à la vaccination. C’était l’une des dispositions les plus controversées du texte.

Le débat s’est cependant prolongé dans la rue, où plus de 160 000 manifestants ont de nouveau défilé, samedi 24 juillet, pour dénoncer une prétendue « dictature sanitaire ». La coalition, hétéroclite, rassemblait des réfractaires à la vaccination et d’irréductibles opposants à Emmanuel Macron. C’est à elle que le président de la République s’est adressé, le lendemain, sous la forme d’une sévère mise au point : « La liberté où je ne dois rien à personne n’existe pas », a asséné le chef de l’Etat,en dénonçant l’« irresponsabilité » et l’« égoïsme » de ceux qui, au nom de la préservation de leur liberté personnelle, prennent le risque de propager le virus ou d’engorger les hôpitaux.

Ce nécessaire recadrage valait leçon de civisme, au moment où l’individualisme forcené de quelques-uns compromet la possibilité d’une sortie rapide de l’épidémie. Il suppose en contrepartie que le gouvernement ait pleinement conscience des limites à ne pas franchir : les contraintes qui vont s’exercer sur les individus doivent rester strictement proportionnées à l’urgence sanitaire, soumises au contrôle des juges et limitées dans le temps. Faute de quoi les défenseurs de la liberté auront légitimement raison de vouloir résister.

Le Monde