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Alexandre DEL VALLE

Ce dimanche 25 septembre se tiendront en Italie des élections législatives lourdes d’enjeux. Giorgia Meloni, favorite du scrutin, présidente du parti de droite radicale Fratelli d’Italia et à la tête de la coalition des droites, reste mal connue en France. Quelles sont ses idées ? Le géopolitologue Alexandre del Valle, qui connaît bien le champ politique italien, nous aide à y voir plus clair.

Front Populaire : Vous qui vivez en Italie et connaissez bien la vie politique italienne. Quels sont les grandes thématiques qui structurent les élections législatives prochaines ?

Alexandre Del Valle : En Italie, Georgia Meloni, qui était la présidente d’un tout petit parti il y a encore dix ans, est devenue la chef de file de l’opposition pendant tout le gouvernement Draghi. Elle a eu l’intelligence – ou l’habilité politique – de ne pas participer au gouvernement quand dans le même temps, Matteo Salvini donnait sa caution à Draghi, ce qui a surpris de la part de la personnalité populiste qu’il incarne. En conséquence, Meloni a pris le leadership et l’a imposé sur la droite en général. Elle a réussi à devenir le leader de ces trois droites : celle de Berlusconi, celle de Salvini (la Lega Nord), et celle de son parti, Fratelli d’Italia.

Son programme est très clair. Il consiste premièrement à demander – chose dont ne parle pas beaucoup en France – une réforme de la Constitution et des institutions italiennes, dans le prolongement d’ailleurs de certaines réformes qui avaient été annoncées par le centre-droit et le centre-gauche – à l’époque de Renzi notamment, où l’on avait par exemple réduit le nombre de sénateurs et de députés.

Meloni, quant à elle, veut transformer cette république parlementariste très spéciale, où finalement, quelqu’un peut arriver au pouvoir même s’il n’est pas majoritaire, même s’il fait partie d’un parti d’opposition ou même s’il n’est pas du tout élu. Ce qui a été le cas de plusieurs Premiers ministres depuis 20 ans. À ce titre, la France fait figure d’exemple pour elle : elle affirme qu’il faut un système semi-présidentiel proche de celui de la France, où il y aurait une vraie majorité élue via un scrutin majoritaire. Et non pas, comme sous la IVe République en France, un système d’alliances de partis et d’arrangements qui finalement, confisquent la démocratie. Ce grand thème des réformes institutionnelles est fondamental.

Autre sujet très important pour Fratelli d’Italia : les thèmes sociétaux. Meloni ose – en temps que femme, elle peut plus facilement se le permettre – prendre le contrepied de tout ce qui se fait depusi des années en matière de wokisme, de LGBTisme, de politiquement correct, de théorie du genre, etc. Elle n’hésite pas à s’affirmer sur ce terrain, et ce de manière beaucoup plus décomplexée que d’autres partis de droite en Europe – à l’exception de Vox, en Espagne, qui est le seul qui va plus loin.

Elle dit qu’elle est catholique, qu’elle est favorable au mariage traditionnel, qu’elle est contre l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. Elle dit qu’elle est contre la théorie des genres et contre l’avortement généralisé. Elle pense qu’il est nécessaire non pas de limiter l’avortement, mais de permettre des alternatives, comme cela a été fait dans plusieurs régions que son parti gouverne et où l’on donne des aides économiques à ceux envisageraient d’avorter pour des raisons financières. Giorgia Meloni est complètement décomplexée sur ces thèmes, et le fait qu’elle soit femme lui a été à ce titre extrêmement utile.

Ensuite, il y a le thème de l’écologie. Sur ce sujet, Meloni s’avance plus loin encore dans le politiquement incorrect en dénonçant l’écologisme médiatique et politiquement correct qui serait devenu, selon elle, une sorte de religion. Pour elle, il faut une transition énergétique qui ne nuise pas à l’économie. Il est vrai qu’en Italie, les impératifs européens et mondiaux visant à décarbonner l’industrie de l’automobile et à interdire les moteurs à combustible d’ici quelques années équivaudraient à un suicide pour Fiat, mais aussi pour l’industrie italienne en général. Meloni représente donc aussi une part importante de la voix de l’industrie italienne. C’est un thème assez important.

