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Emmanuel Macron, Etats-Unis, Russie, stratégie indo-pacifique, UE, Ukraine
par M. K. BHADRAKUMAR

La visite d’État du président français Emmanuel Macron aux États-Unis s’impose comme un indicateur des alignements qui se produisent sur fond de bouleversement historique de l’ordre mondial. Les deux dirigeants ont déployé des efforts extraordinaires pour afficher leur bonhomie, mais le temps montrera dans quelle mesure cela a impressionné les deux hommes d’État – Macron, un esprit érudit et l’homme d’État européen le plus virulent en ce qui concerne l’intégration et l’autonomie stratégique de son continent vis-à-vis des États-Unis, et Biden, un vétéran de la diplomatie internationale.
Macron a déjà marqué sa profonde différence avec la position américaine sur l’Ukraine, un sujet qui a dominé sa visite, dans une remarque faite à Paris samedi après son retour, lors d’une interview pour la chaîne française TF1. Macron a déclaré ,
« Nous devons penser à l’architecture de sécurité, dans laquelle nous allons vivre demain. Je parle notamment des propos du président russe Vladimir Poutine selon lesquels l’OTAN se rapproche des frontières de la Russie et déploie des armes qui pourraient la menacer. Cette question fera partie des discussions de paix, et nous devons nous préparer à ce qui viendra après [le conflit ukrainien], et réfléchir à la manière dont nous pourrions protéger nos alliés et, dans le même temps, fournir à la Russie des garanties sur sa propre sécurité, une fois que les parties reviendront à la table des négociations. »
Macron a fait la remarque ci-dessus alors que le compte à rebours commence pour une offensive hivernale russe attendue à grande échelle en Ukraine.
Si la déclaration commune publiée après la visite de Macron montre que les États-Unis et la France sont sur la même longueur d’onde dans leur critique de la conduite de la guerre en Ukraine par Moscou, les nuances dans l’articulation respective des deux dirigeants lors de leur conférence de presse commune ne peuvent être manquées.
Biden, bien sûr, s’en est pris à Poutine, le tenant personnellement pour responsable, mais Macron s’est retenu. Il est intéressant de noter que le chancelier allemand Olaf Scholz a peut-être lui aussi marqué ses distances par rapport à Biden en prenant l’initiative d’un appel avec Poutine vendredi, son deuxième appel consécutif en plusieurs mois.
Selon les informations reçues de Moscou, Scholz a certes critiqué la conduite du conflit par la Russie, mais il a ensuite abordé d’autres questions avec Poutine et ils ont convenu de rester en contact.
La France et l’Allemagne sont toutes deux très préoccupées par une éventuelle escalade de la guerre en Ukraine, tandis que les États-Unis s’efforcent de soutenir Kiev « aussi longtemps qu’il le faudra ».
Macron a souligné l’approche à trois volets de la France : « Aider l’Ukraine à résister » ; « Prévenir tout risque d’escalade dans ce conflit » ; et, « faire en sorte que, le moment venu, sur la base de conditions qui seront fixées par les Ukrainiens eux-mêmes, aider à construire la paix. » Mais M. Biden a été catégorique : « Il n’y a qu’une seule façon de mettre fin à cette guerre, la façon rationnelle : Poutine doit se retirer de l’Ukraine ».
Macron a maintenu que « Nous devons travailler sur ce qui pourrait conduire à un accord de paix, mais c’est à lui [le président ukrainien Zelensky] de nous dire quand le moment sera venu et quels sont les choix des Ukrainiens. »
Macron a indirectement souligné la nécessité d’une certaine souplesse, en déclarant : « Si nous voulons une paix durable, nous devons respecter les Ukrainiens pour qu’ils décident du moment et des conditions dans lesquelles ils vont négocier sur leur territoire et leur avenir. »
Curieusement, Biden n’a jamais mentionné Zelensky, alors que Macon a ouvertement salué « les efforts du président Zelensky pour essayer de trouver une voie, un chemin vers la paix tout en menant une résistance héroïque. »
M. Macron a souligné : « Je crois qu’il faut continuer à dialoguer avec lui [Zelensky] parce qu’il y a une véritable volonté, au nom de l’Ukraine, de discuter de ces questions. Et nous le reconnaissons, et nous le saluons. »
Outre l’Ukraine, comme prévu, la principale préoccupation de Macron était la récente loi sur la réduction de l’inflation, un paquet de 369 milliards de dollars de subventions et d’allégements fiscaux promulgué par l’administration Biden pour stimuler les entreprises vertes américaines, qui, du point de vue européen, constitue une mesure protectionniste qui encourage les entreprises à déplacer leurs investissements de l’Europe et incite les clients à « acheter américain ».
