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Par Nicolas Gutierrez C.

L’antiviral développé par Merck a arrêté son essai clinique en avance au vu des résultats très positifs et attend la validation des autorités sanitaires américaines. Cependant, des chercheurs s’inquiètent des potentiels risques à long terme.

molnupiravir
Photo fournie le 26 mai 2021 par le laboratoire américain Merck de gélules du médicament antiviral molnupiravir. Merck & Co,Inc./AFP/Archives – Handout

Nouvelle arme contre le coronavirus… ou nouveau maux de tête pour les autorités sanitaires ? Le 1er octobre 2021, le géant pharmaceutique Merck a annoncé les résultats préliminaires de l’essai clinique randomisé en double aveugle de phase 3 du médicament Molnupiravir, un antiviral qui empêche la réplication du coronavirus. Selon leur communiqué de presse, un total de 775 patients à risque (plus de 60 ans ou avec des comorbidités) ont été traités quelques jours après le début des symptômes de Covid-19 soit avec cette molécule, soit avec un placébo. Montrant une diminution du risque d’hospitalisation ou de décès de 50 %, même face à des variants préoccupants tels que Delta, Gamma et Mu. Des résultats très positifs qui ont poussé l’agence américaine des médicaments (FDA) à demander à la compagnie pharmaceutique de stopper son essai en avance : devant ces résultats ils paraissait non éthique de ne pas donner le médicament à tous les participants.

Merck a ainsi annoncé avoir demandé l’autorisation de commercialisation au plus vite et espère que leur médicament sera disponible avant la fin de l’année 2021. Mais le mécanisme de cette molécule inquiète certains experts, qui craignent un risque de mutagenèse dans les cellules des personnes traitées. Pour mieux comprendre cette polémique, Sciences et Avenir a contacté le virologue de l’université de Caroline du Nord (États-Unis) Ron Swanstrom, auteur d’une étude mettant en évidence ce risque.

Le Molnupiravir trompe le virus en se faisant passer pour un nucléotide

Le Molnupiravir entraîne des mutations dans l’ARN viral, inhibant ainsi la réplication du virus. « Il s’agit d’un analogue de ribonucléoside (précurseur des ribonucléotides qui forment l’ARN, ndlr) de cytidine. Cette molécule comporte un atome d’oxygène supplémentaire. Sa présence déstabilise un atome d’hydrogène voisin, le faisant tourner entre deux positions et changeant ainsi les propriétés de la molécule. À cause de ces changements, celle-ci peut être lue comme une cytidine ou une uridine lors de la réplication de l’ARN, entraînant des mutations, détaille Ron Swanstrom. Pour résumer, cette molécule introduit un grand nombre de mutations, au point que le virus ne peut plus les réparer et ne parvient donc plus à se répliquer ».

Mais, selon l’étude de son équipe, publiée en août 2021 dans le Journal of Infectious Diseases, ce même mécanisme pourrait aussi induire des mutations dans l’ADN des patients. « Le Molnupiravir entre dans la cellule comme un ribonucléoside mais dans son cheminement vers un ribonucléotide (avec l’ajout de trois groupes phosphate) il peut devenir un déoxyribonucléotide et peut donc être utilisé par l’ADN polymérase pour la synthèse d’ADN, poursuit-il. C’est ce que nous avons vu in vitro : cette molécule peut être incorporée dans l’ADN et y créer des mutations.

Ce risque de mutagenèse n’est pas observé in vivo

Des chercheurs de Merck et de l’université d’Emory où la molécule a été conçue ont répondu en mettant en avant une étude in vivo chez des rongeurs où ce risque de mutation n’est pas mis en évidence. Et concluent que l’effet observé in vitro par l’équipe de Ron Swanstrom est probablement dû à un traitement beaucoup plus long que prévu par les fabricants. En effet, ce médicament est administré deux fois par jour pendant cinq jour, alors que l’étude in vitro a traité les cellules pendant 32 jours. Merck déclare avoir réalisé d’autres études in vivo pour étudier cette potentielle mutagenèse, montrant l’absence d’effet mutagénique de la molécule. « Dans les tests in vivo chez l’animal on ne voit pas ce risque, dans des résultats qui ont été déjà donnés à la FDA, affirme Philippe Bonnard, directeur médical hôpital chez MSD (Merck) France. On ne voit pas comment cette mutagenèse pourrait arriver dans les conditions dans lesquelles le médicament est utilisé ».

Cependant, ces résultats ne semblent pas suffisants pour Ron Swanstrom. « Je crains que les études in vivo réalisées ne soient pas suffisamment sensibles, car l’absence de la détection ne veut pas dire la détection de l’absence. Cette drogue pourrait être très utile contre une grande quantité de virus à ARN, pas seulement pour le covid, donc je pense que cela mérite qu’on regarde avec précaution s’il y a des conséquences à long terme« , explique-t-il avant d’ajouter que malgré ce risque, la balance bénéfice/risque penche du coté des bénéfices pour les personnes vulnérables : « Si j’étais symptomatique avec le Covid-19 je prendrais ce médicament (au moins pour les personnes à risque), mais j’aimerais faire partie d’une cohorte suivie pendant 5-10 ans pour regarder si l’on développe des cancers inhabituels et ainsi comprendre les risques potentiels à long terme ». Du coté de Merck, on se veut rassurant en expliquant que ce suivi sera réalisé : « Pour le court terme, le taux d’effets secondaires dus au traitement est comparable à celui avec placebo. Et au long cours, comme pour toute molécule, on le verra lors de la pharmacovigilance« , déclare Philippe Bonnard. Il reste à voir si cela rassurera les autorités sanitaires.

Sciences et Avenir