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Etats-Unis, Reconnaissance, renseignement américain, Sigint, Ukraine
© USAF
Xavier Tytelman, Gaétan Powis
Depuis le début du conflit, de nombreux appareils de reconnaissance de pays membres de l’OTAN effectuent des sorties le long de la frontière ukrainienne. Ces missions de reconnaissance et de renseignement permettent de recueillir des informations précises sur la situation tactique en Ukraine. Les appareils américains ont cependant une double mission, car en plus d’alimenter leurs propres services de renseignement, les informations analysées sont partagées avec la Direction générale du renseignement du ministère de la Défense de l’Ukraine.
Une surveillance constante
Depuis le déclenchement des hostilités le 24 février 2022, de nombreux appareils de pays membres de l’OTAN continue de longer les frontières de l’Ukraine et scrutent le moindre mouvements de troupes :
- Mirage 2000 D français équipés du pod aéroporté capable d’analyser de signaux tactiques (ASTAC). Avec un double angle d’analyse de 100°, il permet d’analyser les émissions électroniques, les localiser et les classifier.
- RC-135W Rivet Joint de reconnaissance et de guerre électronique anglais ou américain : il s’agit d’un Boeing C-135 modifié qui intercepte des échanges radios émis jusqu’à 240 km de distance. Il peut analyser des signaux de télécommunications (COMINT) ou effectuer du renseignement électronique en captant les émissions électromagnétiques provenant principalement d’émetteurs et de radars (ELINT).
- E-3A Sentry de l’OTAN ou des États-Unis. Cet avion, très reconnaissable à son dôme radar, analyse le champ de bataille aérien tout comme le spectre électromagnétique pour localiser et identifier les radars ennemis. C’est aussi un centre de commandement aéroporté qui peut centraliser toutes les informations des appareils alliés présents dans la région et en coordonner les missions. Si les équipements militaires de l’avion sont régulièrement mis à jour, les appareils eux-mêmes commencent à vieillir et l’USAF prépare son remplaçant (voir l’article détaillé ici).
- E-8C Joint STAR américain. Il est l’équivalent de l’AWACS mais son radar analyse ce qui se trouve au sol : il suit les blindés, véhicules ou même des hélicoptères en vol à basse altitude. Son radar AN/APY-3 a une portée de 250 km et peut analyser une zone de 50.000 m² en une journée (soit l’équivalent du Nord de la France, de la Belgique et du Luxembourg). Ces appareils commencent aussi à arriver en fin de vie et sont sur le point de prendre leur retraite .
- RQ-4A/B américains ou de l’OTAN. Ce drone de très haute altitude et longue endurance (HALE) peut couvrir en une journée une zone de 100.000 km². Il est équipé de capteurs à haute résolution, y compris des systèmes électro-optiques de jour et infrarouges, ainsi qu’un radar à ouverture synthétique. Son grand avantage se trouve être son endurance puisqu’il a la possibilité de réaliser des vols de 42 heures ou de 26.000 km sans aucun ravitaillement. Ces performances s’expliquent par sa capacité à planer au FL650 (65.000 pieds, soit 20 000 mètres) grâce à sa grande finesse et son envergure de 40 mètres, soit seulement 4 mètres de moins qu’un E-3 Sentry AWACS. Les RQ-4 doivent remplacer les U-2 Dragon Lady mais ceux-ci sont encore actifs, des patrouilles ayant été remarquées le long de la frontière ukrainienne.
- Les Américains déploient aussi d’autres plateformes ISR, comme les avions de patrouille maritime P-3C Orion et son successeur le P-8 Poseidon, ou des avions ISR de plus petite taille comme les RC-12X Guardrail et Artemis. L’un des très secret avion renifleur de particule radioactive WC-135 Constant Phoenix a même effectué plusieurs vols dans la région.
- Il faut ajouter à cette liste tous les autres avions qui ne sont pas visibles sur les différents site répertoriant ces éléments en source ouverte. La présence du Mirage 2000 D dans cette liste n’est d’ailleurs possible que par l’interception de la patrouille Mirage 2000D, Rafale et A330 MRTT par des avions Russes lorsqu’ils se sont approchés de Sébastopol (tout en restant dans l’espace aérien international).
L’USAF au service des États-Unis… et de l’Ukraine
Depuis le début de la guerre, l’Ukraine ne contrôle plus l’entièreté de son espace aérien et voit donc sa capacité ISR diminuée, malgré les quelques appareils de guerre électronique et ISR dont elle dispose (Mi-8MTPI ou encore Mi-8MTPB). Les États-Unis ont donc décidé de directement alimenter une plateforme à l’intention de la Direction générale du renseignement du ministère de la Défense de l’Ukraine (GUR MOU). Celle-ci est mise à jour toutes les 30 minutes, avec les informations et analyses effectuées par les Américains. Le caractère sensible de ce partage ne permet pas de juger le degré de précision des informations fournies. Celles-ci doivent cependant permettre à l’Ukraine de disposer de préavis sur certaines attaques, le décollage d’avions de chasse russes, la mise en route de radars, les mouvements de troupe… Aux informations collectées par les avions ISR, s’ajoutent également les photos satellites (image ou radar), la remontée d’informations de la part des ressources sur le terrain, etc…
L’Ukraine dispose ainsi d’une source d’information tactique de grande valeur et peut anticiper les différentes actions des forces russes en Ukraine, orientant sa défense pour infliger de lourdes pertes ou permettant aux systèmes de défense sol-air ukrainiens de rester silencieux (et donc indétectables) jusqu’au moment du tir.
Il est toutefois certain que ces avions ne permettent pas aux forces ukrainiennes d’acquérir une cible qui leur aurait été fournie par transmission de données (comme la désignation d’un objectif par un Awacs à un chasseur en Liaison 16 par exemple) pour deux raisons. La première est diplomatique, car cette action signifierait que des appareils non-ukrainiens seraient impliqués dans des opérations offensives envers les forces russes, ce qui serait de facto considéré comme une entrée en guerre contre la Russie. Deuxièmement, il persiste un problème d’interopérabilité : alors que tout les matériels des pays membres de l’OTAN peuvent facilement communiquer ou partager des informations entre eux, l’Ukraine dispose de matériels datant de l’Union Soviétique dont seule une faible proportion a été modernisée et mise aux standards OTAN. Il est ainsi difficilement envisageable de voir un E-3 Sentry américain désigner un avion de combat russe au profit d’une batterie de S-300 ukrainienne.
Ce précieux soutien a été évoqué dans un entretien (interview disponible ici) et fait suite aux déclarations publiques de membres du Congrès américain, ces derniers se plaignant d’ailleurs que les informations récoltées et analysées prennent trop de temps à être envoyées aux Ukrainiens.