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Le ministre de l’éducation nationale doit faire face à une nouvelle journée de grève. Les enseignants lui reprochent un manque de considération et de cohérence. Depuis le début de la pandémie, il s’arrange avec les faits.

Par William Audureau

Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, le 20 janvier 2022 à Paris.
Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, le 20 janvier 2022 à Paris. CHRISTIAN HARTMANN / AP

Jeudi 27 janvier, les syndicats de l’éducation nationale ont appelé à une nouvelle journée de grève et de mobilisation pour une revalorisation salariale et davantage de moyens de protections contre le Covid-19. Malgré la confirmation, à la mi-janvier, d’une commande de 5 millions de masques FFP2 et d’un plan de recrutement de 8 000 personnes, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer reste critiqué pour ses protocoles scolaires trop fluctuants et illisibles, mais aussi pour sa gestion jugée rigide de l’épidémie de Covid-19.

Si le cabinet de Jean-Michel Blanquer assure qu’il ne s’agit pas de défendre une ouverture coûte que coûte des écoles, « mais d’avoir une réponse équilibrée éclairée par la connaissance scientifique et visant à préserver l’intérêt des enfants », il apparaît que M. Blanquer a pris le contrepied des données scientifiques à plusieurs reprises, et a multiplié les affirmations minimisant les risques de contamination à l’école.

Contacté sur ces erreurs et raccourcis, le cabinet du ministre se justifie par un « contexte de crise sanitaire totalement inédite » et « l’évolution constante des connaissances autour de cette épidémie ».

  • Lors de la deuxième vague, les contagions à l’école minimisées

Au moment de la seconde vague de l’épidémie, en novembre 2020, alors que plusieurs épidémiologistes s’inquiétaient de foyers de contamination à l’école, Jean-Michel Blanquer évoque, sur RTL, 3 528 élèves positifs sur 12 millions, « un chiffre qui est maîtrisé ».

Un chiffre loin du compte

Au cours de la même période, Santé publique France (SpF) faisait état de plus de 25 000 cas positifs chez les moins de 19 ans, comme nous l’avions relevé à l’époque. La raison de cet écart ? Un petit décalage, qui reste marginal, pour les 0-3 ans et les 18-19 ans, mais surtout une sous-déclaration des cas au niveau des rectorats, qui n’ont qu’une vision partielle de la situation. Le ministre avait alors choisi le chiffre le plus biaisé, mais le plus rassurant.

Le cabinet de Jean-Michel Blanquer évoque un indicateur qui comporte « nécessairement des écarts » par rapport aux données de SPF, mais « complémentaire », et avec des « tendances conformes ». Il précise également que des indicateurs plus précis ont été mis en place depuis.

  • En avril 2021, des confusions entre les indicateurs

Au début de la troisième vague, en mars 2021, le ministre de l’éducation nationale affirme sur LCI que « le taux d’incidence dans les écoles françaises est de 0,35 % » et il en déduit qu’« on se contamine moins en milieu scolaire que dans le reste de la société ».

Une définition imprécise

Comme l’expliquait Le Monde, alors que les premières campagnes de dépistage par tests salivaires se déployaient dans les établissements, Jean-Michel Blanquer confondait deux indicateurs sanitaires différents : le taux d’incidence, qui permet de connaître la circulation du Covid-19 par rapport à l’ensemble de la population, et le taux de positivité, c’est-à-dire le nombre de personnes contaminées par le virus par rapport au nombre de tests réalisés. Son cabinet évoque un malentendu : « Le ministre a indiqué que les taux de positivité lors de ces campagnes étaient de 0,35 %. Des commentateurs [Jean-Jacques Bourdin] ont déduit que cela équivalait à une incidence de 500 ce qui était tout à fait inexact. »

  • Des autocongratulations sur l’ouverture des écoles

Jean-Michel Blanquer se flatte régulièrement d’avoir permis à la France d’être le pays de l’OCDE qui a le moins fermé les écoles pendant la pandémie, comme il le répétait encore, en juillet 2021, au Figaro. Une affirmation sensiblement exagérée.

