Étiquettes
Gilbert Doctorow, Relations internationales, Affaires russes
Ces dernières semaines, j’ai reçu un certain nombre de courriels élogieux de la part de lecteurs de mes essais qui ont pris note de ce qu’ils considèrent comme mon approche impartiale du conflit militaire actuel entre la Russie et l’Ukraine, qui est en désaccord avec les positions russophiles et russophobes enflammées que l’on trouve quotidiennement dans les médias alternatifs et grand public respectivement. Certains ont déclaré avoir profité de mes reportages sur le contenu et l’évolution des points de vue diffusés dans les talk-shows politiques russes au cours des derniers mois, ce qui est rarement abordé dans les informations et analyses occidentales classiques. Mon intention était de faire en sorte qu’au moins certaines personnes ici comprennent ce à quoi l’Ukraine et ses soutiens occidentaux sont confrontés, afin de mieux comprendre le déroulement des combats sur le terrain et qui pourrait être le vainqueur.
Dans ce contexte, j’annonce avec tristesse que le travail de reportage impartial vient de devenir beaucoup plus difficile en raison de la mise en œuvre hier par Eutelsat d’une décision politique annoncée il y a un peu plus d’un mois, mais qui est passée inaperçue pour la plupart des gens, y compris moi-même.
Je cite la recherche Google :
« Eutelsat va supprimer les chaînes russes interdites. Eutelsat prêt à arrêter immédiatement la rediffusion des chaînes russes RTR Planeta et Rossiya 24 sur ses satellites le 25 juin. 13 mai 2022 »
En effet, les principales chaînes d’information étatiques de la Fédération de Russie ne peuvent désormais plus être reçues via les antennes satellites ici en Belgique ou ailleurs sur le Continent. Elles sont partiellement et sporadiquement accessibles sur internet via http://www.smotrim.ru mais le niveau d’interférence des censeurs occidentaux fait de ce visionnage un exercice lamentable. Le « gel » des images semble être le plus courant en ce qui concerne les talk-shows « Sixty Minutes » et « Evening with Solovyov », deux émissions que j’ai suivies et rapportées le plus régulièrement. Cependant, elle est également appliquée à des émissions russes que l’on pourrait qualifier de simples divertissements, comme la série historique en cours sur la vie et l’époque de la tsarine Elisabeth au XVIIIe siècle. Je défie quiconque d’atteindre plus d’une minute ou deux dans l’émission avant que le rideau ne tombe, pour ainsi dire.
Le rideau en question est un rideau de fer actualisé, qui, cette fois, a été déposé sur nos têtes par les pouvoirs en place à Washington. Après tout, c’est Washington qui a fait pression sur le réémetteur de chaînes de télévision Eutelsat, contrôlé par les Français, qui domine le marché européen et d’autres marchés mondiaux, pour qu’il rejette les Russes.
L’argument derrière cette demande était d’exclure la « propagande russe » des ondes.
Dans l’esprit d’équité avec lequel j’ai commencé cet essai, je reconnais que la télévision d’État russe pratique des méthodes de propagande dans la mesure où elle cache certaines informations aux téléspectateurs tout en promouvant d’autres informations favorables à ses payeurs. Par exemple, dans les journaux télévisés de la télévision d’État russe, vous ne trouverez pas un mot sur les victimes civiles et les dégâts causés aux bâtiments résidentiels par les attaques d’artillerie et de roquettes russes sur Kharkov. On ne vous montre que les victimes civiles et les dégâts causés aux bâtiments résidentiels de Donetsk et des villes du Donbas par les tirs d’artillerie et de roquettes ukrainiens.
En revanche, les journaux télévisés européens et américains présentent les dommages causés par les frappes russes sur les villes ukrainiennes, mais ne disent pas un mot des souffrances de la population du Donbas suite aux assauts militaires des forces ukrainiennes. Tout comme ils ont été entièrement silencieux sur ces souffrances et ces morts parmi la population du Donbas que Kiev leur a infligées au cours des huit dernières années, depuis le début de la guerre civile en 2014.
Chaque partie au conflit ukrainien accuse l’autre partie d’utiliser des bombes à fragmentation et d’autres armes interdites au niveau international contre les populations civiles. Ces accusations sont mises à l’antenne par les programmes d’information russes et occidentaux uniquement telles qu’elles sont énoncées par leur camp respectif favorisé.
Mon point de vue est très simple : en réduisant au silence les soi-disant propagandistes russes, les propagandistes occidentaux ont le champ libre ici en Belgique, dans l’Union européenne et en Amérique du Nord. Les possibilités pour le public de se forger une opinion indépendante sur ce qui se passe sont étouffées, et il n’y a donc aucune base pour une discussion politique informée dans la communauté des experts. Comme le dit si bien le Washington Post : la démocratie meurt dans l’obscurité.
Et qu’en est-il de la partie russe ? Sont-ils également isolés et ignorants, comme mes remarques sur la couverture des victimes pourraient le suggérer ? J’ai commenté cette question dans mon rapport de voyage sur mon séjour de six semaines à Pétersbourg, qui a débuté en mai : Les chaînes d’information occidentales ont été supprimées des distributeurs de télévision par câble de la ville. Je n’attribue pas cette situation aux interdictions du gouvernement russe, mais aux décisions commerciales des fournisseurs de contenu occidentaux qui ont résilié leurs contrats avec les distributeurs russes, tout comme les studios d’Hollywood. Pendant ce temps, les stations occidentales restent accessibles sur Internet sans interférence et elles restent accessibles sur la télévision par satellite.
Dans ma datcha, je n’ai eu aucune difficulté à recevoir la BBC et Bloomberg gratuitement grâce à mon antenne parabolique. Je ne peux pas dire combien de temps cela va durer, compte tenu de la nature des relations entre l’Occident et la Russie. Mais si quelqu’un met fin à la « propagande » occidentale en Russie, ce sera en réponse à la chute du rideau de fer de l’Occident sur la Russie, et non l’inverse.
Il est triste que les dirigeants occidentaux détruisent de leurs propres mains les fondements de la démocratie chez eux par cette censure. Le seul résultat probable sera un choc et une surprise totale dans le monde occidental lorsque les Russes achèveront de libérer Donbas, prendront la côte ukrainienne de la mer Noire, y compris Odessa, et déclareront la victoire sur ce qui sera alors une armée ukrainienne complètement détruite.
En attendant, dans des conditions très contraignantes, je ferai de mon mieux pour suivre la version russe de l’histoire dans les talk-shows, dans les reportages des correspondants de guerre russes intégrés à leurs forces sur les lignes de front, et pour partager avec mes lecteurs ce qui semble se préparer de l’autre côté des barricades.