Et bien sûr, il y a le thème de l’islam, dont elle critique la vision théocratique de manière extrêmement frontale. Très opposée au voile islamique, qu’elle présente comme une régression et comme opposé à l’intégration, elle défend un islam apaisé, dépolitisé et qui a rompu avec la charia. En bref, un islam qui aurait renoncé à toute forme de prosélytisme. Bien entendu, en contrepartie, elle affirme une identité italienne et catholique assumée, soutient que « l’Italien est catholique », mais elle est très maligne : elle montre que dans le catholicisme, le symbole de la croix est un symbole universel. Pour Meloni, mieux vaut l’universalisme de la croix que le côté rétrograde de la charia. Ainsi, les slogans de Meloni visent à réhabiliter l’identité chrétienne tout en posant celle-ci comme une identité universelle qui serait parfaitement compatible avec les démocraties libérales.
Sur l’immigration, Meloni y va également très fort. Elle propose un programme de facilitation des expulsions de clandestins, mais aussi de durcissement des façons d’obtenir la nationalité italienne pour les extras-européens. Difficile, à ce titre, de ne pas évoquer le cas de Lampedusa et de la Lybie, pour lequel elle propose un blocco navale (embargo naval) qui permettrait à l’armée italienne d’empêcher les flux vers Lampedusa depuis les côtes lybiennes. Cela pourrait se faire avec l’Europe, affirme-t-elle, puisque certaines voix dans les années 2017-2018 avaient déjà proposé une sorte de bloc naval européen. Une vision assez dure sur l’immigration, donc, une vision très décomplexée sur l’identité chrétienne, catholique, italienne, nationale du pays, avec une réhabilitation du patriotisme, vu comme la meilleure façon d’intégrer – et voire du nationalisme, présenté comme la meilleure façon de préserver un pays qui est en danger identitaire. Et bien sûr, elle pense qu’il faut encourager la natalité. La devise de Giorgia Meloni rappelle en outre celle de la première campagne présidentielle de Jair Bolsonaro, au Brésil. « Dieu, patrie, famille (‘naturelle’) ». L’une de ses priorités est de « fermer les frontières pour protéger l’Italie des clochers de « l’islamisation ». Dejà, le 6 octobre 2016, Meloni dénonçait sur Facebook « le remplacement ethnique en cours en Italie » en reprenant la théorie du Grand remplacement. 

Il y a bien d’autres thèmes dans la campagne de Giorgia Meloni : reprenant une formule pompidolienne, elle clame par exemple qu’il faut que l’État « arrête d’emmerder ». Que l’État doit arrêter d’obstruer les entreprises et que les entreprises doivent être laissées tranquilles. Opposée vigoureusement au « tout taxe », elle souhaite abaisser les taxes et introduire des réformes structurelles qui amélioreraient la capacité des entreprises à agir sur le marché. C’est là que lon voit l’influence de Berlusconi et de la Lega Nord, derrière qui se trouve le patronat du Nord de l’Italie, poumon économique du pays. Meloni propose donc une amélioration du sort des entreprises et une incitation à relancer la machine économique par une élasticité dans le domaine du travail et de l’emploi, et par une baisse générale des taxes. Sur l’Europe, Meloni entend en outre s’opposer à l’UE dans sa vision anti-nationale et ingérante, à qui elle préfère une Europe des États, une Europe des nations un peu à la De Gaulle. Si elle parle souvent, de sortir des traités contraignants qui empêchent une politique souveraine., il n’est pas question pour elle de sortir de l’UE, ni de l’euro.

FP : Gorgia Meloni est présenté comme une figure autoritaire, « fasciste » ou parfois « post-fasciste ». L’Italie doit-elle se préparer au retour des années 1930 ?

