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CGT, Confédératoin européenne des syndicats, Conseil national de la refondation, Formation professionnelle, Institutions, NUPES, Philippe Martinez, Politique, Réforme de l'assurance chômage
Par : Davide Basso et Théo Bourgery-Gonse | EURACTIV France

Le secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT), Philippe Martinez, a accordé un entretien à EURACTIV France, à quelques mois de la fin de son mandat à la tête d’un des plus grands syndicats français.
Conseil national de la refondation, réforme de l’assurance chômage, création d’un salaire minimum européen : M. Martinez revient sur les grandes questions qui animent la politique française et européenne avec, au cœur de ses propos, le constat d’une déconnexion des femmes et des hommes politiques – de droite comme de gauche – avec la réalité du monde du travail.
EURACTIV. Vous ne participez pas au Conseil national de la refondation (CNR) voulu par Emmanuel Macron, pour quelle raison refuser la main tendue du président ?
Philippe Martinez. M. Macron a souvent dédaigné les syndicats. Même s’il a affirmé à plusieurs reprises avoir changé, il a toujours continué à faire comme avant.
Prenez l’exemple de la loi sur le pouvoir d’achat : nous en avons discuté avec la Première ministre et le ministre du Travail, nous avons formulé des propositions et à la fin, dans la loi, il n’y a rien.
« M. Macron a souvent dédaigné les syndicats.Même s’il a affirmé à plusieurs reprises avoir changé, il a toujours continué à faire comme avant. »
– Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT
Mais pourquoi ne pas participer au CNR ?
C’est une nébuleuse. Nous n’avons eu aucun contact avec l’Élysée. Nous ne savons ni qui est invité ni comment cela va se passer ni si nous allons pouvoir parler. Nous avons découvert les thèmes en lisant les journaux !
Des instances de concertation existent déjà : au-delà de l’Assemblée et du Sénat, il y a le CESE [Conseil économique, social et environnemental] où en tant que syndicat nous sommes représentés.
C’est une institution qui rédige énormément de rapports et qui fait des préconisations. Mais le CESE a été réformé [en 2021] pour faire en sorte que ce ne soit plus une chambre indépendante, mais plutôt une instance aux ordres du gouvernement, qui n’a plus d’autonomie.
Ne faudrait-il pas tendre vers un système à l’allemande, où les syndicats et les instances de décision fonctionnent selon un mécanisme de cogestion, plutôt que de rester dans une logique d’opposition frontale ?
Il s’agit plutôt d’avoir des discussions et des échanges qui prennent en compte les différentes opinions et avoir le sens du compromis, ce qui n’existe pas en France.
Toutes les lois successives depuis quelques années consistent à reléguer les syndicats à un rôle de chambres d’enregistrement et d’accompagnement de décisions déjà prises. Nous n’avons pas de véritable dialogue social.
Donc vous comptez vous faire entendre en descendant dans la rue…
D’abord on discute, mais lorsque nous sommes face à des personnes qui n’écoutent jamais, nous faisons comme dans tous les autres pays du monde : nous changeons de méthode. Ce n’est pas spécifique à la France : au Royaume-Uni, il y a des grèves importantes. En Espagne et en Belgique, une grève générale s’annonce.
Le contexte dans ces pays, notamment pour l’inflation, n’a rien à voir avec celui de la France.
Je ne le conteste pas, mais allez vous adresser aux citoyens français pour qui l’inflation est réelle. Ils ne peuvent plus s’acheter certains produits. Vous pouvez toujours leur dire que c’est moins grave chez nous, ça ne résout pas le problème.
Regardez aussi l’évolution des salaires : la France est un des pays en Europe où l’écart entre l’inflation et l’augmentation des salaires réels est le plus important. Nous voulons revenir à l’automaticité de l’augmentation des salaires en fonction de l’inflation.
Les demandes de hausses des salaires par le ministre de l’Économie ne sont-elles pas suffisantes ? Des mesures contraignantes sont-elles forcément nécessaires ?
D’abord, lorsque le SMIC augmente, les minima de branche doivent automatiquement augmenter.
Aussi, il faut une échelle mobile des salaires : l’augmentation du SMIC doit s’appliquer à tous les autres niveaux de salaire.
Enfin, des trappes à bas salaires existent à cause des exonérations de cotisations [en dessous d’un certain niveau de rémunération] ou encore les primes désocialisées. Les entreprises ne sont pas incitées à procéder à des augmentations générales.
Vous avez aussi appelé à une journée de mobilisation européenne pour l’augmentation des salaires, n’est-ce pas ?
C’est encore en cours de discussion avec nos homologues européens. Le problème des salaires se pose dans tous les pays. S’il y a des grèves partout en Europe, autant les faire en même temps.
Vous saluez le rôle et le bilan de la Confédération européenne des syndicats (CES) ?
Dans une confédération, il y a une diversité d’opinions et les réalités à l’échelle européenne ne sont pas les mêmes. L’idée d’un salaire minimum européen ne faisait pas l’unanimité des syndicats en Europe, car les pratiques et les traditions syndicales sont différentes. Mais nous avons réussi à faire en sorte qu’il y ait une revendication de la CES à ce sujet, c’est plutôt positif.
Et en ce qui concerne les institutions européennes ?
La conception qui règne en Europe est la même que celle d’Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs : le marché prime et les questions sociales sont considérées comme annexes. La solution pour que les choses évoluent, c’est de grandes mobilisations européennes et une unité des syndicats.
