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. Mépris de la rue, déconnexion de classe, technocratie maastrichtienne… La réforme des retraites d’Emmanuel Macron est un condensé du grave dysfonctionnement de la démocratie en France.

Réforme des retraites : point d’orgue d’une dérive autoritaire

Originellement construite sur la racine des mots grecs demos (le peuple) et kratos (le pouvoir), la démocratie a déchaîné gloire et passion depuis déjà des siècles. Si Francis Fukuyama définissait la fin de l’histoire comme « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain », l’avènement des démocraties sur la planète bleue semble retardé. La définition la plus brute d’une démocratie se tire de notre propre Constitution, le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cette souveraineté « appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

De nos jours, les gouvernements occidentaux se targuent d’un monopole sur ce système politique. En tête de gondole, Emmanuel Macron qui affirmait que « l’Europe comprend trois choses : la souveraineté, l’unité et la démocratie. » Michel Onfray qualifiant le peuple comme « ceux sur lesquels s’exerce le pouvoir » nous étudierons celui-ci sous l’angle sémantique. Le peuple est ainsi « l’ensemble de personnes vivant en société sur un même territoire et unies par des liens culturels, des institutions politiques ».

Dans un contexte de forte hostilité à la réforme des retraites portée par le gouvernement Macron (et la Commission européenne), la France respecte-t-elle encore les propres fondements démocratiques de sa constitution ?

Le pouvoir du peuple ?

La France, démocratie représentative, se doit ainsi de respecter une forme de parité sociale afin que les deux assemblées qui composent son système politique soient représentatives du peuple français. Si l’on s’attarde sur les chiffres de l’Insee, concernant les catégories sociales en France, on note que la part des cadres représente 21,6 % des actifs contre 1,5 % pour les agriculteurs et 19,1 % pour les ouvriers. Sans tomber dans des calculs d’apothicaires et mathématiser la société française, la comparaison des chiffres indiqués ci-dessus avec ceux de l’Assemblée nationale nous pousse à l’interrogation. Sans surprise, le ratio diffère, puisque seulement 0,2 % des députés proviennent des rangs agricoles et 0,1 % du monde ouvrier. En revanche, la part des cadres dans l’hémicycle recouvre plus de 50 % de nos « représentants ». La situation professionnelle de chaque individu n’est évidemment pas le seul critère de représentativité, mais il est le plus palpable. En 2022, en France, le peuple en tant que représentation n’est pas au pouvoir.

Autres éléments du pouvoir français, les ministères n’ont rien à envier à leurs collègues du Palais Bourbon quant à un quelconque lien avec le peuple français. Dans un récent article du Monde, les journalistes du quotidien soulignaient que le patrimoine moyen des ministres de la République s’élevait à près de 1,9 million d’euros (contre 128 000 euros de patrimoine médian en France). Si la démocratie se doit d’être le pouvoir du peuple, les deux chambres ainsi que les ministères de la République n’en sont pas la digne représentation.

Le pouvoir par le peuple ?

La représentativité populaire des institutions démocratiques laissant à désirer, penchons-nous sur les récents scrutins pour élire ces mêmes représentants. S’ils ne dépeignent pas le peuple, peut-être en sont-ils le choix majoritaire, voire plébiscitaire.

Alors que l’élection du président de la République est effective par la Constitution, il n’en est pas moins que si l’on s’intéresse aux chiffres, le constat est torpide. Emmanuel Macron, sur un parterre de Français inscrits sur les listes électorales de 48 millions d’inscrits, n’appuie sa légitimité dite démocratique, que sur 39 % des votes, soit un peu moins de 19 millions de votants.

Élément clé de la Ve République, l’Assemblée nationale a pour rôle le contrôle de l’action du gouvernement et du chef de l’État. Censé représenter trait pour trait la population française et ses choix politiques, son mode de scrutin tronque cette symétrie. En effet, si l’on en dresse ses contours sous un format dit proportionnel, les chiffres évoluent drastiquement. Actuellement, les députés du parti présidentiel occupent 245 sièges, ceux de la NUPES 133 et ceux du Rassemblement national 88. Dans un système proportionnel, ces rapports seraient les suivants, 182 pour les députés affiliés au gouvernement Borne, 183 pour le groupe de gauche et 132 pour la formation de Marine Le Pen. Proudhon en son temps avait vu juste : « Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent. »