ADV : Parler de « retour aux années 30 » dans le cas de Giorgia Meloni est, je trouve, assez absurde. D’ailleurs, s’il est indéniable que Giorgia Meloni a, dans son parti, certains éléments nostalgiques de la période fasciste, l’Italie est un pays différent de la France en cela qu’il n’y a jamais véritablement eu de complexe chez les gens de droite ou d’extrême droite. La théorie qui circule en Italie – et qui est presque devenue dominante –, c’est que Mussolini a été un homme d’État presque normal jusqu’aux années 35-38, et qu’à partir des lois raciales de 1938 et de l’alliance avec Hitler, le régime italien n’était plus fasciste. Ainsi, quand certains nostalgiques de Mussolini au sein de Fratelli d’Italia ont pu dire du bien de Mussolini – ou quand certains ont été surpris à prendre des positions nostalgiques – c’est souvent dans cette optique. Cela permet à Meloni de ménager la chèvre et le chou, quelque chose qui est impossible en France.

Giorgio Meloni entretien tout de même une forme de légère nostalgie qu’elle a pourtant démentie récemment, en condamnant totalement et sans réserve le totalitarisme et les horreurs des partis fascistes et nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, et en affirmant que l’axe Rome-Berlin correspond à la période où le fascisme n’était plus autonome et où l’Italie était sous la tutelle nazie. Une fois ceci dit, elle a tout de même démenti à plusieurs reprises être à la tête d’un parti fasciste (ou même « post-fasciste »). Aujourd’hui, à l’en croire, Fratelli d’Italia est un parti souverainiste, et sa présidente se réfère régulièrement au gaullisme français. Elle a d’ailleurs beaucoup repris la clientèle du parti de Gianfranco Fini, créateur de l’expression « post-fasciste », qui avait déjà enlevé tous les signes et largement épuré les formes de nostalgie vis-à-vis du fascisme.

La Lega Nord, allié de Fratelli d’Italia, a en outre demandé des mesures fédéralistes que Meloni a acceptées, quelques mesures d’autonomisation des régions qui ne vont pas du tout dans le sens du fascisme. Ce sont donc d’énormes concessions qu’elle a accepté et qui vont à rebours de ce qui serait un vrai parti d’extrême droite, habituellement pro-centralisation. Elle a également négocié auprès de Silvio Berlusconi et du reste de la droite classique, libérale, une élasticité dans l’entreprise et d’autres mesures libérales qui elles aussi ne sont pas du tout des mesures traditionnelles fascistes. Donc d’un point de vue économique et d’un point de vue institutionnel, elle rompt totalement avec les années 30 et avec le fascisme, qui était étatiste, anti-libéral et pratiquement tiers-mondiste du point de vue de la politique étrangère.

Là aussi, elle se distingue d’un vrai mouvement fasciste ou totalitaire :  elle est totalement atlantiste, et s’est rangée du côté des Ukrainiens en condamnant la Russie. Giorgia Meloni est donc très atlantiste et très philo-américaine. Elle le dit à chaque fois et elle ne fait pas que le dire : quand elle était encore dans l’opposition, elle était celle qui demandait le plus à s’aligner sur les Américains, et elle dénonçait justement toute passivité vis-à-vis de la Russie. Fin août dernier, elle a beaucoup surfé sur la diffusion d’une vidéo d’un viol d’une Ukrainienne par un demandeur d’asile africain en plein centre-ville de Piacenza, dans le nord de l’Italie. Elle a d’ailleurs bien plus défendu clairement l’Ukraine que les autres partis et plaidé depuis le début pour les aider militairement, ce qui a permis de rassurer ses alliés atlantistes très présents dans le centre-droit italien. 

Donc sur tous ces thèmes (politique étrangère, économie, et questions institutionnelles), il serait absurde de dire qu’elle veut revenir aux années 30. Qu’on l’accuse d’être proche de l’extrême droite ou d’avoir des relents d’extrême droite, certes. Mais revenir aux années 30, c’est absurde et ceux qui le disent savent eux-mêmes que c’est faux : elle est dans une coalition qui l’en empêcherait.