Il ne reste qu’un mois avant que les dispositions finales de la loi américaine n’entrent en vigueur le 1er janvier. L’Allemagne et la France ont riposté en unissant leurs forces pour soutenir les efforts de la France en faveur d’une politique industrielle européenne davantage fondée sur les subventions.
Lors des entretiens de la Maison-Blanche avec M. Macron, M. Biden a admis qu’il y avait des « problèmes » dans le déploiement du paquet américain de subventions écologiques de plusieurs milliards de dollars. Pour citer Biden, « Il y a des ajustements que nous pouvons faire qui peuvent fondamentalement faciliter la participation des pays européens et, ou être par eux-mêmes, mais c’est une question qui doit être résolue. »
La remarque, peut-être, permet à Macron de revendiquer un acquis de sa visite. Mais il reste à voir dans quelle mesure les paroles de M. Biden seront mises en pratique, car les chances que le Congrès modifie la loi sont discutables, d’autant plus que les Républicains sont sur le point de prendre un contrôle étroit de la Chambre.
Il est clair que la réunion Biden-Macron ne comporte pas de percée sur les préoccupations de l’Europe. La position de base de M. Biden est que « les États-Unis ne s’excusent pas », puisque la législation IRA vise à « s’assurer que les États-Unis continuent… à ne pas avoir à dépendre de la chaîne d’approvisionnement de qui que ce soit d’autre. Nous sommes – nous sommes notre propre chaîne d’approvisionnement ».
Macron a noté qu’il avait eu « des discussions très franches ». Il a souligné que « la France n’est simplement pas venue demander une exemption ou une autre pour – pour notre économie mais simplement discuter des conséquences de cette législation… Nous continuerons à avancer en tant qu’Européens. Et nous ne sommes pas là simplement, vraiment, pour demander une ‘preuve d’amour' ».
Les Américains font fortune avec la guerre en Ukraine – en vendant plus de gaz à l’Europe à des prix largement supérieurs et en stimulant les exportations d’armes vers les pays de l’OTAN qui ont fourni du matériel militaire à l’Ukraine. Les pays de l’UE souffrent alors que la guerre en Ukraine les fait basculer dans la récession, avec une inflation galopante et une compression dévastatrice de l’approvisionnement énergétique qui menace de provoquer des coupures et des rationnements cet hiver.
L’écologisation de l’Amérique au détriment de l’industrie européenne jette une ombre sur la stratégie indo-pacifique. Les récentes visites successives de Scholz et de Charles Michel, président du Conseil européen, à Pékin montrent que les tensions au sein de l’alliance transatlantique, qui résultent de la guerre en Ukraine, ont un effet d’entraînement.
La visite de Macron à Washington a montré que le principal intérêt de la France réside dans le « renforcement de la résilience dans les îles du Pacifique. » En ce qui concerne la Chine, la déclaration conjointe Biden-Macron n’avait rien de nouveau à annoncer. Elle s’est contentée d’une formulation équilibrée selon laquelle les États-Unis et la France « continueront à coordonner leurs préoccupations concernant le défi lancé par la Chine à l’ordre international fondé sur des règles, y compris le respect des droits de l’homme, et à travailler ensemble avec la Chine sur des questions mondiales importantes comme le changement climatique ».
Sur Taïwan, la déclaration conjointe a simplement réaffirmé « l’importance de maintenir la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan. » On peut imaginer que la défaite cuisante subie par Tsai Ing-wen lors des récentes élections locales taïwanaises a eu un effet dégrisant.
Quoi qu’il en soit, dans leurs remarques d’ouverture respectives lors de la conférence de presse sur la stratégie indo-pacifique, alors que Biden s’est limité à une ou deux remarques anodines, Macron a simplement glissé sur le sujet.
Pékin doit être tranquillement satisfait que Michel ait choisi le jeudi pour sa visite. Le président Xi Jinping a apprécié la « bonne volonté de l’UE de faire progresser les relations avec la Chine ». Xi a noté que plus la situation internationale devient instable et plus les défis auxquels le monde est confronté sont aigus, plus les relations Chine-UE prennent une importance mondiale.
La politique étrangère de l’UE se trouve à un moment décisif pour savoir s’il faut affronter la Chine ou coopérer avec elle. Le Global Times a écrit que la visite de Michel « a envoyé un signal qui représente les voix rationnelles, c’est-à-dire le refus de suivre les États-Unis et de traiter la Chine principalement dans une perspective politique et idéologique… Ce que les États-Unis veulent, c’est l’hégémonie, mais l’Europe veut survivre, et l’UE ne peut y parvenir sans la Chine ».
En définitive, avec l’escalade du conflit en Ukraine, les néoconservateurs de l’administration Biden peuvent se sentir exaltés, mais les tensions naissantes dans les relations transatlantiques ne peuvent que s’aggraver.
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