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Y a-t-il encore une droite et une gauche en France ? De toute évidence oui, car la classe politique n’a pas de difficulté à se définir par rapport à ces deux pôles. Il n’empêche que leur contenu a beaucoup fluctué au cours des deux derniers siècles, avec de surprenants tête-à-queue.

L’affrontement entre la « droite » et la « gauche » est l’essence de la démocratie moderne. Apparu sous la Révolution française, il traduit l’opposition entre « conservateurs »  et « progressistes ».

• Les « conservateurs » (la droite) voient la politique comme l’art de gérer au mieux les faiblesses humaines. Ils font confiance pour cela aux traditions et aux lois sanctifiées par l’épreuve du temps et s’efforcent de les concilier avec les contraintes du présent. Soucieux de préserver les équilibres fragiles hérités de l’Histoire, ils prétendent remonter le courant lorsque celui-ci se fait trop violent.

• Les « progressistes » (la gauche) aspirent à corriger les faiblesses humaines et créer un Homme nouveau par la catéchèse et la contrainte. De la lutte des classes à la décarbonation de la société, ils ambitionnent d’entrer dans le monde à venir en faisant table rase du passé. Ils se flattent de toujours suivre le courant dominant. C’est ce que nous enseigne le survol des deux derniers siècles.

La gauche a ainsi longtemps été favorable à la peine de mort (jugée nécessaire pour sauver la Révolution) et à la colonisation (une manière d’étendre la civilisation) ; elle a été aussi hostile au vote des femmes (coupables de trop écouter leur curé) et a longtemps stigmatisé les juifs cosmopolites. En 1940, beaucoup de leaders de gauche ont soutenu le régime de Vichy par pacifisme. En 1983, la gauche socialiste a pris le train du néolibéralisme sans barguigner dès lors que celui-ci lui a semblé aller dans le sens de l’Histoire. Elle a entériné dans les années 1980 l’immigration de peuplement après avoir pendant un siècle dénoncé le recours à des travailleurs étrangers. À l’aube du XXIe siècle, elle a aussi paré de toutes les vertus le « multiculturalisme » après l’avoir diabolisé…

André Larané

Une invention française

La « droite » et la « gauche » apparaissent en France très précisément le 11 septembre 1789. Ce jour-là, les députés de l’Assemblée constituante, réunis pour délibérer sur le droit de veto accordé au roi Louis XVI, se répartissent spontanément de part et d’autre du président : à droite, aux places d’honneur, les « monarchiens » désireux d’accorder au roi un droit de veto absolu ; à gauche, les opposants qui veulent limiter dans la durée son droit de s’opposer aux lois. 

De cette répartition des députés par affinités datent les clivages entre une droite (réputée réactionnaire ou conservatrice) et une gauche (réputée révolutionnaire ou réformiste) qui rythment aujourd’hui encore la vie politique dans toutes les démocraties.

Dès les débuts de la Révolution, donc, on voit se dessiner le fil conducteur de cet affrontement entre des hommes désireux les uns comme les autres d’assurer le bien-être de leurs concitoyens et la prospérité du pays : d’un côté ceux qui souhaitent améliorer les institutions existantes avec pragmatisme, en s’appuyant sur la tradition, la religion et les lois coutumières ; de l’autre ceux qui appellent à faire table rase du passé et construire un monde nouveau. Ces derniers, qui représentent la gauche, ont pour guide spirituel sous la Révolution Jean-Jacques Rousseau, mort peu avant, en 1778. Robespierre en est un fervent disciple.

Après l’échec de sa fuite à Varennes (21 juin 1791), le roi forme un gouvernement de droite avec des ministres issus du club des Feuillants, partisans d’une monarchie constitutionnelle (comme Lafayette, Barnave, Le Chapelier, La Rochefoucauld-Liancourt…). Mais le 23 mars 1792, il remplace ces modérés par des députés de gauche issus du groupe des Girondins, parce que ces derniers souhaitent comme lui, mais pour des raisons opposées, engager la guerre contre les puissances européennes.

Au sein de la gauche, les Girondins s’opposent à la Montagne et à leur chef Robespierre, qui refuse la guerre et se montre même hostile à la peine de mort. Mais quand le pays sera envahi et la Révolution menacée, Robespierre n’hésitera pas à promulguer la Terreur et la levée en masse. C’est finalement Napoléon Bonaparte qui mettra tout le monde d’accord en instituant un régime dictatorial.

Gravure révolutionnaire à la gloire de Jean-Jacques Rousseau (musée Carnavalet, Paris, photo : Bertrand Runtz)

Une lente maturation

En 1815, à la chute de Napoléon Ier, les clivages politiques réapparaissent très timidement, tempérés par un suffrage censitaire qui réserve le droit de vote aux contribuables aisés, une centaine de milliers en tout et pour tout (dico). À la Chambre des députés s’opposent trois tendances, toutes droitières : les ultraroyalistes ou « ultras », les « constitutionnels », proches du roi Louis XVIII, et les « indépendants », plutôt libéraux.

On commence à voir apparaître un semblant de gauche sous le règne du « roi-bourgeois » Louis-Philippe Ier, avec des courants bonapartistes et républicains. Ceux-ci vont l’emporter avec la révolution de février 1848 qui chasse le roi et instaure la IIe République. Mais l’introduction du suffrage universel douche leurs espoirs : réfractaires aux idées républicaines, les paysans envoient une écrasante majorité de monarchistes à l’assemblée.

Dans le même temps, la question sociale émerge, de pair avec la révolution industrielle et la multiplication de grandes usines. L’historien et député Alexis de Tocqueville l’entrevoit dans un discours à la Chambre le 27 janvier 1848 : « Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières, qui, aujourd’hui, je le reconnais, sont tranquilles ; (…) mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales ? » La même année, Karl Marx publie un vibrant pamphlet révolutionnaire : le Manifeste du Parti communiste. Il va devenir la nouvelle référence idéologique de la gauche.

C’est ainsi qu’aux élections législatives du 13 mai 1849, on retrouve pour de bon une opposition droite-gauche :
• D’un côté le « Parti de l’Ordre » (450 sièges sur 715), qui réunit tous les conservateurs (royalistes légitimistes et royalistes orléanistes, bonapartistes…) autour d’un slogan : Ordre, Propriété, Religion,
• De l’autre, la gauche républicaine qui a emprunté aux révolutionnaires d’antan le nom de « Montagne », de quoi effrayer les modérés !

Les excès et les maladresses des uns et des autres conduisent au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Momentanément éteint avec l’instauration du Second Empire, le débat politique renaît lentement de ses cendres avant de s’épanouir sous la IIIe République. À la fin du XIXe siècle, les monarchistes de tous bords quittent peu à peu la scène et la Chambre, toute entière républicaine, se divise désormais entre conservateurs, socialistes et radicaux, avec d’infinies nuances.

La Grande Guerre et la révolution russe entraînent en Europe continentale l’émergence d’une extrême-gauche marxiste-léniniste et d’une extrême-droite nationaliste, l’une et l’autre se voulant révolutionnaires et adeptes de la table rase. L’émiettement des partis conduit en France à des coalitions plus ou moins bancales , autour d’enjeux essentiellement sociaux, telles le Bloc national (1919), le Cartel des gauches (1924) et le Front populaire (1936). À la Libération, le scrutin à la proportionnelle amplifie cet émiettement de sorte que la IVe République sera dominée par des coalitions de circonstance autour des partis du centre (MRP et radicaux-socialistes).

Herodote