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Gilbert Doctorow

Mon dernier article sur le manque de lucidité des dirigeants syndicaux belges et français, qui se contentent de bricoler pendant que Rome brûle, a suscité un certain nombre de messages de contact qui sont trop importants pour que je les garde pour moi. La question est de savoir comment nous interprétons le scénario de l’évolution de la guerre en cours en Ukraine et autour de l’Ukraine : se poursuivra-t-elle pendant des années au niveau d’intensité actuel ou faut-il craindre une escalade dévastatrice dans les mois à venir, lorsque la contre-offensive ukrainienne, promise de longue date, sera lancée ?

Permettez-moi de dire d’emblée que personne n’est sûr de rien. Mais certains observateurs font état de clivages au sein de l’establishment de Washington, en particulier au sein du département d’État, quant à la détermination de la Russie à réagir en cas de violation de ses lignes rouges.

On peut blâmer Vladimir Poutine autant que l’on veut pour la retenue dont il fait preuve dans la poursuite de cette guerre et qui est interprétée à tort comme de la lâcheté ou de l’indécision dans les allées du pouvoir à Washington. Le fait de blâmer la mauvaise interprétation des intentions de la Russie n’y change rien. Le résultat est que le côté le plus agressif de l’establishment de Washington exhorte le président à prendre des mesures qui risquent de déclencher une véritable guerre entre la Russie et les puissances européennes dans un avenir immédiat.

Je parle de « puissances européennes » plutôt que de l’OTAN, car presque tous les commentateurs s’accordent à dire que les États-Unis n’ont pas l’intention de mettre en danger leurs propres soldats et leur patrie lorsqu’ils peuvent jouer avec des intermédiaires qui se sacrifient. L’incroyable acceptation de telles règles par les dirigeants européens a été démontrée de manière flagrante par le silence du chancelier allemand Schulz sur la destruction planifiée et exécutée par les États-Unis des pipelines Nord Stream II.

La première étape de la guerre en Ukraine, telle qu’elle a été programmée par les États-Unis, consistait à lutter contre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien. La deuxième étape consiste à combattre la Russie jusqu’au dernier Européen.

Ces dernières semaines, les États-Unis ont livré à Bremerhaven, en Allemagne, et à Gdansk, en Pologne, de grandes quantités de matériel militaire qui n’est pas destiné à Kiev, mais qui est préparé en vue d’une guerre avec la Russie, qui serait menée par l’un ou l’autre de ces États, avec ou sans le soutien de l’OTAN.  Il y a une semaine, l’un des « avions du Jugement dernier » américains qui coordonnent les actions en cas de guerre nucléaire est arrivé en Europe via l’Islande. Des observateurs avisés ont noté qu’il pourrait s’agir d’un exercice visant à préparer des attaques nucléaires contre la Russie à l’aide d’ogives et de dispositifs de lancement se trouvant déjà sur le sol européen.

Rappelons que Victoria Nuland reste la personnalité la plus importante du département d’État, dépassant de la tête et des épaules son patron de fonction, M. Blinken. C’est cette femme qui, lors de la préparation du coup d’État de février 2014 qui a renversé le président ukrainien Yanukovich, a dit à l’ambassadeur américain à Kiev « fuck the EU ».  Eh bien, selon des informations du domaine public, c’est exactement ce qu’elle prépare aujourd’hui et nous, Européens, sommes dans le pétrin.

Nuland est considérée comme la personne la plus véhémente pour réclamer la fourniture à Kiev de missiles de précision à longue portée en vue d’une attaque contre la Crimée en été, ce qui ne manquera pas de susciter une réaction d’une violence inédite de la part de la Russie, avec éventuellement des frappes contre les centres logistiques de Pologne, de Roumanie et d’Allemagne qui livrent les nouveaux systèmes d’armement à l’Ukraine. Il y a plusieurs façons de procéder qui rendront problématique l’invocation de l’article 5 de l’OTAN « un pour tous et tous pour un ».

Cela ne veut pas dire que les États-Unis ne préparent pas en même temps un scénario de secours au cas où les Russes se tourneraient vers le principal ennemi et non vers les exécutants européens.  La semaine dernière, un bombardier B-52 à capacité nucléaire de l’armée de l’air américaine aurait testé une attaque sur Saint-Pétersbourg.

En conclusion, je demande à mes lecteurs européens qui sont des leaders dans les institutions financières, dans la gestion du patrimoine, dans l’industrie manufacturière, dans le transport maritime mondial, dans les universités et dans les groupes de réflexion largement respectés (d’après mon compte LinkedIn, je sais que certains d’entre vous suivent quotidiennement ces articles), je vous demande d’utiliser vos voix, en public et en privé, pour sauver l’Europe du désastre qui pourrait s’abattre sur nous dans quelques mois. Le salut ne viendra que lorsque plusieurs chefs d’État européens se joindront à Viktor Orban pour voter contre l’envoi de nouvelles armes à Kiev et pour un cessez-le-feu immédiat. Ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des négociations de paix définitives entre Moscou et Kiev, fondées sur le principe d’une Ukraine neutre.

Gilbert Doctorow