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Par Christian Chesnot

Alliée proche de la Russie depuis son indépendance en 1991, l’Arménie se sent fragilisée par l’aventure guerrière de Vladimir Poutine en Ukraine, dont elle redoute de faire les frais face à l’axe turco/azerbaïdjanais.

Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, avec Vladimir Poutine, en décembre 2021, en Russie.
Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, avec Vladimir Poutine, en décembre 2021, en Russie.• Crédits : Evgeny Biyatov / SputnikAFP

Pour la première fois depuis la guerre de l’automne 2020, les dirigeants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan se sont retrouvés mercredi 6 avril à Bruxelles sous les auspices de l’Union européenne. Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et le Président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, ont ordonné à leurs ministres des Affaires étrangères respectifs de « commencer les préparatifs aux pourparlers de paix entre les deux pays ». Le dernier affrontement entre les deux pays dans la région du Karabakh s’était soldé par une défaite des troupes arméniennes.

Les forces azerbaïdjanaises, appuyées directement par la Turquie et soutenues par Israël, avaient repris le contrôle de l’ensemble des sept districts autour de la province sécessionniste et d’une partie de celle-ci en tant que telle, majoritairement peuplés d’Arméniens.

L’Arménie protégée par le parrain russe

Après le cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020 sous les auspices de la Russie, Moscou a déployé au Haut-Karabakh une force d’interposition de près de 2 000 hommes. Depuis, la situation sur le terrain reste tendue.

La guerre en Ukraine va-t-elle faire bouger les lignes dans ce conflit du Caucase ? C’est ce que craignent les Arméniens qui vivent sous la protection de la Russie.

« Depuis le déclenchement des hostilités en Ukraine fin février, constate Tigrane Yégavian, chercheur au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), qui vient de publier Géopolitique de l’Arménie aux éditions BiblioMonde, les Azerbaïdjanais ont lancé plusieurs offensives contre des villages arméniens dans les zones sous contrôle des forces russes de maintien de la paix. Le but étant de grignoter progressivement des territoires, de pratiquer une pression maximale sur les populations civiles. »

L’Azerbaïdjan avance ses pions sur le terrain

Début mars, l’unique gazoduc reliant l’Arménie à l’enclave du Haut Karabakh a été saboté. Comme si l’Azerbaïdjan et son allié turc profitaient de la guerre en Ukraine qui concentre toute l’attention de la communauté internationale et celle de la Russie pour avancer leurs pions sur le terrain.

Cette conjoncture internationale inquiète l’Arménie car la Russie est la seule garante de sa sécurité et de celles des Arméniens du Haut-Karabakh. « Le drame des Arméniens est qu’ils sont complètement tributaires des Russes pour leur sécurité physique mais aussi pour leur sécurité énergétique, puisque le gaz qu’ils consomment est importé de Russie », explique Tigrane Yégavian.

Au plan diplomatique, l’Arménie s’est abstenue lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’invasion russe de l’Ukraine. La marge de manœuvre des autorités de Erevan est extrêmement étroite. « Les Arméniens évoluent sur une ligne de crête, constate Tigrane Yégavian. Le moindre faux pas pourrait s’avérer funeste. »

Les puissants alliés de Bakou

En face, l’Azerbaïdjan est soutenu par deux puissances régionales majeures et influentes : la Turquie et Israël. « Dans la dernière guerre de novembre 2020, analyse Tigrane Yégavian, ce sont les drones turcs Bayraktar et israéliens Harop qui ont fait la différence sur le champ de bataille. » L’Azerbaïdjan fait partie de la proximité géostratégique d’Ankara.

La Turquie a été le premier État du monde à avoir reconnu l’indépendance de l’Azerbaïdjan à la suite de la disparition de l’URSS en 1991. Les deux pays entretiennent ainsi une coopération économique et militaire très étroite.

Quant au partenariat israélo-azerbaïdjanais, il repose sur une alliance militaro-énergétique. L’Azerbaïdjan fournit environ un tiers des besoins pétroliers d’Israël, qui, en retour, livre à Bakou du matériel militaire sophistiqué. Et puis surtout, l’Azerbaïdjan constitue en base d’observation et d’espionnage pour surveiller l’Iran.

Une timide normalisation turco-arménienne

Arméniens et Turcs ont engagé un processus de normalisation après le conflit de l’automne 2020, mais il ne s’agit pas d’une réconciliation. Les premiers vols commerciaux depuis deux ans ont repris début février entre la Turquie et l’Arménie, mais la frontière terrestre entre les deux pays reste fermée depuis 1993, obligeant les camions à transiter par la Géorgie ou l’Iran.

Jusqu’où Erevan peut aller dans des concessions ? Pour Ankara, l’un des enjeux majeurs est de débloquer les axes routiers et ferroviaires en le territoire turc et celui de l’Azerbaïdjan.

Aujourd’hui, l’Arménie semble avoir abandonné l’idée d’une indépendance du Haut-Karabakh, et pourrait se satisfaire d’un statut d’autonomie de ce territoire acceptable pour la population arménienne locale.

La clé du conflit du Caucase se trouve aussi dans l’issue du conflit russo-ukrainien. Après la guerre qu’elle sera l’influence de la Russie dans cette région ? L’Arménie, en tout cas, redoute d’être dans le mauvais camp quand sonnera l’heure des nouveaux équilibres géopolitiques régionaux et internationaux.

France Culture