En outre, elle est très liée à Mario Draghi qu’elle a vu très souvent, même si elle était dans l’opposition à son gouvernement. Elle le consulte régulièrement et serait même en train de négocier certaines possibilités de mettre des ministres (notamment à l’Économie) qui seraient « Draghi-compatibles ». Elle est beaucoup plus mesurée, consensuelle et responsable qu’on le dit. Elle fait beaucoup de concessions, soit vers la Lega Nord comme le fédéralisme ou le régionalisme, soit vers Berlusconi pour le libéralisme, soit vers les milieux européens et atlantistes de Mario Draghi. Bien entendu, elle ne veut absolument pas sortir de l’euro et l’a confirmé en anglais et en français dans une vidéo où l’on voit d’ailleurs qu’elle parle assez bien le ces deux langues. Beaucoup mieux que Renzi, dont on se moquait de l’accent.

Plus que du fascisme, c’est du conservatisme. On peut dire que son programme est très proche de celui du hongrois Viktor Orbán, qui était un opposant anti-soviétique et qui a été l’homme qui a fait baisser l’extrême droite en Hongrie. Sans le Fidesz, le parti d’Orbán, l’extrême droite réelle, antisémite, serait très forte. Meloni veut un peu jouer ce rôle : un ultra-conservatisme libéral et quelque peu souverainiste, mais qui permettrait justement d’empêcher les vrais fascistes d’accéder aux responsabilités. Casa Pound ou Forza Nuova, les deux partis italiens ouvertement fascistes, ont un programme qui est totalement opposé à celui de Meloni. 

FP : Giorgia Meloni n’est pas la seule au sein de cette galaxie « populiste », qui compte également Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. On les présente pourtant aujourd’hui comme des rivaux. Quels sont leurs points d’accord et de divergence ? 

ADV : Berlusconi est un libéral légèrement conservateur, mais c’est avant tout libéral, capable de toutes les contorsions. Capable parfois, même, de s’entendre avec la gauche ; il l’a d’ailleurs fait très souvent avec une partie du Partito Democratico. Avec Giorgia Meloni, la différence se fait sur le libéralisme, mais elle s’entend tout de même très bien avec lui. Chacun aide l’autre à se cautionner mutuellement : Meloni cautionne Berlusconi vis-à-vis de la droite dure et Berlusconi cautionne Meloni vis-à-vis du monde libéral et de celui de l’entreprise. Il y a une véritable différence entre les deux, mais une différence qui est plutôt une complémentarité. La vraie rivalité se trouve en revanche entre Meloni et Salvini. Ce dernier la méprisait un peu quand elle était dans son ombre il y a huit ans. Elle a avancé tout doucement et son petit parti, qui représentait 2 % ou 3 % de l’électorat, est monté à 8 % sous le gouvernement Salvini pour devenir aujourd’hui le premier mouvement du pays. 

Si les deux sont proches sur le plan identitaire, ils s’opposent sur les thèmes du fédéralisme et du régionalisme. Meloni est dans une logique que l’on appelle le transformisme. Elle a fini par faire des concessions pour mettre au point cette alliance à droite et a dû faire des concessions sur l’autonomie des régions. Ce sera peut-être un problème une fois qu’ils seront au gouvernement, car le Sud et le Nord de l’Italie n’ont absolument pas les mêmes intérêts en matière d’autonomie. Sur la politique internationale, Salvini est beaucoup plus prorusse et beaucoup moins atlantiste qu’elle. Il y a une réelle rivalité entre les deux d’autant que les électorats peuvent-être opposés. Salvini, plutôt prorusse, est hostile aux sanctions vis-à-vis de la Russie, mais son électorat du Nord, entrepreneurial, est plus atlantiste. À l’inverse, Meloni est atlantiste, mais son électorat de droite dure est plutôt anti-atlantiste. Par tactique ou par stratégie, elle compte aujourd’hui parmi les plus farouchement pro-Ukraine. Ce qui est étonnant parce que ses militants sont plutôt prorusses. Chacun doit donc essayer de subvertir les voix de l’électorat de l’autre.

