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par Jacques COTTA

La cam­pa­gne des élections pré­si­den­tiel­les de 2022 a vu éclore la sur­pre­nante can­di­da­ture d’Eric Zemmour. Pour se dis­tin­guer d’une concur­rence four­nie à droite — Marine Le Pen, Éric Ciotti, Valérie Pécresse … — l’ancien jour­na­liste, sou­tenu par C News et son patron le mil­liar­daire Vincent Bolloré, a joué de décla­ra­tions tapa­geu­ses sus­cep­ti­bles de le placer sous les pro­jec­teurs et d’atti­rer les camé­ras. Ainsi a-t-il suc­ces­si­ve­ment fait de l’immi­gra­tion l’alpha et l’oméga de son argu­men­ta­tion, et révisé l’his­toire pour tenter de réha­bi­li­ter le Pétain de la Seconde Guerre mon­diale. Les condam­na­tions n’ont pas manqué à gauche, notam­ment à la suite de Jean Luc Mélenchon qui défiait le nou­veau venu dans un face-à-face télé­visé. Le qua­li­fi­ca­tif qui fait florès à la moin­dre occa­sion a été remis au goût du jour. Zemmour serait un fas­ciste, et évidemment, comme cela est de rigueur depuis des décen­nies, le mot d’ordre asso­cié était clamé par une frange « d’extrême gauche » ou autres « anti-fa » lors de sor­ties publi­ques du can­di­dat, « le fas­cisme ne pas­sera pas ». Tout cela est l’expres­sion d’igno­rance, de confu­sion, et de désor­dre sur les­quels il n’est pas inu­tile de reve­nir. Car à mal qua­li­fier les phé­no­mè­nes, on en arrive à ne plus savoir vrai­ment de quoi on parle.

Zemmour, homme de l’oligarchie

Eric Zemmour est une sorte de révi­sion­niste ou néga­tion­niste de l’his­toire, et rejoint la liste longue de ses pré­dé­ces­seurs célè­bres. On se sou­vient des propos de Jean Marie Le Pen rédui­sant les cham­bres à gaz « à un détail de l’his­toire de la seconde guerre mon­diale » ins­piré en la matière par le membre de son conseil scien­ti­fi­que dans les années 1990, repré­sen­tant de la ten­dance païenne du FN, Pierre Vial, élu conseiller muni­ci­pal de Villeurbanne et conseiller régio­nal de Rhône-Alpes, par ailleurs pro­fes­seur d’his­toire à l’époque à l’uni­ver­sité Jean Moulin Lyon 3, ce qui indi­que au pas­sage que l’ins­truc­tion n’est pas tou­jours le meilleur rem­part contre les fal­si­fi­ca­tions. Lui-même se cou­lait dans les pas de Maurice Bardèche qui au len­de­main de la Seconde Guerre mon­diale niait le géno­cide juif et les cham­bres à gaz. Il s’enga­geait aussi dans la lignée de Robert Faurisson qui affir­mait « refu­ser la thèse des cham­bres à gaz », comme s’il s’agis­sait d’une thèse parmi d’autres, dis­cu­ta­bles comme toute autre. Voilà la conti­nuité idéo­lo­gi­que dans laquelle s’ins­crit Eric Zemmour.

Mais pour le reste, que veut, que dit Zemmour ? Ses pro­po­si­tions sont tout compte fait assez bana­les.

• Tout d’abord, il décline une série de thèmes socié­taux qui le ramè­nent sys­té­ma­ti­que­ment à l’immi­gra­tion, son thème de pré­di­lec­tion, sur­fant sur la vague ali­men­tée depuis des années par l’incom­pé­tence des partis tra­di­tion­nels — la gauche en pre­mier lieu — et par une surex­po­si­tion média­ti­que dont Marine Le Pen était jusque là la prin­ci­pale béné­fi­ciaire. La ques­tion sécu­ri­taire refait sur­face dans la foulée de Valérie Pécresse qui remet au goût du jour « l’uti­li­sa­tion des kar­chers ».

