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Bertrand GUYOT

Le plus dur est devant nous », a prévenu Bruno le Maire ce jeudi. Pourtant, il y a à peine un mois, le ministre de l’Économie ne nous vantait-il pas la « solidité » de la France « très peu exposée à la Russie » selon lui ? De la magie du « en même temps » ?

Bruno Le Maire, ministre girouette de l’économie

Comme partout en France, il a peu plu, ces derniers mois, dans l’Eure. Pourtant, ce jeudi 5 mai, c’est une douche froide qui s’est abattue à Évreux, la préfecture du département. Bruno Le Maire y était en déplacement pour annoncer sa non-candidature à un quatrième mandat de député. Il en a profité pour évoquer l’économie. Pour le ministre de ce secteur, la France fait non seulement face à « des difficultés économiques considérables », mais en plus, dans ce contexte « de flambée du prix des matières premières » et d’une « inflation nouvelle », le « plus dur [serait] devant nous ».

Cette déclaration n’étonnera pas les millions de Français qui vivent au quotidien l’inflation galopante de ces derniers mois. En avril, l’Insee a estimé que la progression de l’Indice des prix à la consommation s’élevait à +4,8 % en un an. Avec pour principal moteur, l’explosion du cours des prix de l’énergie qui a progressé de +26,6 % dans le même laps de temps. Mais alors, quel est le problème ?

Cette petite phrase de la part du ministre de l’Économie n’est pas anodine, elle marque un changement dans sa communication sur l’Économie française. Depuis la reprise économique en 2021 — fortement auto financée par l’État qui a considérablement fait progresser la dette française, passée de 97,4 % en 2019 à 112,9 % en 2021 —, Bruno le Maire affiche une confiance sans faille. En janvier 2022, il parlait même sur France 2 de « rebond spectaculaire de l’économie française » qui effaçait « la crise économique » (mais pas la dette) et qui prouvait « que la politique du gouvernement [était] efficace ». Cocorico, en somme.

« L’économie française est peu exposée à la Russie »

La Russie de Vladimir Poutine est venue chambouler les certitudes de Bruno Le Maire, depuis qu’elle a envahi l’Ukraine, le 24 février dernier. La banque de France qui tablait sur une prévision de croissance de +4 % anticipe désormais un chiffre abaissé de 1,2 point. Dans un premier temps, Bruno Le Maire s’est voulu encore positif. Le 26 février, deux jours après le début du conflit, il assénait face à Jean-Pierre Elkabbach que le gaz serait « le seul vrai sujet économique » qui affecterait la France. Auditionné le mardi 22 février par les membres des commissions des finances et des affaires européennes sur les dossiers traités dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE) il avait asséné dans une tirade frisant le déni, « les conséquences de cette crise en Ukraine seront contenues, car l’économie française est peu exposée à la Russie ».

Le ministre de l’Économie ignorait-il donc à ce point la situation économique mondiale au premier trimestre 2022 et les multiples enjeux d’un conflit entre l’Ukraine et la Russie ? L’inflation ne date pas de deux mois. Elle avait déjà marqué une forte progression en 2021. En janvier, elle s’élevait à +2,9 %, dont +19,9 % pour le secteur énergétique. Les tensions à l’est de l’Europe commençaient à peser à l’international, mais nous étions alors loin de la situation actuelle, dont les conséquences envisageables — notamment agricole — à court terme étaient connues de tous.

Après la présidentielle, le réel peut enfin l’emporter

Tout n’est pas question d’énergie. L’explosion du cours de certains aliments — +13,4 % sur les pâtes, +7,8 % pour la moutarde — était déjà largement palpable avant la crise, car liée non pas au conflit actuel, mais à la sécheresse de 2021 au Canada. En revanche, la crise en mer Noire pèse sur le marché mondial du blé et se répercute dans le prix des matières premières. En mars, l’Insee a relevé une augmentation annuelle des prix des produits agricoles à la production de +26,8 %. Le coût des engrais a littéralement doublé et le coût de l’alimentation des animaux, progressé de +17,7 %. L’inflation est loin de se résumer à la seule question de l’Énergie. Les métaux sont aussi concernés : le cours du nickel — un composant essentiel des batteries et dont la Russie en est le troisième producteur mondial — a bondi de plus de 90 % depuis mars.

Pourtant Bruno Le Maire persistait en mars à tenir cette position rassurante « Oui, la crise en Ukraine aura un impact sur la croissance française. Mais ce qui est frappant, c’est qu’elle résiste et elle reste solide », avait-il appuyé à LCI, le 14 mars. Sur RTL, il évoquait le 20 mars, un « phénomène temporaire » précisant ne pas croire à un « un choc inflationniste de plusieurs années dans l’Union européenne ». Il fallait faire réélire le président sortant, et éviter de trop armer le camp d’en face. Marine Le Pen s’était saisie de la thématique du pouvoir d’achat et annoncer des lendemains douloureux n’était pas envisageable à l’époque.

Depuis ce jeudi, Bruno le Maire tient enfin le discours du réel. Mais ce faisant, il dévoile alors son cynisme des semaines précédentes. On n’ose penser qu’il s’agisse de son incompétence.

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