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En ces temps troublés, il ne faut pas qu’il y ait d’indignation sélective. Il ne faut pas non plus avoir une indignation sélective en protestant contre cette indignation sélective. Le recours à la guerre illégale doit être combattu.
Pascal.Boniface, Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques
La décision calamiteuse de lancer une guerre contre l’Ukraine, en violation du droit international, a débouché sur une situation catastrophique pour l’Ukraine, mais également à terme pour la Russie. Les pays occidentaux ainsi que d’autres pays ont pris des sanctions extrêmement sévères que Poutine n’avait certainement pas anticipé et que probablement les pays occidentaux ne pensaient pas prendre, tellement ils ont été choqués par cette agression.
Je vois ici et là des commentaires disant qu’il n’est pas juste que d’autres pays aient eu recours à la guerre et que l’on est finalement beaucoup plus sévère avec la Russie qu’avec d’autres pays dans le passé. C’est peut-être vrai, mais ce n’est pas une raison. D’une part, peut-être que l’époque a changé et que nous sommes de plus en plus sensibles à la guerre et aux souffrances qu’elle apporte et que nous ne pouvons pas le supporter. D’autre part, le fait que les événements se déroulent en Europe a un effet beaucoup plus saisissant. Il ne s’agit pas de la première guerre en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale comme certains l’ont dit, puisqu’il y a eu la guerre au Kosovo contre la Yougoslavie, lancé par les pays de l’OTAN en 1999. Et là, il faut effectivement reconnaître qu’on avait moins d’images des réfugiés, que l’on était plus dans un camp.
Cependant, tout ceci pour être vrai ne doit pas venir excuser la décision de Poutine de se lancer dans une guerre, pas plus d’ailleurs que les multiples erreurs qui ont été faites à l’égard de la Russie. La question sera peut-être de savoir ce qui s’est mal passé par rapport à la Russie. Pourquoi Poutine en est arrivé à une décision aussi criminelle ?
L’élargissement de l’OTAN était une erreur. Il ne faut pas dire, comme certains, que l’on a bien fait d’élargir l’OTAN parce que cela nous protège contre la Russie sans doute que si l’on avait établi des relations différentes avec la Russie peut être que poutine n’aurait pas eu recours à la guerre. François Mitterrand, George F. Kennan, le père du containment, et Kissinger avaient mis en garde contre l’élargissement de l’OTAN et ses conséquences sur une crispation de la Russie. Mais même si cet élargissement était une erreur, cela ne vient pas excuser le recours à la guerre par Poutine. La Russie a certes été humiliée. On a déchiré l’accord Salt 1. On a mis en place des défenses antimissiles que même Obama, qui voulait reconstruire une nouvelle relation avec la Russie, n’a pas pu retirer parce que le complexe militaro-industriel américain y tenait. Barack Obama a lui-même traité la Russie de « puissance régionale ». Elle a été humiliée dans les années 90 par le comportement indigne de ses propres dirigeants (Eltsine et les oligarques), mais tout ceci pour être vrai ne vient pas excuser le recours à la guerre.
Les Américains ont bien sûr lancé une guerre illégale contre l’Irak. À l’époque d’ailleurs des experts ne s’étaient pas trompés, mais avaient menti en affirmant que l’Irak possédait des armes de destruction massive. Mais cette guerre illégale illégitime et aux conséquences catastrophiques ne peut en rien légitimer la guerre de Poutine. Certains qui avaient approuvé la première critiquent la seconde. Certains qui avaient critiqué la première approuvent ou comprennent la seconde. Pour ma part je m’oppose aux deux.
Joe Biden a fait une erreur en disant dès le départ qu’il n’interviendrait pas militairement en cas d’agression russe contre l’Ukraine, répétant un peu l’erreur de Dean Acheson qui dans les années 50 avait dit que la Corée du Sud ne faisait pas partie du périmètre de sécurité des États-Unis. Une fois encore, cela ne vient pas excuser le recours à la guerre décidée par Poutine. L’Ukraine a eu tort de ne pas vouloir mettre en œuvre les accords de Minsk qu’elle avait pourtant signé en estimant qu’il lui était trop défavorable. Mais là encore, cela ne vient pas excuser le recours à la guerre décidé par Poutine.
En ces temps troublés, il ne faut pas qu’il y ait d’indignation sélective. Il ne faut pas non plus avoir une indignation sélective en protestant contre cette indignation sélective. Le recours à la guerre illégale, lorsque ce n’est pas de la légitime défense ou qu’il n’y a pas eu un feu vert de l’ONU, doit être combattu. On ne doit pas être d’accord dans certains cas et en désaccord dans d’autres. Il faut être cohérent si l’on veut être entendu. Il y a bien sûr des personnes qui vont condamner Poutine et qui n’ont pas condamné les multiples violations du droit international, le recours à la guerre illégale, l’acquisition d’un territoire par la force. Ce n’est pas une raison d’accepter ce que vient de faire Poutine. On ne peut pas avoir des principes à géométrie variable. En tous les cas, ceux qui en ont doivent être mis en face de leurs contradictions, et cela dans les deux cas parce qu’il y a effectivement des personnes qui vont changer leurs principes en fonction de l’État ou du protagoniste qui va commettre telle ou telle action. Si l’on veut que les valeurs universelles soient respectées, il faut être cohérent à la fois dans leur demande de respect et dans la dénonciation de leurs violations. Il ne faut pas avoir un universalisme à éclipses ou une morale hémiplégique, mais être cohérent et appliquer les mêmes critères, quels que soient les protagonistes.
C’est pour ma part ce que j’essaye de faire. Je suis parfois insulté des deux côtés en étant soit vendu aux Russes, soit vendus aux Américains. Mais, en tous les cas, j’essaye d’être cohérent dans ma démarche, de reconnaître des erreurs quand j’en fais et de ne pas baser ma démonstration sur des mensonges ou sur des déformations des réalités et d’accepter toujours le débat contradictoire.