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Par Harrison Stetler
Le président libéral français, Emmanuel Macron, a passé son premier mandat à attaquer des éléments clés du modèle social français. Aujourd’hui, il lance une nouvelle guerre contre les retraites.

L’heure est aux ouvertures, aux démonstrations de force et aux coups de semonce, alors que la France se prépare à un nouvel hiver de débats (et de conflits sociaux) sur son système de retraite. L’un des principaux axes de sa campagne de réélection au début de l’année, le président Emmanuel Macron souhaite que le Parlement français adopte dans les prochains mois une augmentation de l’âge de la retraite à soixante-cinq ans, contre soixante-deux actuellement. Si tout se passe comme prévu par le président, l’âge de la retraite commencera à augmenter progressivement à partir de l’été prochain, au cours de la prochaine décennie, parallèlement à la mise en place d’un nouveau plancher de retraite de 1 100 euros par mois pour une carrière complète, inférieur au salaire minimum officiel d’environ 1 300 euros.
La nouvelle initiative de Macron visant à réformer le système de retraite s’annonce comme une bataille clé du début de son second mandat. Il s’agira du deuxième effort de ce type de la part de l’actuel président français, dont la première tentative de modifier les droits à la retraite fin 2019 a entraîné une vague de grèves prolongée avant d’être finalement suspendue avec le début des blocages du COVID.
Le nouveau projet de loi – et les détails sur les éventuelles exemptions spécifiques à une profession – n’a pas encore été entièrement présenté. Mais l’ébauche du plan s’est attirée l’ire des forces d’opposition au parlement et des syndicats du pays. Le 29 septembre, plusieurs centaines de manifestations et d’arrêts de travail ont eu lieu dans tout le pays. Cette action concertée visait initialement à réclamer des mesures plus énergiques contre la hausse du coût de la vie, mais elle s’est transformée en un premier front d’opposition à la réforme des retraites. À Paris, des dizaines de milliers de manifestants ont rejoint une marche appelée par la Confédération générale du travail (CGT) et d’autres syndicats.
Les proches du président considèrent le relèvement de l’âge de la retraite comme une mesure nécessaire pour assainir les finances publiques de la France. Des responsables gouvernementaux clés, tels que le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire, suggèrent qu’une telle restriction est nécessaire pour libérer des ressources pour d’autres formes de dépenses, car le président et ses alliés les plus proches ont exclu toute augmentation d’impôts au cours du prochain mandat. C’est une ligne rouge qui a son corollaire dans un autre adage macroniste, selon lequel les Français doivent « travailler plus, et travailler plus longtemps », comme l’a déclaré le président en juillet dernier.
Initiative perdue
Du point de vue de M. Macron, un combat sur la retraite est également chargé de symboles et servirait de tremplin aux efforts du président pour reprendre l’initiative au début de son second mandat, qui a perdu en juin la majorité absolue dont il jouit au Parlement depuis 2017. Lors de la campagne présidentielle en avril, Macron avait semblé reculer sur la borne des soixante-cinq ans, affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un « dogme. » Le premier élan de la réforme des retraites en 2019 et début 2020 visait à caler l’accès à une pension minimale complète à l’âge de soixante-quatre ans.
Face à l’érosion inexorable de l’autorité politique d’un président en second mandat, la tentation est grande de frapper rapidement. Mais compte tenu de l’inquiétude de l’opinion publique face à l’augmentation du coût de la vie, d’autres membres de la coalition de M. Macron hésitent à suivre le président dans une campagne de réforme effrénée qui risque d’unir l’opinion publique contre lui, et mettent en garde contre tout excès.
En effet, pas moins de 70 % des Français sont opposés au projet du gouvernement de relever l’âge de la retraite, selon un sondage Elabe réalisé pour BFM TV. Alors que les factures d’énergie augmentent rapidement et que les prix des produits alimentaires approchent des niveaux d’inflation de 10 %, seuls 32 % de la population considèrent que c’est le bon moment pour aborder la réforme des retraites, selon un sondage réalisé le 29 septembre par l’institut Ifop.
« Ils vont essayer de faire passer une réforme à laquelle la grande majorité de la population française s’oppose », déclare Aurélie Trouvé. Elle est présidente du « parlement » de militants et d’experts créé par l’alliance Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) et députée de la banlieue parisienne qui se range dans le camp de la France Insoumise. « Ils savent qu’ils vont devoir aller très vite. La seule chose qui peut les faire reculer, c’est que les gens descendent massivement dans la rue comme en 1995 et en 2020. »
Dans l’état actuel des choses, le chemin réel vers une adoption par vote d’un projet de loi sur la réforme des retraites est difficile mais pas impossible pour les Macronistes. Avec 250 sièges sur 577 à l’Assemblée nationale, la majorité présidentielle devra gagner des voix parmi les blocs d’opposition si elle va jusqu’au bout des dernières déclarations du président selon lesquelles la réforme des retraites devrait être soumise à la procédure normale et adoptée à la majorité simple. Lors d’un dîner le 28 septembre avec des ministres clés et des personnalités du bloc macroniste au Parlement, M. Macron a décidé de s’engager dans une voie législative plus traditionnelle, après que lui et ses représentants aient passé des semaines à alimenter les rumeurs concernant la promulgation de la réforme des retraites par décret.