Quant à Berlusconi, lui aussi très atlantiste, il faut cependant rappeler qu’il a longtemps été un ami personnel de Poutine. Au niveau national, c’est plutôt l’homme de la synthèse, prêt à toutes les concessions, qui s’allie par opportuniste pour placer quelques personnes de son parti au pouvoir. Lui, c’est le grand maître des ententes, c’est lui la sauce du plat. Il a réussi à imposer la terminologie de « centre-droit », alors que dans tous les autres pays d’Europe, on parlerait d’alliance entre la droite et l’extrême droite.

Un grand point de convergence entre ces trois droites, c’est l’aide pour les petits et moyens d’entrepreneurs. L’Italie n’est pas un pays comme la France fait de grands consortiums, mais plutôt d’un tissu de petites et moyennes entreprises. L’autre point de convergence, c’est le refus du droit du sol. Toute la droite italienne est opposée au droit du sol, y compris le parti le plus modéré, celui de Berlusconi. Le patriotisme italien a toujours été très important. L’orgueil, la fierté italienne sont des points de convergence.

FP : Comment expliquez-vous la piètre image médiatique de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini ?

ADV : C’est assez simple. Berlusconi est très vieux et a été totalement discrédité par ses frasques personnelles, judiciaires et sexuelles. Mais aussi par le fait qu’il a trahi son électorat : il représentait un espoir énorme, il aurait pu tout faire, mais n’a rien fait. 

Salvini a été discrédité non pas par des frasques sexuelles, mais par sa proximité avec la Russie. Un de ses proches, Gianluca Savoini, a été compromis dans une affaire financière un peu crapuleuse en Russie et la presse en a beaucoup parlé. Il y a aussi des enregistrements qui montrent que les Russes ont voulu que Salvini fasse sauter le gouvernement Draghi. Il paie également son coup de force totalement raté quand il était vice-premier ministre (2018-2019) et qu’il a voulu prendre le leadership et devenir lui-même Premier ministre. Finalement, cela aura permis à la gauche de revenir.

FP : Le parti de Gorgia Meloni est crédité à 25% dans les sondages, soit cinq fois plus que lors des législatives de 2018. Comment expliquez-vous cette montée en puissance ?

ADV : Pendant que Salvini passait son temps à publier des selfies un peu immatures dans les bistrots, se caricaturant au point de se montrer torse nu, ou à faire des blagues et des déclarations à l’emporte-pièce, au même moment Meloni avançait tout doucement. Elle a réussi à imposer une image de femme responsable beaucoup plus préparée, beaucoup plus posée, mature et plus compétente techniquement que Salvini. Elle s’est en quelque sorte imposée comme la leader de la droite, car elle a su donner une image plus instruite, plus intelligente là où Salvini était accusé de ne pas avoir le niveau.

Tactiquement, Georgia Meloni a été très intelligente en refusant d’appuyer le gouvernement Draghi, tout en étant paradoxalement en bons termes avec lui. À l’inverse, Mateo Salvini s’était, par opportunisme, complètement discrédité dans les gouvernements précédents. Après sa chute, lorsqu’il a perdu son poste de vice-Premier ministre en voulant réalisé un coup de force qui n’a pas fonctionné, Salvini s’est littéralement fait sermonner par le patronat du nord de l’Italie, qui est en réalité derrière la Ligue du Nord, avec des gens comme Giancarlo Giorgetti. Salvini a donc été obligé d’appuyer le gouvernement Draghi, qui n’aurait pas été possible sans son soutien. Au même moment, Meloni est restée dans l’opposition. Elle n’a pas participé au gouvernement, elle n’y a pas eu de ministre. Salvini s’est ensuite beaucoup discrédité en faisant participer son parti (populiste, identitaire, antisystème et eurosceptique) au gouvernement d’un haut fonctionnaire passé par Goldman Sachs, qui vient de la Banque centrale européenne et qui n’a jamais été élu. On est passé du Salvini populiste, hyperprovocateur, qui fustigeait les eurocrates, à un Salvini appuyant Draghi – jusqu’à en faire son éloge, de manière assez caricaturale d’ailleurs. Et ça, un certain nombre de militants et électeurs de droite ne l’ont pas compris et l’ont interprété comme une trahison. Meloni s’est alors imposée comme une figure de l’alternance, à l’affût des signes de fatigue du gouvernement. Georgia Meloni a définitivement doublé Matteo Salvini. La co-existence entre les deux va être problématique, mais pour l’instant, c’est elle qui lui a mis l’estocade.

