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Maxime LE NAGARD, Arnaud BENEDETTI

ENTRETIEN. Les motions de censures déposées vendredi et mettant en balance la survie du gouvernement n’ont pas abouti. La crise politique autour de la réforme des retraites est-elle close ? Éléments de réponse avec Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire.

Arnaud Benedetti : « Emmanuel Macron est d'abord le symptôme le plus visible de la crise démocratique »

Front Populaire : Les motions de censure visant à renverser le gouvernement Borne ont échoué. Quelles sont les raisons de cet échec ?

Arnaud Benedetti : Pour celle qui avait le plus de chances d’aboutir, à savoir la motion transpartisane déposée par le Groupe LIOT, les Républicains auront indéniablement et d’une manière aussi servile qu’inutile tactiquement opéré comme les  » idiots utiles  » d’un pouvoir minoritaire, contesté par l’opinion, les syndicats, et les parlementaires. Sans l’apport de LR , le gouvernement d’Elisabeth Borne était renversé.

Voilà pour la raison conjoncturelle de l’échec d’une motion qui a été à deux doigts d’être adoptée ; pour la raison de fond, il faut aller un peu plus avant pour comprendre que ce comportement collectivement « suicidaire » de la part de LR relève de l’incapacité de penser hors des cadres, d’être en mesure de s’affranchir du logiciel d’un parti dont l’histoire depuis de nombreuses années se confond avec le conformisme le plus plat de la pensée dominante. Ils sont tétanisés à l’idée de provoquer une crise, alors que leur référentiel gaulliste devrait les inciter à ne pas craindre la confrontation avec l’épreuve du feu. Ils sont dans le hors champ de l’histoire, ils l’ont hélas démontré depuis de nombreuses années. Leur plus petit dénominateur consiste à gérer l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes : des gens héritiers d’une culture de gouvernement, qui seraient responsables, crédibles…

Ils ne comprennent pas l’épaisseur de l’histoire, et confondent combinaisons politiciennes de court terme et stratégie politique. La responsabilité pour le coup eut été de précipiter la crise politique car la retarder, c’est l’amplifier, la rendre encore plus violente, et plus difficile à surmonter. L’échec de la motion est indexée sur cette psychologie d’une poignée de parlementaires LR inhibés pour certains d’entre eux, ralliés intellectuellement pour d’autres au macronisme.


FP : Le gouvernement Borne sort-il relégitimé de cet échec ?

AB : Seule la langue de bois de la communication gouvernementale peut considérer qu’Élisabeth Borne est relégitimée. Le pire c’est qu’elle aurait prétendu qu’il s’agissait là d’une « victoire ». Mme Borne, poussée en cela par le Président de la République, aura tordu à l’excès la procédure parlementaire, dénaturant l’esprit des institutions, y compris celui du « parlementarisme rationalisé », conceptualisé par les pères de la constitution.

On aura pour la circonstance usé de toutes les ressources constitutionnelles permettant de corseter le débat parlementaire, y compris au Sénat dont la majorité a, il est vrai, anticipé avec une ostentation sans précédent les souhaits du « Prince ». L’exécutif a sursaturé comme jamais – par l’usage de tous les dispositifs que lui offre le texte constitutionnel – la temporalité parlementaire en privant les Français du débat auquel ils avaient droit. Tout cela pour éviter le 49-3 et pour le « dégainer » au dernier moment, car quand il s’est agit d’aller au vote, les prétendus stratèges de Matignon et de l’Elysée ont découvert subitement l’étendue de leur impuissance parlementaire

Celle-ci n’est pas nouvelle, au demeurant, puisqu’elle est inscrite dans les résultats des législatives de juin 2022. Il convient de relever ce fait (à ma connaissance tout à fait exceptionnel sous la Vème République) que l’Assemblée aura in fine adopté un texte qu’elle n’aura pas discuté jusqu’à son terme… Mais Elisabeth Borne constitue un sujet ancillaire sur le plan politique ; le problème c’est Emmanuel Macron, l’interprétation absolument abusive qu’il se fait de son nouveau mandat, sa pratique baroque de la fonction présidentielle, où il démontre par tous les pores de sa peau de représentant des élites dominantes et dont il est le fondé de pouvoir, qu’il n’apprend rien de ses erreurs. Comme s’il prenait même un plaisir certain à narguer ses opposants, comme si sa présidence depuis 2017 n’était qu’un interminable appel à « venir le chercher ». 

Tout se passe comme si Emmanuel Macron n’était jamais sorti des jardins de la Maison de l’Amérique Latine, ce jour où, en plein épicentre de l’affaire Benalla, il prononça cette parole éminemment provocatrice qui cingle comme la métaphore délétère de sa présidence.

FP : Dans cet épisode, le gouvernement a été beaucoup critiqué sur ses méthodes : véhicule législatif détourné (LFSS), ou encore utilisation des articles 47.1, 44.3 et 49.3 de la Constitution. Des méthodes douteuses… mais légales, ou disons « constitutionnelles ». Sur quelles bases les contester, dès lors ?

