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The Hill a licencié Katie Halper de son émission matinale, Rising, pour avoir décrit la politique d’Israël comme équivalente à l’apartheid. C’est un acte de censure flagrant pour faire taire une journaliste pro-palestinienne.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Malgré tous les progrès réalisés par la cause palestinienne en termes de sympathies américaines, la critique du gouvernement israélien et de son traitement des Palestiniens reste le principal tabou du discours politique américain. Il suffit de voir ce qui est arrivé à Katie Halper cette semaine.

The Intercept rapporte aujourd’hui que Halper, une podcasteuse populaire de gauche et co-animatrice de Useful Idiots [Les idiots utiles, NdT] avec Matt Taibbi, a été licenciée en début de semaine de Rising, l’émission politique matinale du Hill, pour laquelle Halper faisait une émission hebdomadaire le week-end depuis trois ans. Après avoir enregistré une chronique, cette fois sur la récente controverse concernant les commentaires de Rashida Tlaib sur l’apartheid israélien, Halper a d’abord appris que son « Radar », comme on appelle les chroniques dans l’émission, était retardé pour être examiné.

Rapidement, Bob Cusack, rédacteur en chef de Hill, lui a annoncé qu’elle ne serait pas diffusée du tout, lui disant qu’elle n’était « pas dans notre zone de couverture ». Lorsque Halper lui a demandé explicitement si le sujet était refusé parce qu’il concernait Israël, il a confirmé que c’était la « raison » et que le Hill se concentrait principalement sur la politique intérieure et non étrangère. Peu de temps après, un cadre lui a dit par courriel qu’il n’aurait pas besoin d’elle pour enregistrer une émission le lendemain. « Nous vous souhaitons bonne chance », a-t-il ajouté.

On ne sait pas exactement à quoi Cusack faisait référence lorsqu’il a dit que le Hill ne couvrait pas la politique étrangère. Rien que la semaine dernière, les autres co-animateurs de Rising ont présenté des sujets sur les élections brésiliennes, le nouveau Premier ministre néofasciste de l’Italie, le scandale du micro du président sud-coréen [Lors d’une visite à New York, Il a tenu des propos désobligeants sur les législateurs américains, alors qu’il y avait un micro allumé, NdT] et de multiples séquences sur la guerre en Ukraine. Et si le monologue d’Halper a été largement consacré à l’exposé des preuves de la qualification d’Israël par Tlaib comme État d’apartheid, il comportait également un domaine intérieur. En effet, Israël est devenu un point hautement sensible dans la politique américaine et la guerre de factions au sein du Parti démocrate, avec des responsables de l’establishment, pro-Israël, qui se sont ligués contre la socialiste Tlaib.

Cela semble être une nouvelle ligne éditoriale pour le programme. Selon Ryan Grim, qui a révélé l’histoire de Halper et qui a lui-même enregistré plus de 150 Radars en tant que co-animateur de Rising, « il n’y a pas de processus d’approbation ». Les animateurs téléchargent simplement leur script sur un téléprompteur et enregistrent. Krystal Ball, qui a codirigé l’émission pendant des années, affirme que si elle et son coanimateur Saagar Enjeti ont dû faire face à des refus occasionnels sur certains sujets, ils n’ont « jamais été bloqués pour des invités ou des sujets ».

Il est difficile de savoir ce qui motive cette situation. Mais une chose qui a changé depuis le passage de Ball et Enjeti dans l’émission est le changement de propriétaire du Hill, qui a été vendu au conglomérat médiatique Nexstar Media Group, Inc. pour 130 millions de dollars en août dernier. Ce mois-ci, Psagot Value Holdings Ltd, une société d’investissement basée à Tel Aviv, a acheté 6 100 actions de Nexstar, pour un montant de plus d’un million de dollars.

