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Fabien Deglise
Cette semaine, le Canada a emboîté le pas aux États-Unis en amorçant le rapatriement du personnel non essentiel de son ambassade en Ukraine et en augmentant son aide au gouvernement ukrainien, par l’élargissement de son programme de formation de ses militaires. Entre autres choses. Ces décisions ont été prises alors qu’une menace d’invasion de l’ex-république soviétique par la Russie plane toujours.
Or, si la politique étrangère de Justin Trudeau se retrouve une fois de plus sur la même tonalité que celle de Joe Biden — en s’exprimant toutefois toujours un peu à la traîne —, la position des formations politiques de droite dans les deux pays, elle, est loin d’être aussi alignée.
C’est que, du côté canadien, les conservateurs appellent, à l’unisson, à plus de fermeté pour freiner les dérives belliqueuses de la Russie et dénoncent même, au passage, la faiblesse des engagements du fédéral, qui pour le moment refuse d’envoyer des armes à l’Ukraine.
De son côté, la droite américaine se divise en laissant sa frange la plus radicale et la plus pro-Trump remettre en question l’intervention américaine dans ce conflit, en plus de soutenir à mots à peine voilés la position de Moscou, qui bombe le torse du côté de sa frontière avec l’Ukraine.
Lundi, le représentant républicain Matt Rosendale, du Montana, s’est opposé à la mise en état d’alerte de 8500 militaires américains par Joe Biden, jugeant qu’il « n’est pas dans [leur] intérêt national de répandre le sang et les trésors américains en Ukraine », a-t-il indiqué par voie de communiqué. Une préparation à la guerre qui a été qualifiée de « folle » par Donald Trump cette semaine, dans le balado de l’ultraconservateur Lou Dobbs, opposé lui aussi à tout affrontement avec la Russie.
« Pour être clair, ce qui se passe en Russie est préoccupant. Mais c’est un problème pour la Russie, l’Ukraine et l’Europe de l’Est, a indiqué jeudi dans un texte d’opinion Paul Gosar, de l’Arizona, un pro-Trump particulièrement bruyant au Congrès. Pas un seul soldat américain ne devrait être envoyé à travers le monde pour se battre ou pour protéger la frontière russo-ukrainienne. »
À l’inverse, les conservateurs canadiens ont réagi vivement mercredi à l’annonce d’Ottawa sur la crise russo-ukrainienne, jugeant le premier ministre Justin Trudeau « incapable d’adopter des mesures concrètes » pour contrer une menace d’invasion russe qui se fait chaque jour un peu plus menaçante en Ukraine.
« Aujourd’hui, le premier ministre Trudeau avait l’occasion de faire ce qu’il fallait pour soutenir l’Ukraine contre l’agression de la Russie en lui fournissant des armes de défense létales. Il ne l’a pas fait », a déploré le parti d’Erin O’Toole par voie de communiqué, en rappelant que les États-Unis, le Royaume-Uni, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la République tchèque et d’autres pays ont pourtant déjà fourni ce type d’armes.
Mercredi, le Canada a annoncé l’envoi de 60 militaires de plus pour contribuer à la formation de l’armée ukrainienne, portant le contingent à 260. Le fédéral a annoncé une contribution en équipement non létal, comme des gilets pare-balles ou des lecteurs optiques, en plus d’augmenter la capacité de son corps diplomatique à Ottawa et à Kiev pour faire face à la suite des choses.
« Avec de plus en plus de signes d’une invasion potentielle de l’Ukraine par la Russie, le temps des tergiversations du premier ministre Trudeau doit maintenant prendre fin », ont martelé les conservateurs plus tôt cette semaine.
Contaminée par son extrême
N’empêche, pour le stratège républicain Gary Sasse, joint par Le Devoir au Rhode Island, les positions des droites américaines et canadiennes ne sont pas si éloignées que cela. Après tout, mardi, le leader républicain au Sénat, Mitch McConnell, pourtant un fervent critique du président américain, a salué son approche visant à dissuader de nouvelles agressions russes contre l’Ukraine, qualifiant le tout d’« encourageant » et « de pas dans la bonne direction ».
Mais ce discours de la vieille garde républicaine reste contaminé par les nombreuses déclarations prorusses de l’aile radicale du parti, sans grande crédibilité toutefois selon cet analyste.
« Les commentaires de l’ancien président Trump [et de ses alliés] sur la situation actuelle en Ukraine n’ont aucune crédibilité quand on se souvient qu’il a fait face à une procédure en destitution à la fin de son mandat pour avoir tenté de faire chanter l’Ukraine et avoir retardé l’envoi d’aide américaine, dit-il. Ses actions n’ont servi qu’à enhardir Vladimir Poutine » et à envenimer un conflit qui depuis ne cesse de s’embourber, comme en témoigne la crise diplomatique des dernières semaines.
Opposition opportuniste
La rhétorique anti-interventionniste et prorusse de la droite américaine en Ukraine est toutefois soutenue par l’influenceur ultraconservateur et animateur de la chaîne Fox News Tucker Carlson, qui ne cesse d’amplifier cette contestation, un autre carburant pour saper la politique étrangère américaine.
« Pourquoi prendrions-nous le parti de l’Ukraine et non celui de la Russie ? » a-t-il d’ailleurs lancé cette semaine à son invité, le député Michael Turner de l’Ohio, un républicain modéré qui siège au Comité du renseignement de la Chambre des représentants. Ce dernier lui a répondu : « L’Ukraine est une démocratie. La Russie est un régime autoritaire qui cherche à imposer sa volonté à une démocratie ukrainienne élue. Et nous sommes du côté de la démocratie. »
« Une grande partie des élus républicains, tout comme les animateurs de Fox News, ont les élections de mi-mandat [en novembre prochain] dans la ligne de mire, résume l’ex-conseiller politique d’Al Gore et professeur de communication politique Robert Lehrman, joint à Washington. Et dans ce contexte, tous les moyens sont bons pour faire de Joe Biden une cible. Si le président se prononçait pour la consommation de lait, Tucker Carlson dirait que c’est cruel pour les vaches », ironise-t-il.
L’Ukraine est une démocratie. La Russie est un régime autoritaire qui cherche à imposer sa volonté à une démocratie ukrainienne élue. Et nous sommes du côté de la démocratie.— Michael Turner
Pourtant, les lignes partisanes ne teintent pas vraiment la perception du conflit par les Américains, qui jugent la menace militaire russe en Ukraine mineure dans les mêmes proportions chez les républicains (36 %) que chez les démocrates (33 %), indique une étude du Pew Research Center. Ils voient aussi la Russie davantage comme un concurrent que comme un ennemi, qu’ils votent à gauche, au centre ou à droite.
Seul bémol : un sondage Yahoo News/YouGov publié cette semaine a révélé que 62 % des républicains et des indépendants considèrent le président russe, Vladimir Poutine, comme étant plus fort que Joe Biden. Une faiblesse exploitée par la droite radicale qui, en divisant les conservateurs américains, vient aussi compliquer la quête d’unité cherchée par les Occidentaux pour faire front commun contre le Kremlin.
« Nos alliés surveillent de près les signes de division ici », a résumé le sénateur démocrate du Connecticut, Richard Blumenthal, dans les pages du New York Times jeudi, en dénonçant « la rhétorique de l’extrême droite », perfide, qui une fois de plus arrive à s’approprier les divisions des autres pour alimenter celles utiles à son camp.