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Le président-candidat, Emmanuel Macron dans le débat télévisé qui les a opposés (à gauche), n’a pas mis K.-O. la dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen (à droite), mercredi soir, à trois jours du second tour.
Photo: Ludovic Marin Agence France-Presse Le président-candidat, Emmanuel Macron dans le débat télévisé qui les a opposés (à gauche), n’a pas mis K.-O. la dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen (à droite), mercredi soir, à trois jours du second tour.

Christian Rioux

Ça ne pouvait pas être pire qu’en 2017. La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, s’est tirée indemne du traditionnel débat d’entre-deux-tours qui se tenait mercredi soir. À trois jours du second tour de la présidentielle, ce débat l’opposant à Emmanuel Macron apparaissait pour la plupart des Français comme un match revanche mettant en scène les mêmes finalistes que cinq ans auparavant.

Les mêmes ? Pas tout à fait. Du moins, c’est ce que chacun a tenté de prouver tout au long de ces deux heures et demie d’échanges généralement respectueux. Si la présidente du RN n’a pas connu la défaite par K.-O. de 2017, elle a rarement été à l’offensive, sauf à la fin sur les questions de sécurité et d’immigration.

Face à un président pugnace au regard parfois même dominateur, Marine Le Pen a semblé fuir l’affrontement pendant toute la première moitié du débat, évitant même de regarder son adversaire dans les yeux. Face au discours souvent technique d’un président jouant à plein de son statut de chef d’État, notamment sur les questions internationales, la candidate s’est présentée comme « la présidente de la concorde » et « de la paix civile ». « Il faut recoudre la France », a-t-elle martelé à plusieurs reprises. Contrairement à 2017, elle a affiché un sérieux sans faille, jouant surtout de sa proximité avec les électeurs.
« Rabougrir la France » ?​

Signe d’un débat plus civilisé qu’il y a cinq ans, à aucun moment Emmanuel Macron n’a qualifié Marine Le Pen d’« extrême droite », comme l’ont fait plusieurs de ses porte-parole depuis deux semaines. Évoquant leurs différends, il a même parlé de « désaccords sincères, respectables ».

Ce qui ne l’a pas empêché de l’attaquer personnellement sur ses sympathies passées avec Vladimir Poutine, rappelant même le prêt que son parti a dû contracter auprès d’une banque russe en 2015 faute de pouvoir se financer en France. Lorsque vous parlez à Poutine, a-t-il lancé, « vous parlez à votre banquier ». « Nous sommes un parti pauvre, mais ce n’est pas déshonorant », a-t-elle répliqué.

Sur un ton désinvolte, le président a accusé Marine Le Pen d’être « une nationaliste qui veut rabougrir la France » et la sortir secrètement de l’Europe. « Vous voulez en sortir toujours, mais vous ne le dites plus. […] Vous mentez sur la marchandise ! » Une accusation à laquelle Marine Le Pen a répondu en affirmant qu’« il n’y a pas de souveraineté européenne, car il n’y a pas de peuple européen. […] Je souhaite que la Commission [européenne] respecte les nations européennes et leurs choix de société. »

L’affrontement a été particulièrement vif sur la politique de l’énergie et l’écologie. « Vous êtes climatosceptique », a lancé un président péremptoire en accusant sa vis-à-vis d’avoir un programme qui « n’a ni queue ni tête ». Dénonçant le « choix catastrophique » des éoliennes, Marine Le Pen a répliqué en accusant le président d’avoir « complètement changé d’avis sur le nucléaire. […] On a perdu 10 ans à déstabiliser une filière nucléaire. »

Dans ce débat, les candidats chassaient surtout des voix à gauche, celles du candidat Jean-Luc Mélenchon, qui est arrivé troisième le 10 avril dernier. Selon plusieurs sondages, les deux tiers de ses électeurs risquent néanmoins de s’abstenir.

Pour les convaincre, Marine Le Pen a défendu le maintien de la retraite à 62 ans et soutenu la création d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), une revendication portée par les Gilets jaunes. Elle a aussi ironisé sur « le Mozart de la finance [qui] a un bilan économique très mauvais et un bilan social qui est encore pire ».

Emmanuel Macron a plutôt tenté de séduire l’électorat jeune et musulman en dénonçant notamment la proposition de Marine Le Pen d’interdire le voile islamique dans l’espace public. « Moi, je suis pour la loi de 1905. Avec moi, il n’y aura pas d’interdiction d’aucun signe religieux dans l’espace public. […] Vous allez créer la guerre civile si vous faites ça. »

« Le sens de la démocratie »

Difficile d’imaginer que cet échange de 2 h 30 ait pu véritablement troubler l’espèce de léthargie qui s’est installée dans cet entre-deux-tours. Comme si, pour l’essentiel, tout semblait joué alors que les derniers sondages semblaient creuser l’avance d’Emmanuel Macron (56 %) contre Marine Le Pen (44 %).

Une enquête réalisée au pied levé par BFM auprès de ses téléspectateurs révèle que 59 % d’entre eux ont trouvé Emmanuel Macron plus convaincant, contre 39 % pour Marine Le Pen. Selon les analystes, jamais un débat télévisé n’a radicalement modifié le résultat d’un scrutin, et il ne devrait pas en aller différemment cette fois-ci. D’ailleurs, en 30 ans, le nombre de spectateurs de ces débats a chuté de moitié, leur audience passant d’environ 30 millions dans les années 1980 à environ 16 millions en 2007.

En conclusion, Emmanuel Macron a affirmé que sa priorité dans les cinq prochaines années sera la jeunesse. « Le seul souverain, c’est le peuple, a conclu Marine Le Pen […]. Il faut retrouver le sens de la démocratie dans notre pays. » Selon OpinionWay, 14 % des électeurs disaient compter sur ce débat afin de déterminer pour quel candidat ils voteraient au second tour, et 12 %, pour savoir s’ils iraient même voter dimanche.

Dans cet échange beaucoup plus sage qu’en 2017, un rare moment de complicité est même apparu. « Nous sommes beaucoup plus disciplinés qu’il y a cinq ans », a ironisé Emmanuel Macron. Et Marine Le Pen de lui répondre en souriant : « Nous avons vieilli. »

Le Devoir