Étiquettes
Bilan, déclin général, Education, Ibiza, Jean-Michel Blanquer, lynchage public
par Maxime Tandonnet

Attention: on comprend que des vacances loin de France au moment le plus sensible d’une crise sanitaire d’un ministre particulièrement exposé puisse choquer l’opinion. Mais ce qui est lamentable, c’est le psychodrame qui écrase des faits et des réalités infiniment plus graves pour le pays.
M. Blanquer, ministre de l’Education nationale, est plongé dans la tourmente depuis la révélation de ses vacances à Ibiza. Les médias sont survoltés, les oppositions réclament sa démission. Le scandale s’inscrit dans la tradition des secousses politiques dont la cause est l’affichage d’un symbole de luxe qui suscite un tollé dans la classe politico-médiatique. On se souvient de la montre de M. Dray, de la brève escapade de Nicolas Sarkozy sur un yacht, des chaussures de M. Morel, des costumes de M. Fillon, du homard de M. Rugy… Aujourd’hui, les vacances à Ibiza de M. Blanquer embarrassent le gouvernement et annoncent probablement la fin de la carrière politique de l’intéressé…
Dans tous ces cas, les personnes victimes du lynchage public n’ont (a priori) rien commis de délictueux ou de malhonnête et n’ont pas détourné de fonds publics à leur profit. Il leur est reproché de s’être affiché dans la posture d’un loisir luxueux, c’est-à-dire coûteux, auquel le commun des mortels est supposé ne pas avoir accès. En France, il vaut sans doute mieux être mis en cause pour des affaires de harcèlement sexuel ou de corruption que pour des vacances à Ibiza.
Le déchaînement est politique et médiatique. Il repose sur l’image (à demi fausse) d’un peuple envieux qui se réjouira de voir cloué au pilori un dirigeant politique ou toute personnalité influente, surpris dans une posture luxueuse. Pourtant, au-delà de ce déchaînement politico-médiatique, il n’est pas du tout certain que le lieu des vacances de M. Blanquer passionne les Français confrontés aux difficultés de la vie quotidienne (pouvoir d’achat, chômage, violence, etc.) et de plus en plus écœurés par la vie politique.
La polémique de ce genre, à moins de trois mois des élections présidentielles, qui éblouit les médias et les politiques, signe l’effondrement de leur intelligence politique. Elle exprime à la perfection l’ère du vide et le nihilisme contemporain. Son principe est clair : noyer les plus graves sujets de fond dans le scandale absurde.
Il existe mille raisons sérieuses d’en vouloir à M. Blanquer pour sa politique et son bilan – et non pour le lieu de ses vacances. En cinq ans, sa réforme des lycées n’aura fait qu’amplifier le vertigineux déclin du niveau scolaire français. Pour ne prendre que l’exemple des mathématiques, les élèves Français se classent derniers de l’Union européenne en mathématique et avant dernier dans l’OCDE (devant le Chili) d’après le classement Timss de 2019. Qu’a-t-il fait pour enrayer ce désastre, pour un pays qui s’est longtemps targué d’une position de leader dans cette discipline ? Sa réforme – la suppression des séries – s’est traduite par une baisse vertigineuse du nombre des heures de mathématiques enseignées, une chute de 20% entre 2018 et 2020 (selon les statistiques officielles de l’Education nationale).
Par-delà les postures de fermeté, son passage à la tête de l’Education nationale n’aura fait qu’accentuer un déclin général du niveau des études, révélé notamment par le classement international PISA selon lequel les Français n’étaient que 23ème en lecture et compréhension de texte en 2021. Et ne parlons même pas de l’effondrement du niveau en français, en orthographe, en histoire-géographie ou en langues vivantes, derrière le paravent hypocrite d’un bac neutralisé – et toujours plus décrédibilisé – avec 95% de réussite.
Mais bien entendu, dans la « France dite d’en haut » (politique et médiatique), ces questions fondamentales pour l’avenir du pays passionnent infiniment moins que les vacances à Ibiza de M. Blanquer. C’est ainsi que la France entre dans une campagne électorale des présidentielles et des législatives qui s’annonce comme l’une des plus médiocres de l’histoire de la République, entre la sondagite quotidienne, la misérable et liberticide obsession covidesque et désormais, le scandale d’Ibiza. Pendant ce temps, nul ne parle du bilan d’un quinquennat et encore moins des projets d’avenir – touchant par exemple au redressement scolaire.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.