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Régis de Castelnau

Je n’aime pas Éric Dupond Moretti. C’est un piètre Garde des Sceaux, représentant caricatural de la dimension mondaine du macronisme, au détriment des qualités qu’on attend d’un ministre en charge d’un des postes les plus importants de la République. Il fut un avocat médiatique tonitruant dont les prestations parfois de qualité, étaient surtout destinées à plaire aux journalistes qui lui ont construit une image adaptée à la société du spectacle. Ce n’est pas l’idée que je me fais d’un grand avocat.

Cela étant dit, et cette précaution étant prise l’acharnement que met la magistrature à obtenir sa tête témoigne de l’aggravation de la dérive politique qui caractérise désormais le fonctionnement du corps judiciaire.

Nous venons donc d’apprendre que la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République (CJR) venait de prononcer son renvoi devant la juridiction de jugement.

Au-delà du battage médiatique et des récupérations politiciennes cyniques ou ignorantes qui n’ont pas manqué, force est de constater qu’il exprime la totalité du problème institutionnel auquel notre pays est confronté.

La séparation des pouvoirs ? La magistrature n’en veut plus.

Rappelons les faits : au mois de juillet 2020 dans une de ses opérations de communication dont Emmanuel Macron raffole, Éric Dupond Moretti a été nommé à un des postes essentiels de la république. Erreur tactique et même probablement stratégique que d’installer place Vendôme un personnage dont la légitimité et les compétences à l’occuper apparaissaient assez faibles.

Avant même que l’opinion ait pu prendre la mesure de ce problème, la magistrature française homogène dans son corporatisme, s’est immédiatement cabrée contre la nomination d’abord d’un avocat, ensuite de quelqu’un qu’elle déteste. Ce fut l’invraisemblable déclaration de la présidente de la principale organisation syndicale de magistrats (USM) jetant gaiement par-dessus bord devoir de réserve et respect de la séparation des pouvoirs et n’hésitant pas à dire : « la nomination d’Eric Dupond Moretti place Vendôme est une déclaration de guerre à la magistrature » ! On reviendra plus loin sur ce que devrait être normalement ce devoir de réserve des magistrats probablement plus rigoureux de celui des militaires, mais force est de constater que ce mot d’ordre a été immédiatement suivi par l’ensemble du corps au sein duquel se sont multipliés réunions, assemblées générales, communiqués vengeurs et déclarations solennelles comme celle, commune, de la première présidente de la Cour de cassation et du procureur général auprès de cette juridiction, c’est-à-dire les plus hautes autorités judiciaires de notre pays !

Éric Dupond Moretti restant à son poste, il a fallu imaginer des moyens de le faire partir et comprendre à l’exécutif que désormais aux yeux des magistrats, le choix du ministre de la Justice leur appartenait. Tout le monde sait bien dans le monde judiciaire qu’ils attendaient la nomination de l’un des leurs, c’est-à-dire François Molins qui présentait quelques gages dont le refus d’enquêter sur la disparition et le contenu du coffre-fort de Benalla. Grosse déception, il fallait donc réagir. C’est alors que les principales organisations syndicales représentant la grande majorité du corps ont eu l’idée de déposer contre lui, une série de plaintes devant la Cour de Justice de la République, l’organe juridictionnel ayant compétence pour juger les fautes des ministres, commises dans l’exercice de leurs fonctions et non détachables de celles-ci. La qualification choisie fut celle « prise illégale d’intérêts ». Lesdites organisations syndicales savaient très bien que ces plaintes étaient irrecevables, puisque l’article 2 du code de procédure pénale prévoit que pour saisir le juge pénal, une personne privée (ce que sont ces organisations syndicales) doit justifier d’un préjudice personnel et direct né de la commission de l’infraction. Qu’à cela ne tienne, l’association Anticor dont nous avons dit ce qu’il fallait penser de la rectitude, et que certains qualifient de « parquet privé du parti socialiste » s’est associée à la procédure. Ce qui a permis de contourner le problème et d’éviter l’irrecevabilité des plaintes syndicales.

Et le droit dans tout ça ?

Il faut préalablement et rapidement examiner l’aspect juridique des « reproches » faits à Eric Dupond Moretti. Avant de revenir sur la question de fond posée par ce refus d’accepter sa nomination par l’exécutif. C’est-à-dire celle d’une dérive politique plus que préoccupante de la part d’une Autorité judiciaire refusant le principe de la séparation des pouvoirs et se vivant aujourd’hui comme un pouvoir politique autonome.

