Étiquettes
Par Arnaud Benedetti
L’exécutif se garde de dénoncer les individus des quartiers sensibles pour éviter une mobilisation électorale en faveur de Jean-Luc Mélenchon aux législatives, analyse Arnaud Benedetti. Une stratégie qui révèle l’absence d’idéologie du macronisme, ajoute l’expert en communication.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).
Les incidents qui se sont déroulés au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions révèlent quelque chose de profond dans le moment que nous traversons. Ils disent d’abord la forme toujours mouvante du macronisme, dont la caractéristique est d’être d’abord tactique avant d’être idéologique. En pointant excessivement et de manière caricaturale les supporters anglais comme fauteurs de troubles, le ministre de l’Intérieur opère une double diversion: il se garde bien de dénoncer les individus perdus des quartiers populaires pour éviter une surmobilisation électorale en faveur de la gauche «mélenchonisée» à l’occasion des prochaines législatives et, mutadis mutandis, il tente un peu désespérément d’occulter les responsabilités de l’État dans la gestion de l’ordre public, les événements de Saint-Denis ayant réactivé la critique sur les faiblesses de l’exécutif – réelles ou supposées – sur le régalien.
Il lui faut, dans la perspective du scrutin, venir couper la route de la gauche par un mouvement de dénonciation d’une part, d’enveloppement d’autre part.
Arnaud Benedetti
La manœuvre est suffisamment significative pour souligner la préoccupation première et actuelle du pouvoir dans son appréciation de la situation. Il lui faut, dans la perspective du scrutin, venir couper la route de la gauche par un mouvement de dénonciation d’une part, d’enveloppement d’autre part. La stratégie de la majorité revient à insister sur la radicalité de la Nupes pour consolider et agréger l’électorat centro-conservateur tout en réinitialisant parallèlement le logiciel progressiste afin de se garder d’un trop ample effet d’éviction au profit du cartel emmené par les Insoumis. La majorité présidentielle essaie de se maintenir sur cette ligne de crête en vue des élections législatives.
Par ses omissions et par ses libertés manifestes prises avec la réalité des faits, la communication post-stade de France fait écho au récit inaugural d’un gouvernement Borne qui entend adresser des signaux à une partie de la gauche sociétale, celle acquise au libéralisme à l’anglo-saxonne, à l’aise avec les communautarismes et la globalisation, post-nationale en quelque sorte et pro-bruxelloise. Ce n’est pas celle du «Printemps républicain», oublié sur le porte-bagage du macronisme, mais celle de l’automne de la social-démocratie défaite sous Hollande et souvent abreuvée aux mannes intellectuelles de Terra nova. La nomination de Pap Ndiaye, apôtre d’une laïcité d’accommodement en lieu et place de Jean-Michel Blanquer défenseur d’une laïcité universaliste s’inscrit également dans cette narration qui renoue pour partie avec le Macron originel de 2016-2017.
Jamais depuis 1997, date de la dissolution malencontreuse initiée par Jacques Chirac, le renouvellement de l’Assemblée nationale ne se sera déroulé dans une atmosphère aussi empreinte d’aléas.
Arnaud Benedetti
L’exercice n’en demeure pas moins incertain, tant les élections législatives qui viennent n’ont aucune des caractéristiques de celles les ayant précédées dans le format quinquennal, notamment parce que ce sont les premières qui ponctuent une reconduction hors cohabitation, mais aussi pour une autre raison: la réélection du sortant est lourde d’ambivalences ; elle est le produit bien plus d’un vote par défaut que par adhésion, dans un contexte de désagrégation avancée des formations partisanes et de parcellisation de ces dernières. À trop faiblir sur les fondamentaux de droite, en imaginant que la peur de la gauche suffit à acquérir les parts du marché conservateur, le président prend le risque de perdre à tribord ce qu’il ne gagnera pas à bâbord. Jamais depuis 1997, date de la dissolution malencontreuse initiée par Jacques Chirac, le renouvellement de l’Assemblée nationale ne se sera déroulé dans une atmosphère aussi empreinte d’aléas non seulement en raison des conditions liées à la reconduction du sortant mais aussi parce que l’offre politique n’a jamais été aussi liquide, morcelée et les opinions aussi insatisfaites qu’insaisissables et volatiles. La majorité absolue n’est pas acquise, la majorité relative une hypothèse à prendre au sérieux, l’absence de majorité claire une perspective à ne pas écarter.