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Philippe Bilger
Il y aurait trop à dire sur le climat de l’Assemblée nationale mais, me semble-t-il, avec ce constat de base que personne n’est irréprochable, pas plus Renaissance que ses opposants.
Rien ne me paraît plus vain, en effet, que de défendre Adrien Quatennens en ciblant Damien Abad ou d’oublier certains députés en faute dans la majorité relative pour pouvoir accabler plus confortablement ses adversaires.
On ne peut que s’accorder aussi sur le rôle des cellules d’écoute et de contrôle des partis en matière de dénonciations ou de suspicions sexuelles ou de harcèlement. Renaissance vient d’en créer une qui sera placée sous l’égide de Marlène Schiappa.
Elles peuvent être utiles pour recueillir la parole de celles qui s’affirment victimes. Elles ne doivent pas être crues « par principe », contrairement à ce qu’a déclaré Pierre Jouvet pour le compte du parti socialiste dans la matinale de Patrick Roger le 5 octobre. Parce que toute accusation mérite d’être questionnée.
Elles ne devraient avoir pour finalité que d’écouter, de prendre acte puis de transmettre l’affaire à la Justice. Le contraire – et c’est le grief qui a pu leur être fait – les constituerait comme des structures d’étouffement, une manière délétère de « laver son linge en famille ».
Je rejoins donc sur ce plan la Première ministre. Reste que dans ses discours et ses interventions quelque chose m’étonne. C’est l’importance quasiment exclusive qu’elle attache aux transgressions intimes, aux agressions et aux atteintes sexuelles comme si, parce que les femmes en sont victimes, aucun autre domaine ne saurait l’émouvoir et appeler son exigence de rectitude.
Ainsi – et c’est le garde des Sceaux lui-même qui dans une mauvaise posture nous l’a confirmé – elle lui a renouvelé sa confiance alors qu’il sera renvoyé devant la Cour de justice de la République sauf cassation éventuelle.
Je comprends qu’elle ne puisse pas s’exprimer sur Alexis Kohler mis en examen également pour prise illégale d’intérêt pour des faits antérieurs à sa nomination à l’Elysée comme secrétaire général. Il est piquant de relever que ce dernier a fortement influencé (et gagné) pour le renouvellement d’Eric Dupond-Moretti comme ministre.
Une double observation donc. Ce qui se rapporte à la probité et à la morale publiques n’est pas perçu par le pouvoir macronien à sa juste gravité.
Surtout, celui-ci offre le singulier paradoxe d’une volonté d’exemplarité initiale – des ministres ont dû démissionner à la suite de leur mise en examen – suivie par un délitement, une régression puisque, dorénavant, cet aléa procédural est traité avec indifférence. Les mandats d’Emmanuel Macron sont donc passés et passent de plus d’éthique à moins de morale, de plus de rigueur à un relâchement délibéré. Presque à des situations ubuesques quand on songe au futur d’Eric Dupond-Moretti.
On peut formuler l’hypothèse que le président a changé « d’idées » en les ajustant à ses « chagrins », en paraphrasant Marcel Proust : il fallait arrêter l’hémorragie.
Mais peu importe puisqu’il paraît que Emmanuel Macron déteste la moindre contestation de son autorité et que ces magistrats sont insupportables qui ont le front d’avoir pour guide l’état de droit ! De quoi se mêlent-ils donc alors qu’ils devraient savoir que dans cette République c’est l’autorité du président qui prévaut, et pas la nôtre. Celle narcissique et de bon plaisir du premier et non pas celle collective des citoyens même quand ils s’accordent sur des points incontestables.
Plutôt le décret régalien solitaire que l’évident bon sens démocratique. La jouissance d’une domination n’ayant jamais à s’expliquer plutôt que le partage républicain d’une fonction prestigieuse précisément parce qu’elle sait se limiter.
Ce n’est pas non plus la mise en examen de son collaborateur le plus proche, une sorte de jumeau politique, une personnalité d’une influence décisive, qui va conduire Emmanuel Macron à réduire son hostilité à l’encontre de la magistrature d’autant plus que par un courrier parfaitement inopportun porté à l’attention de la Justice, il avait pu penser avoir « sauvé », dans un premier temps, Alexis Kohler.
Le faible retentissement médiatique non seulement de ces mises en examen mais de leur effacement moral et politique par le pouvoir m’étonne au-delà de tout quand on songe au délire outrancier qui a suivi par exemple l’épisode de Jean-Michel Blanquer à Ibiza. Michaël Hajdenberg a totalement raison sur ce plan (Mediapart).
En revanche le fait qu’un président puisse prendre son autorité pour la seule, en user d’une manière surprenante, totalitaire m’indigne. Le tout n’est pas d’avoir le droit mais de de l’exercer en pleine conscience des exigences démocratiques.
Comme pour la menace de dissolution, on a l’impression d’un président capricieux qui confond sa susceptibilité offensée avec l’intérêt de la France, avec l’équité et l’impartialité d’un pouvoir respecté parce que respectable.