Mais il y avait déjà des signes d’un possible changement de la ligne éditoriale du Hill sur Israël avant même cela. Fin août, Nexstar a confié le poste de directeur adjoint de la rédaction de NewsNation, sa chaîne câblée, à Jake Novak, un journaliste qui a passé les dix-huit mois précédents comme directeur des médias du consulat général d’Israël à New York. Novak est récemment devenu tristement célèbre pour avoir été mêlé à la controverse sexuelle des mineurs de Matt Gaetz, dans laquelle il a semblé admettre au dessinateur de Dilbert, Scott Adams, qu’il était impliqué dans la tentative d’extorsion du riche père de Gaetz afin de faire parvenir des millions de dollars à un « chef d’équipe commando » pour libérer un otage américain en Iran.

Novak a approuvé l’abandon par Donald Trump du soutien américain à la solution à deux États du conflit israélo-palestinien, et il a plaidé pour qu’Israël construise davantage de colonies illégales sur les terres qui constitueraient un hypothétique État palestinien, affirmant que cela « apporterait plus de paix, de prospérité et de liberté aux Israéliens et aux Arabes. » Six jours avant l’annonce de son embauche, Novak a animé une présentation à l’université Bar-Ilan intitulée « Défendre Israël contre les préjugés des médias – Comment combattre les préjugés des médias d’information et des médias sociaux contre Israël : la meilleure défense est une bonne attaque ». Il s’agissait d’une mise à jour d’une conférence qu’il avait donnée en 2016 sur la défense de la réputation d’Israël, que l’animateur a décrite comme « une master class absolue de relations publiques en diplomatie. »

Il y a certainement une inclinaison politique dans les dons politiques de Nexstar. Au cours du cycle électoral de 2016, le CA de l’entreprise a donné 80 % de son argent à des groupes affiliés au GOP [Parti républicain, NdT], un chiffre qui est passé à 100 % au cours du cycle de 2018. Son PDG a donné six fois plus aux membres républicains de haut rang du Congrès qu’aux Démocrates au cours des dix dernières années, quel que soit le parti au pouvoir. Ses dons sont plus équilibrés aujourd’hui, mais les Démocrates auxquels Nexstar fait des dons ont tendance à être plus centristes, établis et pro-israéliens, comme Jerry Nadler, Jamie Raskin, Kathy Castor et Hakeem Jeffries.

Si Nexstar est motivé par un penchant pro-israélien qu’il applique dans sa programmation, c’est une préoccupation sérieuse. Après avoir acheté Tribune Media en 2019, Nexstar est devenu le plus grand propriétaire de télévision de diffusion locale du pays, devançant le groupe Sinclair Broadcast Group, explicitement de droite. Selon un rapport d’août 2022 auprès de la SEC, la société atteint maintenant près de 40 % de tous les foyers américains de télévision, et elle possède, exploite et fournit des services à 199 stations de télévision et une station de radio AM à travers Washington, et trente-neuf États. Dans son dossier, l’entreprise rappelle que la Cour suprême a annulé, en avril 2021, les limites imposées par la FCC à la propriété des médias locaux.

Halper est loin d’être le premier commentateur de gauche à être licencié pour un discours pro-palestinien. Marc Lamont Hill a perdu son poste à CNN pour un discours appelant à « une Palestine libre de la rivière à la mer », tandis que le rédacteur en chef de Current Affairs, Nathan Robinson, a perdu la chronique régulière qu’il écrivait pour le Guardian depuis quatre ans après avoir sarcastiquement tweeté que le Congrès « n’est en fait pas autorisé à autoriser de nouvelles dépenses à moins qu’une partie de celles-ci ne soit destinée à acheter des armes pour Israël ». Ce mois-ci, un rapport commandé par Facebook lui-même a déterminé que les politiques de censure de la société « ont eu un impact négatif sur les droits humains » des Palestiniens, en raison de la politique du deux poids-deux mesures de la société en matière de « modération » des publications palestiniennes par rapport aux publications israéliennes.

Rédacteur

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden [L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT]. Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic