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par André Larané

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L’Union européenne est régulièrement agitée par des conflits de préséance entre les instances supranationales et les États membres. La dernière affaire en date est une campagne sur le thème : « La liberté est dans le hijab » lancée par le Conseil de l’Europe avec l’agrément et le logo de l’Union européenne, en contradiction avec les valeurs cultivées par la France et d’autres pays.

Avant cela, le 24 mars 2021, la Commission de Bruxelles a présenté une « stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant ». L’intention est excellente mais que restera-t-il de la démocratie si des institutions non élues en viennent à s’occuper de tout ?

Pour le gouvernement polonais, la messe est dite : le 7 octobre 2021, il a obtenu de la Cour constitutionnelle de Pologne qu’elle s’affranchisse des traités européens.

Pas de solidarité sans le respect des traités

On peut rétorquer aux magistrats polonais que la primauté du droit européen sur les Constitutions des États membres est le fruit d’une jurisprudence très ancienne (note) et qu’il n’y a pas de coopération internationale sans respect des traités.

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)  a été constituée pour s’assurer du bon respect des traités de l’Union et du droit dérivé par les États membres ainsi que par les instances européennes. Elle doit s’assurer notamment de l’indépendance de la justice dans chaque État membre, ne serait-ce que pour éviter que les aides financières de Bruxelles ne soient détournées grâce à la collusion des gouvernants et des juges nationaux. Cette crainte est bien réelle dans plusieurs États tels que Malte, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie ou encore la Pologne (liste non exhaustive). Ne faudrait-il pas y voir la véritable cause du différend entre la Pologne et l’Union européenne ? Affectant de dénoncer la promotion de l’idéologie LGBT+ par l’Union, le Premier ministre polonais pourrait surtout craindre que les Européens ne découvrent les petits arrangements de ses amis.

Concernant la primauté des traités sur les lois, la Constitution française de 1958 ne dit pas autre chose dans son article 55 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Les constitutionnalistes français ont toutefois ménagé la possibilité de se retirer d’un traité dès lors que l’une quelconque des autres parties ne le respecte pas. Il n’y a rien de plus normal à cela : que signifierait d’appartenir à une alliance (l’OTAN par exemple) dont l’un des membres (la Turquie à tout hasard ?) mènerait une politique agressive à l’égard de ses alliés, en collusion avec leurs ennemis ?

Par ailleurs, si un engagement international contient des clauses contraires à la Constitution elle-même, celle-ci doit être révisée avant son entrée en vigueur (article 54 de la Constitution). C’est ce que les Français ont fait à plusieurs reprises au gré des avancées européennes, au risque d’enlever à leur Constitution son caractère immuable…

Nous  ne devrions pas avoir d’inquiétudes vis-à-vis de l’Union européenne car ses deux traités fondamentaux contiennent tous les garde-fous souhaitables. Ainsi, le traité signé à Maastricht en 1992 certifie que l’Union européenne respecte « l’identité nationale [des États], inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles » (article 4). Il a aussi édicté un « principe de subsidiarité » (note) destiné à limiter les empiètements de l’Union sur les États (article 3). Enfin, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, signée à Nice le 7 décembre 2000, énonce joliment : « Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. » L’État de droit et la démocratie représentative

Le concept d’État de droit, pierre angulaire de la démocratie allemande, est apparu sous le vocable Rechtstaat à l’époque de Bismarck. Le chancelier, d’un naturel très autoritaire, s’en est servi pour contrecarrer les velléités libérales et socialisantes des députés du Reichstag en leur opposant chaque fois que nécessaire la légitimité supérieure des textes constitutionnels.
Le concept a retrouvé une seconde vie après 1949 quand les dirigeants de l’Allemagne fédérale, attribuant la dictature nazie aux complaisances des députés à l’égard de Hitler, ont voulu s’en prémunir en rappelant encore une fois la supériorité des textes constitutionnels sur les décisions des représentants du peuple.
Les Anglais, qui ont inventé la démocratie parlementaire, récusent l’État de droit (eux-mêmes n’ont pas de Constitution écrite) et lui préfèrent le concept de rule of law (« règne de la loi ») : la loi est votée par les élus dans le respect du « droit coutumier » (common law) et ils se doivent de faire évoluer celui-ci sans heurt. En d’autres termes, les limites à l’omnipotence des députés viennent non pas d’une quelconque instance supérieure mais des coutumes et des droits individuels sacralisés par le temps. La permanence de ces droits et de ces coutumes envers et contre tout fait le charme de la société britannique tout en la protégeant contre les dérives autoritaires.
Depuis que les Britanniques ont décidé en 2016 de quitter l’Union européenne, le concept d’État de droit, d’essence germanique, revient comme un leitmotiv dans le discours des gouvernants européens confrontés à la grogne des peuples. Il permet aux instances supranationales, noyautées par des entreprises ou des associations non représentatives, de promouvoir des « principes » et des « droits individuels » qui étaient encore ignorés ou honnis il y a vingt ans, comme le port du voile islamique ou le droit pour des adolescents mal dans leur peau d’exiger un traitement hormonal en vue de préparer leur changement de sexe !

Quand l’idéologie prend le pas sur le droit constitutionnel

Inscrit dans le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité a rassuré les citoyens français sur le risque d’une perte de souveraineté au profit des instances supranationales. C’est pourquoi le traité a pu être approuvé d’extrême justesse par le référendum du 20 septembre 1992. Mais Bruxelles a retourné ce principe comme une chaussette au motif que les compétences économiques et commerciales de l’Union interfèrent avec tous les aspects de la vie publique : droit du travail, lutte contre les discriminations, protection de l’environnement, etc. D’aucuns y voient une variante du vieil adage attribué à Nikita Khrouchtchev : « Tout ce qui est à nous est à nous [les compétentes exclusives de l’Union], tout ce qui est à vous [les compétences des États membres] est négociable » (note).

Herodote