Étiquettes

, , ,

Philippe Bilger

Les temps tragiques reviennent, a déclaré le président de la République.

La campagne présidentielle ne va pas être suspendue et je ne crois pas qu’il soit honteux de distinguer deux plans : celui de la démocratie officielle et des contradictions organisées et celui des tréfonds d’une vie nationale, qui aujourd’hui offrent une terrifiante chance au candidat Emmanuel Macron dont le premier meeting aura lieu le 5 mars à Marseille.

Avant l’odieuse guerre décidée et organisée de longue date par le dictateur Poutine – bel euphémisme que de qualifier son régime « d’autoritaire » ! – et le péril imminent sur le sort de l’Ukraine, de Kiev et le destin du courageux et trop solitaire président Zelensky, il était facile d’imaginer les argumentations que les adversaires de EM pourraient lui opposer.

Elles auraient concerné la baisse du pouvoir d’achat, la faiblesse régalienne, la gestion de la pandémie, les inconstances et les fluctuations du président, ses échecs européens, cette exclusive politique du verbe, l’influence internationale de notre pays infiniment réduite et le constat d’une nation jamais plus éclatée qu’aujourd’hui quand l’engagement principal de 2017 était, outre le dépassement (jamais effectif) de la gauche et de la droite, l’exigence de favoriser le rassemblement de la nation.

Ces critiques que chaque candidat aurait adaptées selon son registre, à l’évidence, vont sans doute passer au second plan. Comme si la réalité de la guerre et sa responsabilité exclusive effaçaient les procès qui auraient pu être intentés au futur compétiteur Macron et allaient gêner les discours de ses adversaires.

D’abord la relégation de thèmes qui, pour être importants dans une période normale, perdent beaucoup de leur caractère crucial dans ces « temps tragiques ».

Zelenski-1080x584

Ensuite il n’est pas une contradiction forte qui hier aurait été apportée au président Macron qui ne soit au moins relativisée, voire négligée dorénavant. Son cynisme dans l’annonce de sa candidature – le faisant profiter le plus longtemps possible d’un surplomb mettant à la disposition du candidat les moyens réservés au président – n’a plus la moindre importance. Il invoquait des justifications internationales et la situation sanitaire pour expliquer le retard mis à son implication dans la campagne. On pouvait douter de ces prétextes mais la guerre donne une tragique consistance au maintien d’un président en activité le plus longtemps possible.

Sur un autre plan, on aurait pu tourner en dérision la double tentative de médiation du président Macron face à un dictateur jouissant du caractère atypique de ses desseins et tout imprégné du mépris que lui inspiraient les menées occidentales. Mais, depuis que le chef de l’Etat a pris conscience du fait qu’il avait été floué et que le pire à cause de Poutine est survenu, il a un comportement irréprochable, un discours vigoureux de quatre minutes, un coup de téléphone à Poutine pour lui intimer de cesser son invasion, une concertation européenne pour mettre en oeuvre des sanctions financières, économiques et bancaires drastiques.

Il n’est plus possible de moquer les fiascos d’EM parce qu’ils ont été effacés par l’extrémité inouïe de ce qui les a suivis.

Poutine qui trop longtemps a bénéficié de soutiens et de complaisance de la part de certaines personnalités de notre pays, les a rendus beaucoup plus réservés, infiniment plus nuancés, à cause de son attitude foulant aux pieds le droit international et osant prôner une dénazification de l’Ukraine quand lui-même est un Hitler en réduction. Il y a comme une solidarité contrainte qui résultera des échanges que le président aura, au sujet de la France et de l’Ukraine, avec tous ceux appelés à l’affronter.

Cette guerre, avec l’emprise absolue qu’elle fait peser sur notre existence collective, sur le destin de l’Europe et du monde, bouscule tout, contraint à des hiérarchisations déchirantes.

Il serait étonnant qu’en raison de cette part obscure, cette terrifiante chance du candidat Macron, celui-ci, au bout de sa campagne éclair, ne soit pas réélu.

Mais il faut se battre comme si une campagne classique, nourrie par des controverses légitimes, était possible et capable de déjouer les pronostics engendrés par la pesanteur du sombre national et international.

Justice au Singulier