Les options de négociation des macronistes sont toutefois limitées. Premier réservoir de voix avec 151 députés, les partis d’opposition composant l’alliance de gauche NUPES ont largement rejeté le projet de réforme des retraites du président.
« Ils s’attaquent au cœur même de l’Etat-providence – le système de retraite et l’assurance chômage », a déclaré Trouvé à Jacobin, faisant allusion aux efforts parallèles du gouvernement pour lier les protections contre le chômage aux conditions macroéconomiques générales. « Il a un agenda très clair, qui est de défaire étape par étape certaines des formes les plus importantes de la protection sociale en France. »
S’il a l’intention de faire passer la loi par la procédure normale, la voie la plus praticable pour Macron et sa première ministre, Élisabeth Borne, sera d’essayer de fouetter les votes de l’opposition de droite. Le Rassemblement national, parti d’extrême droite, est publiquement disposé à travailler avec le gouvernement – et est impatient de montrer qu’il peut être un parti de gouvernement responsable. Mais suivre Macron sur une initiative aussi impopulaire serait un geste difficile pour le parti de Marine Le Pen s’il entend consolider son soutien parmi les électeurs de la classe ouvrière.
Le joker, et la principale cible des macronistes en ce qui concerne les responsabilités de l’opposition parlementaire, sont les Républicains de centre-droit, dont les soixante-deux députés pourraient permettre l’adoption d’un projet de loi. Mais les Républicains restants au Parlement – qui comptent de nombreux anciens camarades de parti aujourd’hui dans les rangs macronistes – se trouvent dans la situation difficile de vouloir définir une identité dans l’opposition au président, tout en étant fondamentalement d’accord avec l’esprit d’une réforme qui fait des coupes budgétaires sur le dos de l’une des principales institutions de l’État-providence français.
Prêts à en découdre
Si les négociations avec les oppositions de droite s’avèrent infructueuses, le gouvernement de M. Macron pourrait recourir à une deuxième voie plus risquée : le décret gouvernemental. L’article 49, section 3, de la Constitution française autorise le gouvernement à forcer la promulgation d’un texte législatif, qui ne peut être rétrocédé que par un vote de défiance de l’Assemblée nationale. Le « 49.3 » peut être utilisé une fois par législature pour les textes législatifs normaux et un nombre illimité de fois pour les projets de loi budgétaires, ce qui ouvre une autre voie alors que les macronistes évaluent la possibilité d’amender le plan de réforme des retraites dans les prochaines lois de finances.
L’utilisation du « 49.3 » permettrait aux Républicains d’éviter d’apporter leur soutien à l’initiative impopulaire du président, leur permettant de s’y opposer passivement en ne votant pas pour le texte ou en cosignant un vote de censure. De nombreuses personnalités de l’alliance NUPES et du Rassemblement national ont clairement indiqué qu’elles voteraient la censure si le gouvernement allait de l’avant avec la réforme par décret. L’unité des forces d’opposition derrière un vote de censure provoquerait une dissolution de l’Assemblée nationale et des élections anticipées.
« La méthode est choquante », déclare Trouvé. « Elle dit à tout le monde : ‘Si je n’obtiens pas ce que je veux, je vais demander la dissolution [du parlement]’. Qu’est-ce que cela signifie ? Si l’Assemblée nationale ne se plie pas à toutes les réformes, on retourne aux élections… . . . Ceci étant dit, nous sommes prêts à nous battre. Mais ce n’est pas une bonne façon de voir l’Assemblée nationale dans une démocratie représentative. »
« S’il le fait, c’est la guerre », a déclaré Fernandez, ouvrier d’usine retraité et représentant de la CGT, sur la possibilité que Macron promulgue la réforme des retraites par décret. « Je pense que nous allons voir se développer un front très fort contre la réforme des retraites. Nous ne pouvons pas ne pas mener cette bataille ».
Mira, qui travaille dans un grand magasin Monoprix de la région parisienne où elle est déléguée du syndicat CGT, a déclaré qu’un mouvement contre la réforme des retraites pourrait unifier un large front d’opposition, surtout dans un contexte de crise du coût de la vie. Au niveau national, la CGT réclame une augmentation du salaire minimum à 2 000 euros par mois.
« Nous demandons des augmentations de salaire pour tous les travailleurs de manière générale », a déclaré Mira à Jacobin, citant le rythme de travail de plus en plus tendu dans son magasin local, où la stagnation des salaires a poussé ses collègues à démissionner et alors que la direction hésite à embaucher du nouveau personnel. « Les gens sont partis à gauche et à droite, et ils refusent d’embaucher. Nous sommes épuisés, physiquement fatigués ».
« Nous ne pourrons pas arrêter cela au parlement sans une grande mobilisation dans les rues », déclare Trouvé. La France Insoumise, le parti leader de l’alliance NUPES au Parlement, envisage une nouvelle journée de marches prévue pour le 16 octobre, comme prochaine étape dans la construction d’un front d’opposition.
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