Étiquettes
Au moment où la France remet d’importantes œuvres pillées il y a plus d’un siècle dans son ancienne colonie, la Franco-Béninoise Marie-Cécile Zinsou se penche sur cette décision historique.

Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.
Raphaël Bouvier-Auclair
Début novembre, 26 œuvres béninoises, pillées à la fin du 19e siècle, seront restituées au Bénin par le gouvernement français. Le retour de ces trésors du royaume d’Abomey, actuellement exposés à Paris, représente un premier grand transfert de propriété.
Marie-Cécile Zinsou, Franco-Béninoise et présidente de la fondation artistique Zinsou, répond à nos questions à propos de l’enjeu de la restitution, sur lequel elle travaille depuis longtemps.
Que représente cette restitution?
C’est un moment totalement historique et c’est un moment de dialogue entre la France et le Bénin. J’ai envie de dire la victoire du dialogue. C’est une chose étonnante parce que, historiquement, ces œuvres sont arrivées en France à la fin du 19e siècle. Elles ont été pillées à Abomey en 1892. Le patrimoine français étant inaliénable, ses œuvres n’avaient aucune possibilité de revenir a priori un jour au Bénin. Elles avaient été prêtées en 2006, mais jamais on n’aurait pu imaginer qu’elles reviennent définitivement.
Comment cette restitution a-t-elle donc été rendue possible?
En fait, il faut savoir que l’histoire des restitutions, c’est une histoire qui est vieille comme celle de l’humanité. Ce n’est pas spécifique aux pays africains, mais il faut savoir que le Bénin a fait une demande en 2016 de restitution du patrimoine du Dahomey dans les collections nationales françaises et se voit répondre comme tous les pays qui ont fait des demandes depuis les indépendances : Merci beaucoup pour cette demande, mais ça ne sera pas possible, car le patrimoine français est inaliénable
. Donc les collections ne peuvent malheureusement pas repartir où que ce soit.
Puis Emmanuel Macron, en 2017, fait un discours à Ouagadougou en disant qu’il faut qu’on réfléchisse à notre histoire commune et que le patrimoine africain devra rejoindre l’Afrique dans les cinq ans à venir, de façon permanente ou temporaire. À partir du moment où il dit de façon permanente
, ça veut dire qu’on peut demander un transfert de propriété. Et du coup, la France a engagé le dialogue avec le Bénin sur les questions de transfert de propriété. Le président Macron a demandé la production d’un rapport qui a fait beaucoup de bruit en France.
On a découvert, quand le rapport a été remis en novembre 2018, que le Bénin allait être le premier pays, avec le Sénégal, auquel seraient restituées des œuvres. Donc, après, à partir de cette annonce, il y a un processus législatif qui s’est mis en place. Normalement, ce sont des processus très longs. Mais là, il se trouve qu’en juillet 2020, le texte de loi a été présenté. Il a été débattu au Sénat et à l’Assemblée nationale, puis il a été voté définitivement le 24 décembre 2020. Et dans ce texte de loi, il est dit que les objets ont 365 jours pour rentrer dans les pays qui en ont désormais la propriété. Donc, nous arrivons fin 2021 avec cette loi qui nous donne un an pour récupérer les œuvres, et donc elles partent au Bénin, où elles seront exposées à partir du mois de janvier.


Comment les 26 œuvres seront-elles présentées au Bénin?
Il y a d’abord l’exposition des œuvres qui va être faite dans le sud du Bénin, probablement au musée de Ouidah, qui vient d’être entièrement rénové. Puis il y a un musée en construction à Abomey, l’ancienne capitale royale du Dahomey, que la France et le Bénin ont décidé de cofinancer. Donc, ce nouveau musée sera prêt dans deux ou trois ans et accueillera définitivement les œuvres qui seront de retour sur leur terre d’origine.
Vous êtes Franco-Béninoise. Comment ce retour des œuvres est-il accueilli au Bénin?
Il faut savoir qu’au Bénin, les gens sont très sensibles à la question de la restitution. D’abord parce que les œuvres y ont déjà voyagé. En 2006, les œuvres qui sont montrées aujourd’hui sont venues au Bénin dans le cadre d’une exposition de la fondation Zinsou que je dirigeais déjà à l’époque. 275 000 personnes sont venues en trois mois, ce qui est énorme.
Déjà à l’époque les gens se demandaient : pourquoi ça repart?
Et depuis, la population a suivi systématiquement les déclarations du président, les avancées de la loi. Donc, c’est un sujet auquel les gens sont très sensibilisés. Je pense que l’arrivée des œuvres va être un triomphe total, en fait, et je pense que les gens vont les voir de façon passionnée.
Est-ce que la restitution des trésors d’Abomey crée un précédent à ce chapitre?
Il y a deux pays, le Sénégal et le Bénin, qui viennent d’accéder à la propriété d’œuvres qui étaient historiquement les leurs. Il y a également cinq autres demandes en cours.
Le président Macron a annoncé début octobre 2021 que la Côte d’Ivoire serait le prochain pays à entrer en négociations rapides sur la question de la restitution. Donc, il y a beaucoup de choses qui se passent en ce moment au niveau européen, au niveau africain. Il y a énormément de dialogues qui se mettent en place. Il y a beaucoup d’initiatives aussi directement des musées africains.
Et oui, ceci crée une jurisprudence. C’est le premier transfert de propriété et donc ça veut dire maintenant que oui, on a le droit de poser la question et on a le droit d’exiger d’avoir une réponse positive quand on demande les traces de notre histoire et de notre patrimoine.
Comment cette restitution est-elle perçue dans le milieu muséal?
Il est possible que la restitution fasse moins l’unanimité dans un milieu très conservateur. Mais c’est logique. Aucune révolution ne se fait avec une adhésion générale. C’est toujours très controversé, ce genre de sujet.
L’important aujourd’hui, c’est qu’on ait 26 de ces œuvres qui viennent au Bénin. L’important, c’est le fait que quand vous avez six, sept ans au Bénin aujourd’hui, vous savez que vous allez pouvoir aller au musée et avoir accès à votre histoire comme si vous étiez un enfant du Canada qui va dans un musée du Canada. Ça, ça change tout. C’est la grosse différence.
On a des pays en Afrique qui ont été intégralement pillés. Donc aujourd’hui, l’idée qu’on puisse enfin avoir de nouveau accès à notre patrimoine, voilà, c’est quelque chose qui est absolument un changement pour toutes les générations futures. Et c’est ça qui est intéressant. Les résistances, il y en aura toujours et il y en a toujours eu. Mais on s’en fiche. Ce qui compte, c’est l’avenir d’une jeune génération.
Faut-il voir des enjeux géopolitiques derrière cette décision?
J’aimerais croire que les intentions de tous, au Bénin et en France, sont uniquement dédiées à la culture et à la passion du patrimoine. Après, il est possible que la France fasse ça dans une idée d’améliorer son image sur le continent africain. Il est également possible que le président béninois fasse ça pour améliorer son image auprès de sa population. Il est possible que tout le monde ait d’autres intentions que juste le patrimoine, mais finalement, on s’en moque. Quelles que soient les intentions, ce qui nous intéresse, c’est le résultat et l’impact de ce résultat. Oui, il y a des gens qui ne le font peut-être pas avec une pureté d’âme et de cœur total. Ce n’est absolument pas grave. L’important, c’est qu’on a 26 œuvres qui voyagent. La France montrera encore quelques œuvres du Dahomey, mais les œuvres importantes pour la construction de notre récit national et de notre histoire seront au Bénin, et seront accessibles à tous.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.