Partant de son expérience, et en fonction des informations dont il dispose, il apparaît à l’auteur que ces reproches sont un mauvais procès et forgés pour la circonstance. La fameuse prise illégale d’intérêts sanctionne une situation. Celle dans laquelle se trouve un décideur public dont les décisions pourraient être soupçonnées d’être prises pour des motifs d’intérêt privé. En effet, la décision publique doit être chimiquement pure, reposant exclusivement sur des motifs d’intérêt public. Il n’est pas question d’enrichissement, de détournement, de corruption, d’emplois fictifs mais simplement de faire peser un soupçon sur la décision publique. Trois conditions doivent être remplies pour que l’infraction soit constituée. Tout d’abord que la personne poursuivie soit un agent public ayant agi dans l’exercice de ses fonctions, ce qui est le cas d’Éric Dupond Moretti. Ensuite que cet agent public ait en tant qu’agent public, ce que l’on appelle « la surveillance et l’administration » d’une affaire dans laquelle il a en même temps et concomitamment un intérêt privé. C’est l’exemple du maire qui es-qualité, attribue un marché public à une entreprise privée dont sa femme serait gérante.

 Comme d’autres, l’avocat Éric Dupond Moretti a auparavant été victime d’une enquête préliminaire secrète du PNF dont il considérait qu’elle recèlait plusieurs infractions pénales. Comme d’autres toujours, il a déposé plainte lorsqu’il a appris. Sollicité pour devenir Garde des Sceaux, il l’a alors retirée et n’est par conséquent plus concerné en tant que personne privée par l’éventuelle procédure à venir. Il est possible que cette fameuse enquête ait aussi des conséquences disciplinaires pour les magistrats qui l’ont menée. On rappellera l’invraisemblable attitude d’Éliane Houlette ancienne patronne du PNF refusant avec arrogance de répondre aux convocations des instances professionnelles chargées de mener l’instruction de ces suites disciplinaires. Éric Dupond Moretti est donc concerné en tant que ministre de la Justice par les procédures éventuelles (surveillance et administration au sens large), mais pas en tant que personne privée qui ne peut y être partie. La condition de concomitance entre intérêt public et intérêt privé manque en fait.

Ces précisions sont indispensables pour détromper ceux qui s’imaginent de bonne foi que le Garde des Sceaux est poursuivi pour des infractions financières immorales. Et pour essayer, sans illusion, de faire taire les politiciens opportunistes de mauvaise foi qui se réjouissent une fois de plus d’instrumentaliser la justice à des fins politiques.

« Une justice politique », saison 2 en attendant la saison 3…

Mais, on peut imaginer que les magistrats qui ont lancé ces procédures et ceux qui les ont instruites, pour aujourd’hui prononcer le renvoi devant la juridiction le savent très bien. Et que l’objectif n’est pas de faire triompher la loi ou la morale, mais bien de mener une vendetta judiciaire contre quelqu’un qu’ils détestent, et surtout d’affirmer un pouvoir politique dans la sphère institutionnelle française.

L’analyse de cet épisode médiatico-judiciaire récent n’en est que la suite logique. Chacun sait qu’Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir grâce à un raid judiciaire fulgurant mené contre François Fillon, favori de l’élection présidentielle de 2017, inutile d’y revenir. Une fois leur candidat choisi et installé à l’Élysée, la justice a pu ainsi mettre en œuvre son triptyque : d’abord protéger les amis d’Emmanuel Macron, ensuite poursuivre ses opposants, et enfin réprimer brutalement les mouvements sociaux. Mais il ne faut pas se tromper, et c’est essentiel, ceux qui en sont les acteurs ne le font pas parce qu’ils ont reçu des ordres, mais à partir de leur propres convictions et objectifs politiques. L’appareil judiciaire a conquis son indépendance, non pour que celle-ci soit le garant de son impartialité, mais pour devenir un pouvoir politique autonome. 

Cela explique les poursuites contre Dupond Moretti, le cirque humiliant pour la République de la perquisition à grand spectacle place Vendôme et la mise en examen du Garde des Sceaux. Bien plus qu’une vendetta contre un représentant de la société du spectacle détesté, il s’agit bien d’une volonté d’affirmation d’un pouvoir.

Qui se nourrit d’un corporatisme puissant fondé sur ce ressenti chez les magistrats d’avoir une place politique particulière dans les institutions. Et malheureusement contrairement à l’intitulé des décisions de justice, celles-ci ne sont pas rendues au nom du peuple français, mais au nom d’une magistrature sociologiquement très homogène qui a sa propre vision de la société et de ce qu’elle doit être. Rappelons que le recrutement se fait par l’intermédiaire d’une école à laquelle on accède par un concours en général vers l’âge de 23 ans, où l’on passe trois ans dans une espèce de ghetto sociologique voire endogamique, dont on sort trois ans plus tard sans aucune expérience sociale avec un permis de juger. Les valeurs culturelles et idéologiques sont les mêmes que celles qu’on rencontre par exemple dans les écoles de journalisme au recrutement social très voisin. C’est-à-dire celles du « progressisme » propre à la petite bourgeoisie éduquée du bloc élitaire.

