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Gilbert Doctorow

L’édition d’hier de « Highlights » sur Press TV, Iran, s’est concentrée sur la lutte politique et de rue en cours en France à propos de l’utilisation par le président Emmanuel Macron de l’article 49.3 de la Constitution française pour adopter une loi très contestée réformant l’âge de la retraite sans la soumettre au vote de la Chambre basse de l’Assemblée législative.

Mon collègue, Moustafa Praori, universitaire et commentateur politique à Paris, a expliqué succinctement le fonctionnement du système présidentiel en France et la raison pour laquelle, en fin de compte, tout le monde retournera probablement à son travail sans qu’il n’y ait de grands changements dans la vie politique. Il a ensuite estimé qu’il était dommage que les électeurs français aient ignoré les candidats de gauche alternatifs à Macron lors des dernières élections. S’ils avaient choisi le candidat Jean-Luc Mélenchon au lieu de Macron, ils auraient été épargnés par le conflit actuel.

Je suis ravi que notre hôte m’ait permis de replacer la question de savoir pourquoi et comment Macron est arrivé au pouvoir dans le contexte plus large que j’ai exposé pour la première fois il y a quatre ans : à savoir qu’au cours des dix dernières années ou plus, l’ingérence massive des États-Unis dans les campagnes présidentielles françaises a porté au pouvoir à Paris le choix de la CIA pour le poste en éliminant de la course les candidats les plus compétents.

Je renvoie les lecteurs à un essai intitulé « Discours d’Emmanuel Macron devant la session conjointe du Congrès, 25 avril 2018 » dans mon recueil A Belgian Perspective on International Affairs (2019). La section finale de ce long essai, qui traite de « Comment Macron est arrivé au pouvoir : L’ingérence des États-Unis dans la politique française », remonte à la course présidentielle française de 2012, lorsque les agences de renseignement des États-Unis ont effectivement éliminé de la course le principal candidat du Parti socialiste français, Dominique Strauss-Kahn, qui a été remplacé comme porte-étendard par un personnage sans envergure, le parfait nigaud François Hollande. Comme nous le savons, Hollande a remporté la présidence et a assuré le déclin implacable de la France en tant que puissance européenne et mondiale. Son mandat a été marqué par la stagnation économique et une France faible qui suivait timidement les traces d’Angela Merkel, plus dynamique.

Dans la perspective de l’enjeu international numéro un d’aujourd’hui, la guerre en Ukraine et la façon dont les accords de Minsk ont été trahis précisément par leurs signataires Merkel et Hollande, il convient de mentionner que la « dynamique » Merkel était elle-même soumise à un contrôle personnalisé de la part de Washington. Il était possible de la faire chanter sur les indiscrétions de ses conversations téléphoniques privées que la CIA écoutait, et en particulier sur son orientation sexuelle qui faisait l’objet de spéculations passionnantes à l’époque.

Nous savons tous comment Strauss-Kahn a été démis de ses fonctions. Il a été arrêté dans un hôtel de New York pour tentative de viol sur une femme de chambre. Il ne fait guère de doute qu’il s’agissait d’un cas bien préparé de piège à motivation politique. Les médias américains et internationaux ont immédiatement publié les détails les plus croustillants de cette escapade, ainsi que les images pitoyables de Strauss-Kahn, menotté, en train de comparaître devant un tribunal de New York. Cela a mis un terme définitif à sa carrière politique.

Et pourquoi Strauss-Kahn a-t-il été démis de ses fonctions ?  Les raisons ont été rendues publiques à l’époque. Dans l’exercice de ses fonctions de directeur général du Fonds monétaire international depuis ses bureaux de Washington, M. Strauss-Kahn était connu pour ses opinions anti-américaines et en particulier pour son plaidoyer en faveur de l’abandon du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale au profit d’une abstraction non liée à un pays, les droits de tirage spéciaux (DTS). J’ajoute, entre parenthèses, qu’à l’heure actuelle, la question de la dédollarisation par le retrait de Strauss-Kahn de la politique internationale en 2011-2012 semble bien dérisoire étant donné que Washington a lui-même fait plus que quiconque ne pourrait jamais imaginer pour détrôner le dollar par sa propre action sans précédent, en gelant les réserves d’État de la Russie déposées en Amérique au printemps dernier dans le contexte des sanctions liées à la guerre en Ukraine.

Revenons à M. Macron. Son élection a été rendue possible par l’intervention des services de renseignement américains dans la course à la présidence française de 2016-2017.  À l’époque, les Républicains, le parti centriste de Nicolas Sarkozy, avaient voté le 20 novembre 2016 lors d’une élection primaire pour présenter comme candidat François Fillon, premier ministre de Sarkozy de 2007 à 2012. M. Fillon était expérimenté, compétent et s’était autoproclamé réformateur économique. En ce sens, il était un candidat solide pour affronter la candidate d’extrême droite Marine Le Pen, sympathisante de Poutine et opposante à l’OTAN que Washington abhorrait.

Malheureusement pour lui, M. Fillon n’était pas non plus apprécié outre-Atlantique, où il était connu comme un « ami » de Vladimir Poutine. En marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg en juin 2015, M. Fillon était apparu à la télévision pour prôner un rapprochement avec la Russie et s’était publiquement opposé aux sanctions américaines contre la Russie qui découlaient de la loi Magnitsky de 2012. Son élection, tout comme celle de la principale candidate de la droite, Marine Le Pen, créerait un duo transatlantique allant à l’encontre de l’orientation stratégique existante de la politique américaine, qui consistait à appâter l’ours russe.

Ainsi, ceux d’entre nous qui connaissent les méthodes et les moyens des agents de renseignement américains n’ont pas été surpris de voir la candidature de M. Fillon dérailler quelques semaines seulement avant le premier tour des élections présidentielles, lorsqu’il a été accusé de détournement de fonds sur la base d’allégations selon lesquelles il aurait fait travailler sa femme dans le secteur public pour un travail minime, voire nul.

Fillon ayant été publiquement discrédité, le flambeau anti-Le Pen est passé au candidat de l’ombre, Emmanuel Macron, qui se présentait avec un programme anti-corruption qui était à sa manière « populiste », bien qu’il soit très favorable à l’ordre mondial existant. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

Enfin, je note que les moyens par lesquels les agences américaines pourraient plus tard faire chanter Macron pour le maintenir dans le droit chemin une fois qu’il aura pris le pouvoir sont discutés en long et en large dans mon article susmentionné.

Gilbert Doctorow