Eric Zemmour expose donc quel­ques mesu­res déma­go­gi­ques qui s’ins­cri­vent dans ce credo et inno­vent. Après avoir affirmé sa volonté d’inter­dire les pré­noms étrangers, il passe à « l’expul­sion des délin­quants étrangers », mesure approu­vée dans les quar­tiers domi­nés par les petits caïds qui font régner la ter­reur sur fond de trafic de drogue, et pro­pose d’étendre la déchéance de natio­na­lité — en créant sans le dire une couche d’apa­tri­des — de fermer les fron­tiè­res, sans évoquer jamais leur ouver­ture sans contrôle dont béné­fi­cient les flux finan­ciers. Il plaide pour l’inter­dic­tion faite aux asso­cia­tions d’en appe­ler à la jus­tice en cas de conflit, notam­ment avec l’admi­nis­tra­tion et résume tout cela par sa volonté de voir renaî­tre, contre le danger du « grand rem­pla­ce­ment », « une France fran­çaise ». Pour la res­tric­tion des « droits », il ne peut que s’ins­pi­rer de la situa­tion vécue par des mil­lions de Français depuis les atten­tats du bata­clan notam­ment, où les mesu­res d’excep­tion sous Hollande puis sous Macron sont deve­nues des mesu­res per­ma­nen­tes, ins­cri­tes dans la loi.

• En second lieu, il décline une série de mesu­res qui peu­vent rete­nir l’atten­tion du plus grand nombre en réac­tion à la décom­po­si­tion poli­ti­que et morale qu’incarne aujourd’hui Emmanuel Macron.

Ainsi se pro­nonce-t-il pour l’abo­li­tion des lois mémo­riel­les, le refus de la repen­tance à tout prix, pour l’oppo­si­tion à la PMA sans père et au gadget macro­nien qui défi­nit le parent1 et le parent2, ou encore pour le refus de l’achar­ne­ment thé­ra­peu­ti­que pour les per­son­nes âgées en fin de vie. Mais toutes ces dis­po­si­tions, aussi rai­son­na­bles, dis­cu­ta­bles ou condam­na­bles soient-elles, ne cons­ti­tuent pas l’essen­tiel.

• Sur les ques­tions de fond, Eric Zemmour est en effet digne des can­di­dats clas­si­ques de l’oli­gar­chie.

Il est un libé­ral bon chic bon genre, comme le sont les can­di­dats qu’il dit vou­loir com­bat­tre. Il se pro­nonce pour la retraite à 64 ans, avec cet argu­ment éculé, repris à tous les « réfor­ma­teurs » anté­rieurs, de François Fillon à François Chérèque, qui consiste à se retran­cher der­rière une lon­gé­vité de la vie qui jus­ti­fie­rait un accrois­se­ment de la charge et de la durée du tra­vail. En matière fis­cale, il se pro­nonce pour une baisse des impôts pour les entre­pri­ses, et comme ses « concur­rents » de droite se retran­che der­rière la fameuse recher­che de com­pé­ti­ti­vité. Pour le tra­vail, il s’affirme en héri­tier de Nicolas Sarkozy, repre­nant à son compte le fameux « tra­vailler plus pour gagner plus » dont on connaît les résul­tats. Pour la loi SRU qui exige une répar­ti­tion des loge­ments sociaux sur le ter­ri­toire natio­nal, et dans les com­mu­nes sous peine de sanc­tions, il pro­pose l’abro­ga­tion, c’est-à-dire les pau­vres entre eux, et « Auteuil, Neuilly, Passy » pré­ser­vées. Et enfin, cerise sur le gâteau, il plaide pour une dimi­nu­tion des dépen­ses socia­les. Digne héri­tier de Fillon en la matière, sans que cela soit clai­re­ment dit, sa poli­ti­que signi­fie moins de fonc­tion­nai­res, moins de ser­vi­ces publics sans que l’on sache exac­te­ment les­quels, pro­fes­seurs, soi­gnants, per­son­nels judi­ciai­res… Telle est la réa­lité dans la vie pra­ti­que d’une telle pro­po­si­tion. Il est par­ti­san de l’Union euro­péenne et ses décla­ra­tions déma­go­gi­ques de cir­cons­tance, com­pa­tis­san­tes à l’égard des ensei­gnants ou des soi­gnants, ne don­ne­ront pas le change.

Pour les choses sérieu­ses qui sor­tent de l’idéo­lo­gie et qui sont des­ti­nées à entrer dans la vie comme consé­quence de choix poli­ti­ques — ce qui ne veut pas dire que l’idéo­lo­gie n’est pas impor­tante évidemment — Eric Zemmour n’est en réa­lité qu’un enfant com­paré à Emmanuel Macron. Sur les ques­tions sécu­ri­tai­res, il pour­rait féli­ci­ter le chef de l’état qui a fait tirer sur le peuple vêtu d’un Gilet jaune. Sur les ques­tions socia­les, il pour­rait l’encou­ra­ger à aller jusqu’au bout, et plus loin, sans hési­ter. Et sur la pos­ture « doigt d’hon­neur » — lui à Marseille face à une oppo­sante, Macron qui s’exhibe à Saint-Martin, dans les Antilles fran­çai­ses, enlacé par deux jeunes rap­peurs —, le concours est ouvert pour savoir lequel des deux pré­sente le majeur le plus expres­sif.

