Étiquettes

, ,

Par Ronan Planchon

«À une réforme perçue comme brutale, le gouvernement rajoute la brutalité de la méthode pour la faire adopter.» PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Le professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne en histoire de la communication politique analyse les conséquences sociales et politiques de la décision de l’exécutif de recourir à l’article 49.3 pour faire passer la réforme des retraites.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).


Après l’accord trouvé en commission mixte paritaire mercredi, le gouvernement d’Élisabeth Borne va recourir à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer sa réforme des retraites. Est-ce un aveu d’échec ?

Arnaud BENEDETTI. – L’impuissance parlementaire est inscrite comme un germe corrosif dans le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. La question était posée, depuis plusieurs jours, de savoir si Emmanuel Macron et son gouvernement seraient contraints de faire usage du 49.3. Pour ce qui me concerne, c’était l’évidence sauf à prendre le risque de voir le texte «retoqué». Depuis le printemps 2022, le quinquennat ne tient qu’à un fil, celui d’une législature sans réelle majorité. L’exécutif et nombre d’observateurs se sont auto-intoxiqués : tous ont imaginé que la situation parlementaire, surtout depuis le vote du Sénat, serait surmontée. Ils ont parié sur la force des procédures, des institutions, oubliant d’abord qu’une majorité des Français, très large et massive même chez les actifs, était résolument opposée à une réforme jugée injuste et inefficace ; que le poids de cette opposition sociale avait un impact inévitable sur une partie de la représentation nationale, y compris d’ailleurs au sein de la majorité, encore plus chez Les Républicains : tout simplement parce que les députés dans leurs circonscriptions sont directement confrontés aux inquiétudes, aux ressentiments et aux colères.

Le fait d’avoir proposé une réforme, qui est considérée comme la régression de trop au regard du modèle social français, dans un contexte inflationniste et de défiance grandissante à l’encontre des institutions, ainsi que l’a montré le baromètre de la confiance produit par le Cevipof, constitue non seulement une évidente prise de risque, mais aussi une forme de désinvolture quant au réel, qui accumule et sédimente des couches tous les jours plus épaisses d’une opinion en rupture avec la pensée dominante des élites. Ce qui se passe, c’est bien sûr une impuissance et une situation de déni, dans laquelle le pouvoir s’imagine qu’il peut renaître en continu de ses cendres… Le problème, c’est que le macronisme fédère à son corps défendant et à son encontre toutes les récriminations, parfois contradictoires, du corps social. Et qu’il y surajoute une amnésie permanente qui lui fait oublier toutes les fautes dont il s’est montré comptable, promettant qu’il avait appris de ses erreurs passées. Vient un moment où le réel ne peut plus s’esquiver, où le réel résiste.

Le 49.3, qui est un outil constitutionnel on ne peut plus normé, a été tellement diabolisé par les oppositions que le gouvernement a hésité à l’utiliser et a attendu le dernier moment pour en faire usage.

Arnaud Benedetti

Le recours au 49.3 peut-il fragiliser l’exécutif ? Peut-on imaginer qu’il cristallise la colère du «bloc populaire» hostile à cette réforme ?

Le 49.3, qui est un outil constitutionnel on ne peut plus normé, a été tellement diabolisé par les oppositions que le gouvernement, lui-même, a hésité à l’utiliser et a attendu le dernier moment, après des jours de forfanteries, pour en faire usage. Cette utilisation in extremis est non seulement un aveu de faiblesse, mais la traduction d’une forme de panique. Ce 49.3 a quelque chose d’exceptionnellement inquiétant pour le pouvoir, car il prend la forme de la figure du roi aux échecs qui est en voie de cornérisation, dont les marges de manœuvre ne cessent de se réduire, et qui se heurte aux quelques cases qui lui permettront quelques minces onces de déplacement. En décidant le vote bloqué, le gouvernement ouvre une trappe sous son assise : il renvoie l’image d’un gouvernement aux abois, à bout de souffle.

L’acceptabilité de ce 49.3 en a pris un coup ; en témoignent les manifestations qui se sont formées à Paris et dans de nombreuses villes de province dès son annonce. Il se pourrait que cette réforme des retraites soit la réforme régressive de trop comme le recours au 49.3, le 49.3 de trop… Tout l’enjeu dans la zone de turbulence traversée consistera, pour l’exécutif, à éviter que les jeunesses universitaires et lycéennes n’entrent pas massivement dans le mouvement social. Si tel était le cas, nous aborderions les rivages d’une crise majeure… Il y a quelques semaines avec Stéphane Rozés, dans ces mêmes colonnes, nous avons évoqué l’hypothèse d’une synchronisation des colères. Indéniablement le 49.3 est une mèche incendiaire, dont il ne faut pas sous-estimer la portée dans les circonstances présentes. Il vient surinfecter une plaie dont la crise sociale est l’expression…

À qui profite, en fin de compte, ce passage en force ?

Le pouvoir va évidemment s’efforcer de retourner les désordres, qui ont suivi l’engagement de la responsabilité du gouvernement, comme un levier pour essayer de reprendre le contrôle d’une situation qui lui a échappé. Il n’en demeure pas moins qu’il est confronté à une motion de censure qui, pour la première fois, dispose d’une amplitude d’agrégation sans précédent sous cette législature. Le groupe qui la dépose n’a rien d’extrémiste, il est même l’illustration de la France territoriale, celle qui souvent n’est pas écoutée par Paris, voire méprisée mais qui a contrario de ce qui est reproché au macronisme, la dimension hors sol, est en phase avec le pays dans sa diversité géographique et sociale.

Si la majorité est au bord du collapsus, que dire des Républicains qui ont commis la faute de ne pas laisser une liberté de vote à leurs parlementaires.

Arnaud Benedetti

On a constaté depuis le 19 janvier, date du démarrage des mobilisations contre le projet de réforme, combien les provinces, les villes moyennes et parfois les petites villes étaient à la pointe de ce mouvement. Rien à ce stade n’est acquis : la motion ne peut avoir une chance d’aboutir qu’à raison du vote de la moitié des LR. Ceux-ci sont divisés, et le fameux appel à la cohérence dont leurs dirigeants se veulent porteurs, n’est pas partagé par tous leurs députés, sans doute encore moins par leurs militants et sympathisants dont beaucoup sont mus par un anti-macronisme viscéral. Si la majorité est au bord du collapsus, que dire des Républicains qui ont commis la faute de ne pas laisser une liberté de vote à leurs parlementaires.

Quant à la gauche, notamment LFI, elle est engagée dans une stratégie de déstabilisation à laquelle elle finit par croire, et dont la radicalité pourrait certes porter quelques fruits en matière de remobilisation, mais qui ne manquera pas non plus de générer nombre d’allergies parmi de larges segments des opinions. En conséquence, je vous laisse deviner à qui en creux profiterait principalement la situation, même s’il convient de rester prudent tant les événements ont rarement été aussi volatils.

Figaro Vox