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formation du gouvernement, Iran, le Hezbollah Libanais, Liban, pétrole iranien
Par Scarlett HADDAD
« Nous en sommes au sprint final dans la course pour la formation du gouvernement, il ne reste que quelques mètres à parcourir », a déclaré mardi après-midi le Premier ministre désigné Nagib Mikati. Mais ce sprint peut mener à la victoire… ou à l’échec. Le suspense est donc encore total, et les Libanais qui se débattent dans des conditions de vie plus que pénibles retiennent leur souffle. Toutefois, depuis le début de la semaine, un élément nouveau est intervenu dans le processus politique. Les propos du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, sur l’imminence de l’arrivée du fuel et du mazout iraniens au Liban ont secoué les milieux diplomatiques et politiques. Tous ceux qui ont écouté ou lu le chef du Hezbollah sont convaincus qu’il ne s’agit plus de promesses vagues, mais d’une décision qui est en voie d’exécution. Il avait en effet affirmé dimanche soir que toutes les dispositions ont été prises pour que le carburant iranien arrive au Liban en plein jour. Il a aussi précisé qu’il annoncerait très prochainement la date de cette arrivée. La fermeté du ton ne laissait aucune place au doute.
Immédiatement, les milieux diplomatiques et politiques ont multiplié les contacts pour avoir des détails à ce sujet. D’ailleurs, ce sont essentiellement les milieux diplomatiques occidentaux qui tentaient d’obtenir des précisions sur les intentions du Hezbollah et sur le déroulement pratique de l’opération de transport du carburant vers le Liban. À cet égard, des sources diplomatiques occidentales sont convaincues que Nasrallah n’aurait pas fait une telle déclaration si les cargaisons de fuel et de mazout n’avaient pas déjà entamé leur chemin vers le Liban. Ces mêmes sources se sont aussi arrêtées sur le timing de l’annonce du secrétaire général du Hezbollah, au moment où les Libanais, toutes tendances confondues, subissent les conséquences terribles de la pénurie de carburants. La situation pour eux est devenue tellement intenable qu’ils ne se soucient plus de connaître l’origine de l’essence ou du mazout. Tout ce qu’ils veulent désormais, c’est en avoir pour leur consommation. D’ailleurs, dans ce contexte de crise aiguë, l’annonce de Hassan Nasrallah, qui aurait pu provoquer un tollé de la part des adversaires du Hezbollah et du camp hostile à l’Iran au Liban, n’a pas suscité de grandes critiques. Au contraire, même dans les médias opposés au Hezbollah, les critiques sont restées de pure forme, l’attention générale se concentrant sur la date de l’annonce de l’arrivée du carburant iranien et sur les moyens de s’en procurer.
Face à la possibilité de laisser le Hezbollah profiter populairement de cette démarche, les milieux diplomatiques auraient décidé de réagir. Selon des informations concordantes, au cours de la dernière rencontre entre l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, et le chef de l’État Michel Aoun, lundi à Baabda, la question du carburant iranien a été longuement évoquée, en plus du dossier gouvernemental. Pour la diplomate, il était impératif d’empêcher le fuel, le mazout et l’essence iraniens d’arriver au Liban, sous peine de nouvelles sanctions. Mais le président a estimé qu’il ne pouvait pas empêcher le Hezbollah d’importer ces produits, alors que les Libanais en ont désespérément besoin dans leur vie quotidienne et que l’État n’a rien à leur proposer pour lutter contre cette pénurie.
Selon les sources diplomatiques précitées, ce constat aurait ébranlé le camp hostile au Hezbollah qui a vu dans cette perspective la possibilité de perdre les points marqués au cours des dernières semaines. Dans les conditions extrêmement pénibles que traversent actuellement les Libanais, l’arrivée du carburant iranien serait ainsi perçue comme une délivrance, et il fallait donc empêcher que cela se produise. Mais pour atteindre cet objectif, les options restaient limitées, car bombarder les cargaisons pourrait provoquer une guerre et, à ce sujet, Hassan Nasrallah a aussi été très clair. Le plus simple, c’était d’accélérer la formation du gouvernement. En même temps, et tout comme il avait pris la décision soudaine de lever les subventions sur l’importation des carburants, le gouverneur de la banque centrale a brusquement décidé mardi d’ouvrir des crédits pour l’importation de mazout au taux d’un dollar à 3 900 livres. Même si cette décision est justifiée juridiquement par le fait que l’arrivée des deux bateaux chargés de mazout était déjà prévue avant la décision de lever les subventions, le timing de l’annonce ne peut pas être isolé du contexte général du pays. En tout cas, elle est de nature à soulager un peu les Libanais, mais sans plus.
La formation rapide d’un nouveau gouvernement devient donc une exigence générale interne, mais aussi internationale. Les tiraillements locaux et les enjeux purement politiques deviendraient par contre secondaires, la priorité étant désormais d’arrêter l’effondrement général du pays… qui pourrait profiter au Hezbollah. Les prochains jours devraient être décisifs : soit le pays aura un nouveau gouvernement, soit il plongera dans un abîme sans fond aux multiples inconnues.