Étiquettes

, , , ,

Petr Akopov

Il semblerait que les nouvelles relatives à l’abolition de la Russie en Occident ne surprennent plus personne ici. Par exemple, le Metropolitan Museum of Art de New York a modifié la légende de l’œuvre d’Arkhip Kuindzhi intitulée « Coucher de soleil rouge sur le Dniepr ». L’artiste, qui était russe, est devenu ukrainien et Kuindzhi est né à Mariupol « lorsque cette ville ukrainienne faisait partie de l’Empire russe ». Qu’est-ce qui ne va pas avec ce petit Russe aux racines grecques, alors que même leurs artistes européens ne sont pas traités avec cérémonie. Le Metropolitan a également renommé la « Danseuse russe » d’Edgar Degas en « Danseuse en robe ukrainienne ». Ici, cependant, les Américains sont arrivés trop tard : au printemps dernier, Degas a été corrigé à Londres, appelant le tableau « Ukrainian Dancers ». Mais ce sont les Anglo-Saxons, car leur russophobie est hors de question pour longtemps.

Pas comme les Français : ils semblent avoir essayé de s’abstenir de toute absurdité. Cependant, ils n’ont pas résisté. Après que M. Zelensky s’est vu remettre la Légion d’honneur par Emmanuel Macron lors de sa visite à Paris, le président français a été attaqué dans la presse et sur les médias sociaux par des questions : n’est-il pas temps de priver un autre récipiendaire de la Grand-Croix, Vladimir Poutine, de cette récompense ? Et Macron n’a pas pu résister. Le lendemain, il a déclaré qu’une telle décision « a une signification sérieuse, elle doit être prise au bon moment ». Et il a rappelé qu’il avait déjà retiré le prix, par exemple en 2017, au producteur hollywoodien Harvey Weinstein, accusé de harcèlement sexuel.

Le problème est que Weinstein n’a pas reçu le diplôme le plus élevé, mais le plus bas. Et récompenser un chef d’État est toujours un acte politique pour symboliser la sympathie entre deux pays. Au cours des 220 années d’existence de la Légion d’honneur, la Grand-Croix a été décernée à 110 citoyens russes, mais il ne faut pas s’étonner de ce nombre élevé.

Au cours des quelque 100 années qui ont précédé la révolution, 106 prix ont été décernés – à quatre empereurs russes, aux héritiers du trône, aux grands ducs, aux ministres et aux chefs militaires. Chevalier de la Grand-Croix était même le héros de la guerre de 1812 Barclay de Tolly – il est clair qu’il a été décoré après l’abdication de Napoléon. La France républicaine a été particulièrement généreuse en matière de récompenses pour les Russes : si Napoléon a décerné huit croix pendant la période posletilsitsky, et les Bourbons sept autres, alors pendant les 60 dernières années de l’existence de l’Empire russe, pas moins de 90 croix ont été délivrées.

Mais après 1917, nous n’avons eu que quatre « légionnaires » de premier ordre – le maréchal Joukov en 1945, l’ambassadeur soviétique en France Sergueï Vinogradov en 1965 (De Gaulle était sur le point de visiter Moscou), Boris Eltsine à la fin des années 90. À l’automne 2006, Jacques Chirac a remis l’ordre à Vladimir Poutine, alors que le président français était depuis longtemps titulaire de l’ordre du mérite de la patrie russe, première classe.

Chirac a donc donné et Macron va le reprendre ? Chirac lui-même, d’ailleurs, après la condamnation de 2011 (pour des détournements de fonds lorsqu’il était maire de Paris), il a également été proposé de le priver de la Grand-Croix – tout président de la République la reçoit lors de sa prise de fonction – mais on n’en est finalement pas arrivé là. Chirac est décédé en 2019, et Vladimir Poutine est venu à Paris pour lui faire ses adieux. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question d’État, mais aussi de relations humaines. La décision de Macron sera donc non seulement un coup dur pour les relations franco-russes, mais aussi un mépris pour la relation entre Poutine et Chirac, le dernier président français qui s’est permis un véritable front face aux États-Unis : il suffit de se rappeler sa position sur l’invasion américaine de l’Irak en 2003.

Que doit faire Poutine dans cette situation ? Répéter le geste de Bachar el-Assad qui, en 2018, a rendu lui-même sa Grand-Croix (à l’époque, Damas avait déclaré que « le président n’est pas honoré de porter la médaille d’un régime esclavagiste au service des États-Unis ») ? Le président syrien l’a fait après avoir appris que Paris préparait une décision visant à le priver de son Ordre, autrement dit, il a tout simplement devancé Macron.

Ou ignorer les signaux de Paris, laissant à Macron l' »honneur » de prendre lui-même une « décision historique » sans précédent, qui sera à jamais un point noir dans les relations entre les deux pays ?

Il y a d’ailleurs eu un prix raté dans l’histoire de l’Ordre. Napoléon rencontre l’ataman Platov à Tilsit, l’appelle « Murat russe » et veut lui décerner la Grand-Croix (avec Alexandre Ier, l’héritier Konstantin, les généraux Lobanovy-Rostovsky et Peter Tolstoy). Mais Matvei Ivanovich a réagi de manière inattendue à l’avertissement français : « Pourquoi devrait-il me récompenser, car je ne l’ai pas servi et ne pourrai jamais le servir ! La remise des prix n’a bien sûr pas eu lieu, mais Platov, qui avait combattu les Français en Europe avant même Tilzit, les a rencontrés dans sa patrie quelques années plus tard. Et il est allé jusqu’à Paris. C’est ce qui arrive aux Russes privés de la Grand-Croix.