La France bien placée, mais pas première

Les calculs de BFM-TV, basés sur <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/01/27/»les chiffres de l’Unesco, montraient que le pays champion de l’ouverture des établissements scolaires était non pas la France, mais la Suisse. Début 2022, avec treize semaines de fermeture totale ou partielle des écoles, quand le Mexique en est à près de soixante-dix, la France demeure parmi les bons élèves de l’OCDE. Mais elle reste derrière la Suisse et l’Islande (un peu plus de six semaines).

  • Trop définitif sur l’effet de la vaccination

Jean-Michel Blanquer s’est joint au discours péremptoire de la majorité sur la capacité des vaccins contre le Covid-19 à enrayer toute transmission. « Quand vous êtes vacciné vous ne risquez pas de contaminer les autres, alors que si vous n’êtes pas vacciné vous faites courir ce risque », expliquait-il en juillet 2021 à Franceinfo, pour justifier que les élèves non vaccinés soient cantonnés au distanciel.

Exagéré, et de moins en moins vrai

Comme le rappelait AFP Factuel à l’époque, si la vaccination diminue bel et bien le risque d’être contaminé, elle ne le fait pas disparaître complètement. A la décharge de Jean-Michel Blanquer, l’échappement vaccinal est plus important depuis que le variant Omicron s’est imposé, et l’était bien moins au moment de sa prise de parole. Néanmoins, comme le soulignait alors Le Monde, une étude israélienne évaluait déjà à 90 % l’efficacité contre les contaminations, non à 100 %. « S’il y a un débat scientifique sur le niveau de réduction de la transmissibilité du virus pour les personnes vaccinées, il y a consensus sur le fait que la vaccination réduit le risque de contracter la Covid-19 ainsi que le risque de la transmettre et limite très fortement les formes graves de la maladie », reformule désormais le cabinet du ministre.

  • La bonne couverture vaccinale des enseignants

En novembre 2021, Jean-Michel Blanquer affirme sur BFM-TV que plus de 90 % des professeurs sont vaccinés – à la fois pour rassurer les parents, mais aussi pour éviter de rendre la vaccination obligatoire.

Aucun chiffre officiel pour en attester

Problème : il n’existe aucun chiffre officiel permettant de suivre l’évolution de la couverture vaccinale par profession. Comme le relève 20 Minutes, le ministre de l’éducation nationale s’appuie sur un sondage déclaratif d’août 2021 réalisé par Ipsos : 78 % des cinq cents enseignants sondés affirmaient alors posséder un schéma vaccinal complet et 9 % prévoyaient de recevoir une seconde dose. Des données « forcément imprécises en raison de la méthode utilisée », résume Le Parisien, mais qui n’ont pas empêché le ministre de se montrer affirmatif.

  • Les enseignants moins contaminés ?

Plus récemment, Jean-Michel Blanquer a aussi assuré, à propos des enseignants, le 3 janvier 2022 sur LCI, que « toutes les enquêtes nous montrent que c’est une profession moins contaminée que les autres, précisément parce que plus responsable aussi, avec le respect des gestes barrières, etc. »

Des études qui disent le contraire

Comme le relève 20 Minutes, le ministre de l’éducation nationale s’appuie sur une étude de l’Institut Pasteur réalisée à l’hiver 2020-2021, ce que confirme le cabinet du ministre au Monde. Celle-ci estimait que « les enseignants ne semblent pas avoir un risque augmenté », mais appelait à une extrême prudence face à des données jugées « fragiles ». Dans le même temps, une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, qui dépend du ministère du travail), réalisée en janvier 2021, place les enseignants parmi les « dix-neuf familles professionnelles les plus touchées par le Covid-19 en lien avec le travail ».

De même, selon une étude réalisée à l’hiver 2020-2021 par Sciensano, un centre de recherche et l’Institut national de santé publique en Belgique, tous métiers confondus, le secteur professionnel de l’enseignement est le troisième le plus touché par le Covid-19, derrière l’administration publique, la santé et l’action sociale.

Le Monde