Que vient faire Zemmour dans cette galère ?

La par­ti­cu­la­rité de Zemmour, lui-même d’ori­gine juive, est d’occu­per un cré­neau délé­tère par simple inté­rêt électoral pré­sumé, en ten­tant de se saisir des thèmes clas­si­ques de l’extrême droite tra­di­tion­nelle. Pense-t-il qu’il pourra ainsi accé­der aux plus hautes fonc­tions ? Nous savons que la 5e répu­bli­que rend fous en géné­ral ceux qui dési­rent se prêter au jeu pour fran­chir vic­to­rieu­se­ment le perron de l’Élysée. Il n’est donc pas exclu que Zemmour s’y voie. Mais d’autres hypo­thè­ses méri­tent d’être sou­le­vées.

Chacun, de toute part, à l’excep­tion de Marine Le Pen, a pu voir arri­ver d’un bon œil l’éditorialiste de C News, dans la tra­di­tion mit­ter­ran­dienne qui il y a 40 ans envi­ron se ser­vait de Jean Marie Le Pen pour divi­ser l’adver­saire. Jean Luc Mélenchon, en com­pé­ti­tion avec le FN pour accé­der au second tour, pou­vait espé­rer que les voix piquées à Marine Le Pen par Eric Zemmour feraient son affaire. Emmanuel Macron de même, voyant avec gour­man­dise dans les son­da­ges s’effri­ter le score prévu de son adver­saire de 2017. Reste Marine Le Pen donc, inquiète à juste titre par les pro­nos­tics qui concer­nent Zemmour qui rafle une part de son électorat, notam­ment son électorat « huppé », celui des « beaux quar­tiers ».

Mais là n’est pas l’essen­tiel. Le prin­ci­pal gagnant de l’opé­ra­tion Zemmour est bien Emmanuel Macron pour des rai­sons d’abord poli­ti­ques. L’orien­ta­tion que déve­loppe Zemmour, ses « outran­ces », ses obses­sions devraient per­met­tre à Macron, selon ses conseillers, de réci­di­ver ce qui hier fai­sait son succès. Aidé par les « anti-fa », Macron devrait pou­voir, selon les plus opti­mis­tes, se pré­sen­ter à nou­veau comme le can­di­dat du bien, de la démo­cra­tie, opposé à celui de mal, du fas­cisme. Et évidemment, oubliant comme l’indi­quait Marx que « l’his­toire se répète tou­jours deux fois, la pre­mière comme une tra­gé­die, la seconde comme une farce », Emmanuel Macron se voit vain­queur si au second tour il était amené à affron­ter Zemmour, ou Le Pen.

Falsification

Zemmour et Pétain, une his­toire qui mérite le détour. D’abord pour le réta­blis­se­ment de la vérité his­to­ri­que. Ensuite parce cette dis­cus­sion risque bien d’être un des atouts du Président de la répu­bli­que dans le cadre de la cam­pa­gne électorale. Pétain est trans­formé par Zemmour en sau­veur de juifs fran­çais. Cela revient à taire la dépor­ta­tion de 24 000 d’entre eux envoyés vers la mort. Vichy en ins­tau­rant le statut des juifs a per­sé­cuté les juifs fran­çais et étrangers. L’anti­sé­mi­tisme de Vichy s’est soldé par l’exclu­sion, la dépos­ses­sion des biens, la per­sé­cu­tion, l’arya­ni­sa­tion. À cela s’ajoute la déna­tu­ra­li­sa­tion de 7000 juifs comme le pré­cise Serge Klarsfeld, ce qui a faci­lité leur dépor­ta­tion. Toujours selon Serge Klarsfeld, lors­que Zemmour insiste en pré­ci­sant que Vichy a placé les juifs fran­çais après les juifs étrangers pour le sort qui leur était réservé, il n’indi­que en rien une « indul­gence » vichyste, mais seu­le­ment un ordre établi dans l’exter­mi­na­tion. L’horaire de départ du train change, mais sa des­ti­na­tion est iden­ti­que. Pour les 6000 enfants juifs fran­çais dont les parents étaient étrangers, cela n’a rien changé, comme pour les juifs fran­çais adul­tes donc qui ont aussi été dépor­tés. L’exter­mi­na­tion totale était pro­gram­mée dans le cas d’une vic­toire alle­mande. L’argu­ment selon lequel Vichy aurait limité les dégâts ne tient pas sur le fond. Ce régime a accepté de coo­pé­rer à l’arres­ta­tion des juifs, quelle que soit leur natio­na­lité. Vichy a plei­ne­ment par­ti­cipé à la mise en place de la « solu­tion finale » en France. Et on ne pourra jamais effa­cer de l’his­toire le fait que la grande majo­rité des juifs dépor­tés ont été arrê­tés par des uni­for­mes fran­çais.

