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Dans un contexte marqué par le moindre intérêt américain pour l’Europe, et par les incertitudes allemandes, la coopération franco-britannique devient un élément central de la sécurité du continent.
François Nordmann
J’ai toujours été frappé par l’antagonisme qui existe entre la France et la Grande-Bretagne et qui contraste avec la réconciliation entre la France et l’Allemagne. C’est plus une question d’attitudes et d’atavisme que de fond, mais les rivalités historiques qui ont opposé jadis les deux pays survivent dans les récits populaires. Heureusement, cet héritage compliqué n’a pas empêché des collaborations parfois très poussées. Actuellement, la relation franco-britannique passe par une phase de crise et de tensions.
Le premier facteur en est le Brexit. Le président Macron a dénoncé les mensonges qui ont émaillé la campagne menée par Boris Johnson contre l’UE lors du référendum de 2016; de son côté, le gouvernement britannique considère que la France s’est montrée la plus intransigeante dans la négociation du Brexit. Le «journal de bord» (La Grande Illusion) de Michel Barnier, le négociateur en chef de l’Union, candidat à la présidence de la République française, vient d’être traduit en anglais et illustre la faiblesse de la position britannique tout au long des pourparlers.
L’ombre du Brexit
Aujourd’hui, la France se plaint des réticences britanniques à mettre en œuvre le traité réglant les modalités du retrait du Royaume-Uni. L’accès des pêcheurs français aux eaux britanniques dans la Manche est contesté par Londres, qui remet en cause également le protocole relatif à l’Irlande. Un autre contentieux a trait au refoulement des embarcations amenant des migrants illégaux sur les côtes anglaises à partir de Calais. C’est dans ce contexte défavorable qu’a éclaté l’affaire du traité de sécurité Aukus. Paris considère comme méprisable le rôle joué par la Grande-Bretagne, jugée opportuniste, dans la nouvelle alliance avec l’Australie et les Etats-Unis. Le coup de téléphone entre le premier ministre Boris Johnson et le président Macron vendredi dernier n’a pas clarifié l’atmosphère, à la différence de la conversation Macron-Biden du 22 septembre dernier.
Ces différends entre alliés masquent pourtant l’importance des liens stratégiques qui existent entre les deux puissances nucléaires, dotées des plus importantes forces armées en Europe, toutes deux membres permanents du Conseil de sécurité. Les traités de Lancaster House établissent un simulateur commun d’essais nucléaires, sur un site unique en Bourgogne, ce qui est une marque de confiance toute particulière. Ils créent également un corps expéditionnaire combiné et organisent une coopération renforcée de l’industrie de défense des deux pays, notamment dans le secteur des drones. Mais le Brexit et la priorité donnée par le président Macron à l’autonomie stratégique de l’UE empêchent ces instruments de déployer leur potentiel. C’est l’avis de Lord Ricketts – j’emprunte ces informations à son essai intitulé Hard Choices («Des choix pénibles») paru au début de cette année.
Des sous-marins propulsés par Rolls-Royce
Les deux pays collaborent étroitement au sein de l’OTAN, de la Méditerranée à la Baltique. Tandis que le premier ministre Johnson se moquait des réactions françaises à l’alliance Aukus, ses ministres ont au contraire cherché à ménager Paris et à souligner l’importance du rôle que joue la France à la fois dans la sécurité de l’Europe et dans celle de la région indo-pacifique. Paris a sans doute tort de sous-estimer l’apport du Royaume-Uni à la nouvelle alliance AUKUS, ce sont des moteurs Rolls-Royce qui vont équiper les sous-marins australiens, ce qui donnera lieu à d’importantes avancées technologiques dans des domaines de pointe tels que l’intelligence artificielle, les calculs quantiques et l’acoustique.
Dans un contexte marqué par le moindre intérêt américain pour l’Europe, et par les incertitudes allemandes, la coopération franco-britannique devient un élément central de la sécurité du continent. Les deux parties devraient faire l’effort de régler leurs différends, qui sont peu ou prou liés au Brexit. Le dixième anniversaire des accords de Lancaster House et la présidence française de l’Union européenne dans trois mois devraient permettre de relancer l’axe sécuritaire entre Londres et Paris pour tenir compte des nouvelles données stratégiques en Europe, y compris le défi que pose la montée en puissance de la Chine.