L’existence d’organisations syndicales de magistrats devenues d’incontestables structures politiques posent un problème considérable et constitue un facteur aggravant. Le devoir de réserve que l’on réclame à grand bruit pour les militaires en retraite devrait pourtant être encore plus sévère pour des juges aux fonctions d’arbitre. Les militaires doivent se taire parce qu’ils sont subordonnés au pouvoir civil qui conduit la défense de la nation à qui ils doivent obéir, eux-mêmes étant chargé de mener les opérations. Si les juges du siège doivent se taire, c’est parce que n’appartenant pas à un pouvoir élu, leur seule légitimité repose sur leur impartialité. Et que tout soupçon sur celle-ci anéantit cette légitimité dont leurs décisions ont pourtant un essentiel besoin.

 Rien de tout cela, avec une activité permanente de critiques directement politiques des pouvoirs exécutifs et législatifs. Accompagnée d’un activisme parfois ahurissant, comme le fait de diligenter des procédures devant le Conseil constitutionnel pour faire modifier la loi votée par le Parlement. Ou l’appel à des manifestations de rue d’opposition au gouvernement et évidemment de participation à celles-ci. Il y a des dizaines d’exemples. La justice française semble ainsi considérer aujourd’hui qu’elle est l’auteur de sa propre légitimité et dispose d’un pouvoir politique qui justifie qu’elle s’oppose bec et ongles, en violation de la séparation des pouvoirs, à la nomination par l’exécutif du Garde des Sceaux. Quoi qu’on pense de celui-ci, « L’affaire Dupond Moretti » ne raconte pas autre chose.

Alors on va nous répondre que la mise en examen simultané d’Alexis Kohler le deuxième cerveau d’Emmanuel Macron à l’Élysée prouverait l’indépendance et l’impartialité de la justice. Ce serait simplement une blague. L’affaire Kohler qui porte sur les rapports passablement curieux entre l’actuel secrétaire général de l’Élysée et des sociétés privées, a pris naissance il y a déjà fort longtemps lorsque le personnage artiste du pantouflage, faisait de ces allers-retours dont raffole la haute fonction publique française, entre la sphère publique et la sphère privée. Mais doublement privée en ce qu’il concerne puisqu’il s’agissait justement de société appartenant à sa famille. La presse s’étant emparée de cette affaire, le PNF d’abord présidé par Éliane Houlette l’exécutrice de François Fillon, puis par Jean-François Bohnert nommé par Emmanuel Macron a d’abord obstinément regardé ailleurs. L’association Anticor a fini par déposer une plainte à laquelle le PNF répondit évidemment par un classement sans suite. En s’appuyant d’ailleurs, épisode ahurissant, sur une attestation fournie par Emmanuel Macron alors Président de la république ! Anticor déposa alors une plainte avec constitution de partie civile ce qui imposait la nomination d’un juge d’instruction. Diligentant paisiblement sa procédure pour aboutir près de trois ans plus tard à une mise en examen techniquement inévitable mais intervenant 12 ans après les premiers faits sur lesquels porte l’instruction. À ce rythme, nous risquons d’y être encore pour longtemps. Tout comme dans l’affaire Alstom née du temps où Emmanuel Macron était ministre de l’économie qui fleure bon la corruption. Jusqu’à présent le parquet de Paris et le PNF tiennent le couvercle soigneusement fermé. Comme c’est le cas sur les affaires concernant les recours par l’État à des cabinets de conseil pour des montants vertigineux. Et dont les spécialistes savent très bien qu’ils recèlent de riches gisements d’infractions.

 Emmanuel Macron n’a pas à se plaindre jusqu’à présent de la magistrature qui l’a porté au pouvoir au printemps 2017 et le protège depuis. En évitant à ses amis les foudres de la justice fussent-elles méritées, en s’attaquant à ses adversaires politiques et en réprimant sans mesure les mouvements sociaux. Plus récemment on a vu se manifester une porosité inquiétante à la religion woke qui nous vient de l’autre côté de l’Atlantique.

Télescopage de l’actualité, on apprend que le magistrat jugé pour avoir proposé sa fille mineure sur un site libertin a vu sa peine de première instance déjà bien indulgente allégée en appel. Avec l’effet désastreux que l’on peut imaginer dans l’opinion. Et puis il y a cette affaire des deux magistrates poursuivies pour avoir commis un faux en écriture publique ayant abouti à l’incarcération d’un homme qui s’est alors suicidé en prison. Le faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité publique est normalement un crime justiciable de la cour d’assises. L’affaire sera correctionnalisée et à l’audience, le parquet dénonçant une « tentative de chasse aux sorcières » va requérir la relaxe. De son côté, le conseil supérieur de la magistrature saisi du manquement, ne réclamera aucune sanction…

la France a décidément un gros problème avec sa Justice.

Vu du Droit