Pourquoi donc Zemmour qui se targue de pos­sé­der de gran­des connais­san­ces his­to­ri­ques a-t-il enfour­ché avec gros­siè­reté cette posi­tion tra­di­tion­nelle d’une partie de l’extrême droite fran­çaise ? En réa­lité, il ne fait que mettre en pra­ti­que ce qu’avec cynisme le père Le Pen expli­quait du temps de sa splen­deur. Il le disait en bureau poli­ti­que pour moti­ver les trou­pes par­fois réti­cen­tes du FN, mosaï­que de cou­rants divers dont cer­tains pou­vaient rechi­gner : « il existe en France un électorat de quel­que 15 % d’anti­sé­mi­tes, de xéno­pho­bes. Il faut leur envoyer des signaux, cela ne coûte pas cher… ». C’est donc un signal que Zemmour décide d’envoyer à cette partie de l’électorat qu’il veut ras­sem­bler sur son nom, aujourd’hui avec Pétain, comme hier Jean Marie Le Pen avec « Durafour cré­ma­toire ».

Cette ten­ta­tive de regrou­pe­ment des nos­tal­gi­ques des pages les plus som­bres de l’his­toire n’est pas une carac­té­ris­ti­que fran­çaise. Il existe aujourd’hui dans le noyau dur de l’AFD, le parti d’extrême droite alle­mand, une frange favo­ra­ble à une réha­bi­li­ta­tion d’Hitler qui met en avant la réelle lutte anti­com­mu­niste et la pré­ten­due défense de la civi­li­sa­tion occi­den­tale menées par le régime nazi. En France, la défense de Vichy et de Pétain veut rem­plir la même fonc­tion. Les argu­ments les plus insen­sés sont mis en avant. Pétain aurait été « le bou­clier » et de Gaulle « le glaive » contre le nazisme. Quoi que l’on pense de De Gaulle, notam­ment du De Gaulle d’après, celui de Londres ne peut être mis sur le même plan que le loca­taire de Vichy. De Gaulle, Pétainiste, et Pétain Gaulliste sont deux carac­té­ri­sa­tions également absur­des. Comment en effet mettre le chef de la résis­tance et le chef de la col­la­bo­ra­tion sur un plan iden­ti­que ? Zemmour reprend cette « ana­lyse » au mépris d’une réa­lité his­to­ri­que qu’il dis­tend à loisir.

Mais le signal à des­ti­na­tion de la vieille frange anti­sé­mite a ses limi­tes. Eric Zemmour est un révi­sion­niste, un néga­tion­niste comme d’autres, démuni de tout parti pour mettre en pra­ti­que ses exi­gen­ces, celles que pour­raient lui confier selon les cir­cons­tan­ces les forces socia­les du capi­tal qui le met­tent en avant. Le débat engagé sur la res­pon­sa­bi­lité du pétai­nisme durant la période vichyste est un cas d’école. Le fas­cisme n’est pas une théo­rie, pas une idéo­lo­gie, mais une pra­ti­que bien pré­cise d’affron­te­ment contre le mou­ve­ment ouvrier. Et en cela, Zemmour qui ne dis­pose d’aucun parti, qui ne regroupe que quel­ques exci­tés capa­bles de faire le coup de poing contre des mili­tants venus le pro­vo­quer dans un mee­ting, ne répond en rien à la défi­ni­tion d’un can­di­dat ou d’une orga­ni­sa­tion fas­ciste, même si l’idéo­lo­gie qu’il pro­page est délé­tère.