Pour les institutions européennes comme pour Emmanuel Macron, « le marché prime et les questions sociales sont considérées comme annexes. »
– Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT
La peur d’une résurgence du mouvement des « Gilets jaunes » se fait de plus en plus sentir. Êtes-vous en faveur d’une telle mobilisation ?
Vis-à-vis du gouvernement, nous faisons de la prévention. Lorsque je croise les membres du gouvernement, je les alerte sur la situation sociale tendue. Or, soit ils font semblant que ça n’existe pas, soit ils me répondent qu’ils ne peuvent rien faire. Nous ne soufflons pas sur les braises.
Quant aux Gilets jaunes, je ne crains pas ce genre de mouvements. La question qui se pose c’est : quelle efficacité aurons-nous si chacun part dans tous les sens ?
Certes, ces mouvements arrivent à faire reculer des échéances ou à freiner les ambitions gouvernementales. Mais pour gagner des batailles, il faut que tous ces mouvements s’unissent.
Déjà pour la prochaine mobilisation fin septembre, vous avez du mal à fédérer autour de vous.
Pas suffisamment, c’est vrai, car parfois certains pensent, à juste titre, qu’en agissant dans leurs entreprises, ils seront plus efficaces pour obtenir des résultats. Il faut agir localement, mais tous ensemble.
Notre boulot, c’est de se rassembler autour d’un tronc commun et agir ensemble, sans nier les spécificités de chacun – et des différents syndicats. Vous savez, la France est un des pays au monde où il y a le plus d’organisations syndicales.
En France il y a plutôt peu de salariés syndiqués par rapport aux autres pays.
C’est vrai, mais quand il y a des grèves, il y a énormément de monde. Mes homologues européens s’en étonnent !
Les syndicalismes ne sont pas les mêmes : en Suède et en Belgique, c’est le syndicat qui gère l’assurance chômage et les retraites. En Allemagne, quand vous n’êtes pas syndiqué, vous ne bénéficiez pas des accords de branche. Donc il vaut mieux être syndiqué.
Sachez aussi que lorsque le syndicat n’est pas implanté dans l’entreprise, les salariés ne peuvent pas voter pour nous. Nous revendiquons que la représentation des syndicats se fasse sur le même mode que la représentation politique : une campagne électorale, un jour où tous les salariés votent, et un bulletin de tous les syndicats, dans chaque entreprise.
Vous évoquiez l’assurance chômage. Le gouvernement propose d’indexer l’indemnisation à la situation macroéconomique. Est-ce une bonne idée, alors que les entreprises peinent autant à recruter ?
Il faut prendre le problème dans l’autre sens. Il n’y a pas que l’enjeu du salaire, mais aussi de l’attractivité des métiers ou de la formation.
Des étudiants en fin d’études dans les grandes écoles disent qu’ils ne sont pas prêts à faire n’importe quel métier, ils veulent que ça ait du sens.
L’idée générale de la réforme de l’assurance chômage c’est : « il vaut mieux un petit boulot que pas de boulot du tout ». C’est une logique que nous ne partageons pas. Car si des diplômés prennent des métiers moins qualifiés, que feront ceux qui ne le sont pas ?
Nous demandons depuis longtemps, même avec la CFDT et Laurent Berger, une vraie réflexion sur la notion de sens du travail et une vraie politique de formation professionnelle.
J’en avais parlé avec Emmanuel Macron en 2015, Arnaud Montebourg avant lui… et rien ne s’est passé.
Comment expliquer qu’il ne se passe rien ? Est-ce un manque d’écoute de la part du politique ou une forme d’impuissance ?
Les responsables politiques ne comprennent pas, bien souvent, car ils ont une conception dogmatique de la politique. La réalité du travail est plus complexe que des théories macroéconomiques.
Les politiques n’ont pas assez de liens avec le monde du travail, y compris à l’Assemblée nationale, à droite comme à gauche. Combien de députés ont participé à une négociation salariale ? Très peu.
Vous ne trouvez pas plus d’écoute au Parlement qu’au gouvernement ? Notamment à gauche.
Il y a une loi sur le pouvoir d’achat qui est passée cet été et nous n’avons eu aucun contact avec les nouveaux députés.
Même avec la NUPES [Nouvelle union populaire, écologique et sociale] ?
Aucun contact. On ne prétend pas avoir la vérité, mais on a de l’expérience.
Comment jugez-vous l’état de la gauche aujourd’hui ?
C’est mieux qu’avant, mais elle peut mieux faire. Ils ne faut pas qu’ils raisonnent comme Emmanuel Macron, ils doivent nous écouter davantage.
Malgré tout, il y a un nouvel espoir qui semble s’être levé avec la NUPES.
Quand un électeur sur deux ne va plus voter et qu’une grande majorité de la jeunesse ne se rend plus aux urnes, il faut s’inquiéter. Je les ai alertés et ça devrait les interpeller. Avec 89 députés du Rassemblement national, on ne peut pas dire que ce soit une grande victoire.
« Quand un électeur sur deux ne va plus voter et qu’une grande majorité de la jeunesse ne se rend plus aux urnes, il faut s’inquiéter. »
– Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT
Qu’est-ce que vous ferez après la fin de votre mandat à la tête de la CGT, en mars prochain ?
Je continuerai à militer à la CGT et à tracter. Je souhaite aussi être réintégré chez Renault et aimerais que mon expérience syndicale puisse servir mon entreprise, par exemple en tant que conseiller pour éviter les licenciements ou pour anticiper les évolutions de la boîte.