FP : Gorgia Meloni a effectivement des avantages sur ses concurrents. Elle n’a jamais vraiment été au pouvoir, elle semble plus constante dans ses positions, moins fantasque que les autres, et surtout, c’est une femme. Sa féminité peut-elle avoir un impact sur les électeurs italiens ?

ADV : Il est vrai que la féminité de Georgia Meloni est très importante. Un exemple : Hilary Clinton, qui vient pourtant du centre-gauche de l’échiquier politique américain, très progressiste et politiquement correct, à la limite du wokisme — l’équivalent du parti démocrate italien en quelque sorte, soit l’opposé des idées de Georgia Meloni —, a même affirmé qu’il faudra juger Meloni sur pièce. Rien que cela vaut le coup de la laisser aller jusqu’au pouvoir et de ne pas la bloquer. Elle a même qualifié de « rupture avec le passé » le fait que pour la première fois dans l’histoire de la politique italienne, le poste le plus important sera occupé par une femme. Car en Italie, ce n’est pas le président de la République, mais le président du Conseil qui a le pouvoir.

C’est un élément très intéressant, car cela montre que la féminité de Georgia Meloni, qui s’exprime en plus extrêmement bien, qui a une bonne rhétorique et un charisme assuré, lui a permis de défendre des thèmes sociétaux politiquement incorrects comme la morale catholique et le mariage, ainsi que de s’attaquer à l’idéologie LGBT, à l’avortement ou au wokisme. Si elle avait été un homme barbu, plutôt macho, ces positions auraient à mon avis été difficilement tenables. Sa féminité lui permet d’aller beaucoup plus loin qu’un Salvini ou qu’un autre leader de la droite dure italienne.

FP : Le parti Fratelli d’Italia est présenté comme « eurosceptique ». Quelles sont les intentions de Gorgia Meloni au sujet de l’Union européenne ?

ADV : Concernant son euroscepticisme, on a entendu tout et son contraire et on a un peu forcé le trait. Meloni a assuré à Mario Draghi et à Silvio Berlusconi qu’elle n’était pas eurosceptique, ou en tout cas pas europhobe.Qu’elle ne voulait pas sortir de l’Union européenne, mais la réformer pour mieux faire entendre la voix de l’Italie. Elle s’est d’ailleurs souvent référée à Charles de Gaulle (et au gollismo, en italien).

Meloni a démenti vouloir sortir de l’UE ou de l’euro, mais elle a affirmé vouloir défendre davantage les intérêts de l’Italie qui sont, d’après elle, menacés par la dérive liberticide de l’Europe, qui veut imposer des sanctions à tous ceux qui sont trop à droite. Elle affirme que l’Italie devra résister, qu’il y aura peut-être des rapports de force, des chaises vides, mais en aucun cas une volonté de sortir de l’Europe.

C’est une position un peu semblable à celle de la Hongrie de Viktor Orbán, même si comparaison n’est pas raison, car la démocratie italienne est beaucoup plus installée que la démocratie hongroise. Il n’y a pas en Italie cette relation entre le pouvoir politique et les entreprises, ou les problèmes de corruption et de conflits d’intérêts qu’il y a en Hongrie, mais l’idée est là. À l’image des pays de l’Est, elle veut imposer davantage de souverainisme à l’Europe. Contrairement à un Florian Philippot ou à un François Asselineau qui veulent sortir de l’UE, Georgia Meloni veut simplement un retour à une Europe des nations. Il s’agit plus de réformisme que d’euroscepticisme.

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