« Le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle antifascisme »

Les pre­miers exter­mi­nés dès les années 1936-1937 en Allemagne par les nazis qui d’un cer­tain point de vue fai­saient leurs armes étaient les mala­des men­taux. C’est ainsi que l’expé­ri­men­ta­tion du gazage de masse a été enga­gée. Puis les juifs, les Tziganes, et toutes mino­ri­tés dési­gnées enne­mies de la classe arienne. Pour enfin arri­ver aux oppo­sants socia­lis­tes et com­mu­nis­tes alle­mands qui ont été pour­chas­sés et assas­si­nés pour pré­ser­ver le capi­tal et lais­ser le ter­rain libre au nazisme vic­to­rieux.

Le fas­cisme des années 1940 ne se défi­nit pas par la haine des juifs, des socia­lis­tes, des com­mu­nis­tes, mais par l’action pra­ti­que pour leur élimination. Le fas­cisme est donc bien le pro­duit de bandes armées char­gées de casser les reins du mou­ve­ment ouvrier. Ratonnades, cas­sage de gueule, locaux et réu­nions atta­quées, assas­si­nats sont la carac­té­ris­ti­que du fas­cisme chargé par le capi­tal de réa­li­ser ses objec­tifs. Mais pour asseoir sa domi­na­tion, celui-ci n’a pas seu­le­ment besoin de mar­ty­ri­ser mili­tants et diri­geants ouvriers. Il lui faut liqui­der les partis en tant que tels, les syn­di­cats, les asso­cia­tions.

Sur les rayons de l’his­toire, le fas­cisme cor­res­pond en effet à une défi­ni­tion bien par­ti­cu­lière. Il n’est pas syno­nyme d’auto­ri­ta­risme, de dis­cri­mi­na­tion, de xéno­pho­bie, d’anti­sé­mi­tisme ou de racisme, assi­mi­la­tion qui a conduit les milieux de gauche notam­ment à uti­li­ser ce qua­li­fi­ca­tif à tort et à tra­vers durant des années, quitte à en bana­li­ser le contenu. Le fas­cisme c’est tout autre chose que nous pou­vons aujourd’hui ana­ly­ser non à l’aune de Zemmour ou de Le Pen, mais à l’aune du macro­nisme qui se révèle comme une sorte de fas­cisme tota­le­ment inédit. Car c’est là que réside le danger.

Le fas­cisme cor­res­pond à une forme de domi­na­tion du capi­tal qui dans une situa­tion extrême a donc besoin de détruire phy­si­que­ment les orga­ni­sa­tions ouvriè­res, les syn­di­cats, les asso­cia­tions, les partis, les mili­tants. Lorsque la bour­geoi­sie ne par­vient plus à désa­mor­cer les contra­dic­tions explo­si­ves de la société, ce sont les bandes armées qui doi­vent assu­rer l’essen­tiel, la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir d’État, la des­truc­tion des conquê­tes ouvriè­res, la liqui­da­tion des orga­ni­sa­tions ouvriè­res et démo­cra­ti­ques, l’anéan­tis­se­ment des syn­di­cats, des asso­cia­tions, des partis. La dic­ta­ture mili­taire et poli­cière permet de démo­ra­li­ser, de tor­tu­rer, de har­ce­ler tout oppo­sant. Pour exis­ter, pour durer, pour rem­plir son rôle, un mou­ve­ment fas­ciste doit de plus obte­nir le sou­tien actif d’une partie signi­fi­ca­tive du capi­tal. Il faut à un mou­ve­ment fas­ciste avoir testé son effi­ca­cité dans des épreuves de force contre le monde sala­rié, contre le monde ouvrier. Et pour cela, les paro­les ne suf­fi­sent pas.

Aujourd’hui le fas­cisme à nul besoin de bandes armées char­gées de détruire les orga­ni­sa­tions poli­ti­ques ou syn­di­ca­les pour détruire les conquê­tes ouvriè­res. Les gou­ver­ne­ments qui se sont suc­cédé, les pou­voirs poli­ti­ques, les direc­tions suc­ces­si­ves s’en sont char­gés. Les partis sont ato­mi­sés. Les syn­di­cats sont mino­rés, inté­grés à l’Union euro­péenne qui inter­dit toute réflexion ou action indé­pen­dante.

Le macro­nisme ne dis­pose donc pas de bandes armées paral­lè­les pro­pres à tout régime fas­ciste. Mais la vio­lence d’État carac­té­rise le macro­nisme. Elle s’abat sur les tra­vailleurs dès lors qu’ils expri­ment leurs reven­di­ca­tions. Depuis le mou­ve­ment des Gilets jaunes, la police, mais également la jus­tice avec la magis­tra­ture, font preuve d’un zèle digne de tout régime dans lequel les liber­tés démo­cra­ti­ques ont été ban­nies.