L’illustration du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel nous rappelle depuis plus de 15 ans, que la France et l’Union européenne se construisent sans les peuples, et même dans certains cas contre eux. Lors de ce vote populaire, le Non avait emporté largement le scrutin avec plus de 54 % des suffrages. Outrepassant le droit du peuple français à déterminer sa destinée, le Conseil européen, avec l’aval de Nicolas Sarkozy, dessaisissait la souveraineté populaire au profit de l’appareil européen. Si le message des Français lors de ce vote se reflétait dans la déclaration du général de Gaulle selon laquelle, « si grand que soit le verre que l’on nous tend du dehors, nous préférons boire dans le nôtre, tout en trinquant aux alentours », l’Union européenne en décida autrement. Quant à son organisation interne, les dernières affaires en date ne manquent pas de nous rappeler que l’Union européenne n’est pas un nid d’espion, mais de corruption. Les peuples européens ne peuvent exercer de contrôle démocratique qui dirige depuis ses bureaux bruxellois, soumis aux influences extérieures de pays comme le Qatar ou des grands groupes financiers mondiaux. Tout cela ne serait qu’une vulgaire parenthèse, et le lecteur assidu de Front Populaire ne manquerait de nous rappeler que ces vérités ne constituent que des banalités quotidiennes d’un gouvernement synarchique européen.

Quel est donc le lien avec le sujet du jour et la réforme des retraites ? Noyée dans la soupe antidémocratique bruxelloise, la France suit à la lettre les recommandations bruxelloises « en vue de corriger des déséquilibres macroéconomiques ». Il y a quatre ans, le Conseil européen demandait à la France de « réformer [son] système de retraite » en vue de « renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ».

Les gouvernements maastrichtiens se suivent, la sémantique suit. Et c’est bien ici que le bât blesse, l’Union européenne, organisation centraliste et oligarchique décide, le gouvernement français applique, au mépris de la souveraineté de son peuple qui rejette en bloc. Philippe Séguin qui voyait si juste déclarait : « L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l’anti-1789. »

Pouvoir pour le peuple

Milan Kundera, dans L’immortalité, écrivait : « Le sondage est devenu une sorte de réalité supérieure ; ou pour le dire autrement, il est devenu la vérité. » Sans aller aussi loin que l’écrivain tchèque, dont cette formule est plus critique qu’elle n’y paraît, ces enquêtes reflètent des tendances de fond que l’on ne peut nier.

Dans le contexte de cette réforme, ces tendances sont corroborées par tous les instituts de sondage réputés. Lorsque l’on se penche sur ces derniers, on s’aperçoit de l’unanimité de ces résultats. Odoxa soutient que 80 % des Français sont opposés au report de l’âge légal, contre 62 % pour Ipsos et 68 % pour l’IFOP. Le constat est sans appel, les Français sont opposés à ce projet maastritchto-macronien. Une inquiétude démocratique profonde.

Les censeurs rétorquant que les sondages ne reflètent qu’une image statique d’une situation donnée, nous les renverrons aux ouvrages de Jérôme Fourquet, Jean-Claude Michéa et Christophe Guilluy, véritables oxymètres du pouls des Français. Alors que Guilluy décrit une société française s’enfonçant dans « un système dans lequel la démocratie s’exerce actuellement sans le peuple » (Jacques Julliard), celui-ci décrit depuis des années la rupture d’une partie des élites, conjuguée à la fin du modèle de classes moyennes et l’effacement des mobilités.

Jean-Claude Michéa, lui, s’appuie sur Guy Debord pour qualifier le peuple de « gens qui n’ont aucune possibilité de modifier l’espace-temps que la société leur alloue à consommer ». De cette qualification, il décrit la common decency orwellienne en « l’ensemble des dispositions à la bienveillance et à la droiture que constitue l’indispensable infrastructure de toute société juste ».

Enfin, Jérome Fourquet a démontré à plusieurs reprises sa compréhension d’une rupture entre plusieurs France. Celle-ci se caractérise par la disparition de différentes structures historiques pour aboutir à une archipélisation et un retrait des élites de la société dans son ensemble.

Chacun à leur manière, ces auteurs ont ainsi souligné l’effacement démocratique français depuis plusieurs décennies.

Conclusion

En résumé, la réforme des retraites présentée par le gouvernement d’Élisabeth Borne sur ordre de Bruxelles est la énième illustration de l’illusion démocratique dont les prestidigitateurs se trouvent à l’Élysée et au sein de la Commission européenne. La France, et a fortioril’Union européenne, ne gouverne ainsi ni par le peuple, ni pour lui et encore moins en étant celui-ci. Confrontés à l’unité syndicale, le refus d’une très grande majorité des Français et des deux partis d’opposition (potentiellement majoritaires en assemblée proportionnelle), le piteusement élu Emmanuel Macron et son pendant (non élue) Ursula Von der Leyen se retrouvent devant le miroir de leur autoritarisme.

« Il faut être infidèle, inconstant à beaucoup d’hommes et à beaucoup d’institutions, à tous les partis politiques, pour demeurer fidèle et constant à la justice, à la vérité, à la liberté. » Charles Péguy

Front Populaire