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Par Louis Nadau

Le « cabinet de conseil de l’État en interne » que le porte-parole du gouvernement appelle de ses vœux sur BFMTV ce vendredi 18 février ressemble furieusement au travail d’une administration, si tant qu’elle ne soit pas remplacée, comme ce fut le cas ces dernières années, par un cabinet de conseil privé.

L’idée du siècle. Ce vendredi 18 février, sur BFMTV, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, partageait avec les Français cet éclair de génie : « On veut développer une forme de cabinet de conseil de l’État en interne. » Il s’agirait d’un corps d’experts, spécialisés dans des domaines très techniques, pour éclairer le pouvoir politique dans ses choix. Et ces experts au service de l’État feraient partie de la fonction publique, afin d’éviter que la poursuite de l’intérêt général ne soit parasitée par les intérêts privés… Encore un effort, et Gabriel Attal découvrira l’administration !

On exagère. En vérité, le porte-parole du gouvernement veut que ce « cabinet de conseil interne » vienne « en appui des administrations », afin de « rendre l’État plus efficace et plus performant ». Comme si les fonctionnaires des administrations centrales n’étaient pas assez compétents pour trouver des solutions eux-mêmes, le gouvernement souhaite donc ajouter une petite couche de technostructure supplémentaire. À la sauce « start-up nation », bien sûr. C’est-à-dire en s’inspirant du privé.

« Sur le principe, je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que, pour l’État, avoir recours à des conseils de cabinets privés, c’est un gros mot. Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que l’État est omnipotent, omniscient, qu’il sait tout sur tout et je pense que le privé peut apporter à l’État pour effectivement améliorer un certain nombre de choses », soutient d’ailleurs Gabriel Attal. Traduite en chiffres, la belle ferveur du porte-parole du gouvernement donne entre 1,5 et 1,3 milliards d’euros par an de commandes aux cabinets de conseil, selon les calculs des journalistes Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, auteur du livre enquête Les Infiltrés.

« Dégraisser le mammouth »

L’addiction aux conseils de ces cabinets – Accenture, Advancy, Bearing Point, Capgemini, Eurogroup Consulting, Kearney, KPMG, Mazars, McKinsey, Roland Berger, Boston Consulting Group, ou Wavestone – est telle que le gouvernement a recours à leur service y compris lorsque ce qui reste de l’administration – réduction du nombre de fonctionnaire oblige – pourrait se charger du travail. La synthèse des réponses écrites au « grand débat » national a ainsi été confié au cabinet Roland Berger, alors que l’État compte un corps entier de conservateurs des bibliothèques dévolu à ces tâches.

De même, c’est bien à un cabinet de conseil que l’État a confié la charge de compter le nombre de masques disponible au début de la pandémie, au lieu de s’adresser à Santé publique France. Rappelons que le recours à ces cabinets de conseil remplissant une fonction para-étatique est à la fois la cause et la conséquence de l’affaiblissement de l’État. Cause, parce que la potion préférée de ces officines d’obédience libérale est bien sûr de « dégraisser le mammouth » administratif. Conséquence, parce qu’il faut bien combler le vide.

Coûteux et oiseux

Pour quels résultats ? « Je ne nie pas le fait que quand cette crise est arrivée, elle a révélé des failles dans notre organisation », répond pudiquement Gabriel Attal. L’exécutif ne s’empresse pas, hélas, de communiquer sur le contenu des travaux des cabinets de conseil. Rappelons seulement quelques faits d’armes : en 2014, le même cabinet Roland Berger a examiné pour le compte de Bercy la situation d’Alstom, un an avant la vente désastreuse de sa branche énergie à General Electric. Comme le racontait Marianne dans cet article, le gouvernement avait, en 2018, jeté par les fenêtres 42 000 euros d’argent public pour que le cabinet d’avocats Dentons rédige l’exposé des motifs d’un projet de loi sur les « mobilités », finalement étrillé par le Conseil d’État.

Si un doute subsistait sur l’utilité fondamentale de ces missions de conseil, l’audition de Karim Tadjeddine (voir l’extrait vidéo ci-dessous), directeur associé du cabinet McKinsey en France, par la commission d’enquête sénatoriale sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques » du caractère oiseux de ces couteuses expertises.

« D’abord c’est pas nouveau le recours aux cabinets de conseil dans notre pays, ça fait des années voire des décennies que ça existe » soutient pourtant Gabriel Attal. Et d’insister : « En 2018, donc avant la crise sanitaire, le gouvernement a pris un accord cadre pour encadrer les choses justement. Ce qu’on constate, c’est une stabilisation des dépenses depuis qu’on a pris cet accord cadre. Ensuite on a annoncé des mesures pour l’avenir, notamment un marché commun pour l’ensemble des ministères. » Chouette alors ! « Les cabinets de conseil doivent évidemment être sollicités dès lors que c’est pour des compétences qu’on ne trouve pas au sein de l’État », rassure enfin Gabriel Attal. Après l’éclair de génie, l’éclair de lucidité ?

Marianne