Les lois suc­ces­si­ves rabat­tent les liber­tés au compte de l’ordre social voulu, exigé par le capi­tal. Les dif­fé­ren­tes lois d’urgence, de Hollande à Macron, mais aussi leurs com­plé­ments, les lois Avia, les lois ficha­ges, celle auto­ri­sant la gen­dar­me­rie à confec­tion­ner des listes liées aux opi­nions poli­ti­ques ou reli­gieu­ses ou celle liée au tra­çage télé­pho­ni­que, la loi inter­di­sant de dénon­cer la vio­lence poli­cière, de filmer les exac­tions, la loi qui assure l’impu­nité des « bandes armées offi­ciel­les », se suc­cè­dent à la vitesse de la lumière.

La crise sani­taire a été mise à contri­bu­tion. L’auto­ré­gu­la­tion impo­sée aux citoyens, la peur du virus lar­ge­ment dif­fu­sée et la répres­sion contre tout récal­ci­trant ont été une for­mi­da­ble école de la sou­mis­sion volon­taire que le gou­ver­ne­ment compte mettre à profit avec le pass vac­ci­nal chargé pour citer le pré­si­dent de la République, « d’emmer­der les Français » jusqu’au bout.
Emmanuel Macron per­son­ni­fie la volonté du capi­tal qui l’a porté au pou­voir. Peu importe le vrai, peu importe le sensé, peu importe la com­pé­tence. Ce qui compte aujourd’hui sous la macro­nie est le pou­voir assuré du capi­tal contre toute ten­ta­tive de remise en ques­tion, par tous les moyens, les plus vio­lents y com­pris.

Il a été de bon ton, voilà plus de deux ans, pour une partie impor­tante de l’électorat, de gauche notam­ment, de voter Macron, puis de le ral­lier, offi­ciel­le­ment « pour éviter le danger fas­ciste Le Pen ». Mais il faut être lucide. Le capi­tal a fait son choix. Il est mille fois mieux servi par Macron et consorts que par la res­pon­sa­ble du RN ou par Zemmour aujourd’hui. C’est Macron qui incarne le mal dénoncé hier. Les ques­tions socié­ta­les, PMA, GPA ou autres, mises en avant pour donner le change n’y pour­ront rien. Sur la domi­na­tion poli­ti­que, sur le rap­port de clas­ses, sur les métho­des uti­li­sées, sur la remise en cause des liber­tés élémentaires, Macron occupe la fonc­tion contre laquelle offi­ciel­le­ment il était can­di­dat, et pour laquelle il compte lor­gner un deuxième mandat.

Le macro­nisme, une forme de fas­cisme inédit ? Nous y sommes, voilà tout ! Le Pen et Zemmour sont des épouvantails char­gés de camou­fler l’essen­tiel.

Emmanuel Macron s’ins­crit dans le déni de démo­cra­tie qui a vu se réa­li­ser en France un véri­ta­ble coup d’État lors­que le congrès réuni à Versailles déci­dait d’adop­ter le traité cons­ti­tu­tion­nel euro­péen que le peuple fran­çais avait rejeté en 2005. Il en est le pro­duit, regrou­pant autour de lui la gauche et la droite euro­péiste qui pré­fè­rent la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste aux inté­rêts de la nation et du peuple fran­çais.

Voilà aussi pour­quoi toutes les forces poli­ti­ques, syn­di­ca­les, asso­cia­ti­ves demeu­rées atta­chées aux liber­tés démo­cra­ti­ques et aux droits et acquis sociaux telle la santé que la macro­nie remet en cause aujourd’hui comme hier, devraient se rejoin­dre, par delà leurs diver­gen­ces, pour la défense de la démo­cra­tie, des liber­tés, des droits et acquis sociaux, pour l’abro­ga­tion de toutes les lois qui se met­tent en tra­vers.

Voilà pour­quoi contre toutes les mani­pu­la­tions, il serait urgent de ras­sem­bler les cou­ches les plus enga­gées, les plus cons­cien­tes, pour jeter les bases d’un véri­ta­ble parti ouvrier, ins­tru­ment qui fait défaut et laisse chacun seul dans son coin pour résis­ter autant que faire se peut.

La Sociale