AB : La réponse est entre les mains du Conseil constitutionnel qui pourrait considérer que l’accumulation des articles contraignant et accélérant la délibération a entravé la sincérité des débats – ce qui, au vu de ce qui s’est passé notamment au Sénat, n’est pas à exclure.

Sans parler du véhicule législatif retenu par le gouvernement pour porter le texte, véhicule dont la légitimité est sujette à caution, comme l’a indiqué le Conseil d’État au gouvernement, sans que les parlementaires n’aient eu accès à cette note. Ce dont Charles de Courson, l’orateur de la motion de censure LIOT, a mis en exergue lors de son intervention.

Les motifs d’invalidation de tout ou partie du texte sont réels, nombreux, et de ce point de vue ce serait là peut-être une opportune sortie de crise pour le gouvernement, même si une telle éventualité serait perçue comme un camouflet supplémentaire, l’expression réitérée d’un amateurisme persistant, etc.

FP : Certains députés semblent avoir reçu des menaces et des pressions de la part de la majorité présidentielle pour ne pas voter la motion. Ces pratiques sont-elles avérées et que révèlent-elles ?

AB : Ces pratiques ne sont pas nouvelles, elles ont toujours existé. Ce qui ne signifie pas qu’elles soient acceptables.

Michel Rocard, avec son conseiller Guy Carcassonne, parvint entre 1988 et 1991 à circonvenir un certain nombre de députés alors que Matignon ne disposait pas de majorité absolue. Lors de la motion de censure enclenchée par les oppositions d’alors contre l’instauration de la contribution sociale généralisée, le cabinet du Premier ministre n’hésita pas à desserrer nombre de dossiers inhérents aux circonscriptions des parlementaires dont le pouvoir n’ignorait pas qu’ils étaient approchables, traitables en raison d’un contexte local ou de leur proximité potentielle avec la sensibilité rocardienne.

J’ai moi-même, quand j’étais jeune assistant parlementaire, été témoin de ces démarches. À l’époque, le gouvernement Rocard échappa à 6 voix près à la censure. Le Président du groupe gaulliste, Bernard Pons, avait déclaré (non sans malices) et juste après le rejet de la motion que celle-ci avait été votée par la… métropole. Les temps ont changé depuis, car cette fois-ci l’Outre-mer a largement sanctionné le gouvernement. Il va de soi que nombre de parlementaires ont été l’objet de pressions plus ou moins amicales. La députée de Mayotte, Estelle Youssoufa, a raconté comment on avait essayé de la dissuader de voter la censure en lui assurant un soutien de l’Etat pour certains dossiers locaux ;  les parlementaires corses, alors que l’exécutif a engagé un nouveau cycle de négociations avec les élus de l’île dans la perspective d’un nouveau statut, ont été destinataires de messages pour le moins discutables, voire scandaleux où il s’agissait de leur faire comprendre que leurs votes en faveur de la motion seraient susceptibles de remettre en cause le processus de discussion… Quant aux élus des Républicains, Éric Ciotti a brandi la menace de l’exclusion à leur encontre, oubliant qu’il n’existe pas de mandat impératif et qu’en conséquence chaque député vote dans une parfaite confrontation avec ses convictions et sa propre conscience.

FP : Macron prétend à raison avoir été élu à la fonction suprême sur un programme qui contenait la réforme des retraites. Il est pourtant également vrai qu’une majorité de Français rejette cette réforme. Qui a raison et comment sort-on de cette impasse ?

AB : Emmanuel Macron n’a pas été réélu sur son programme, mais par opposition à Marine Le Pen. Il a même le soir de sa réélection confessé publiquement qu’il était conscient de cette lecture et qu’il s’en souviendrait… Manifestement, sa mémoire depuis a défailli. Il existe un malentendu dans cette figure de l’élection par défaut contre Marine Le Pen, et ce malentendu résulte aussi d’un artefact. Ceux qui ont voté pour barrer la route à Marine Le Pen le font en rejouant la grande scène de l’anti-fascisme ; or Marine Le Pen n’est pas plus fasciste qu’elle n’est d’extrême-droite ; elle est banalement de droite, d’une droite populaire, et encore d’une droite bien moins conservatrice sur certains aspects que celles dont Bruno Retailleau pourrait se réclamer.

Emmanuel Macron, lui, se présente comme le défenseur de la démocratie libérale ; or ses réflexes, sa pratique du pouvoir, totalement déconnectée des corps intermédiaires qu’il malmène tout en promettant de les réintégrer à chaque réinvention de son « discours de la méthode », le peu de cas qu’il semble faire de la contradiction qui est au cœur du moteur libéral des démocraties représentatives, le classe dans la catégorie de cet objet idéologiquement modifié que constitue le chef d’État ou de gouvernement pro-bruxellois, atlantiste, serviteur assermenté de la globalisation, plus managérial que prince constitutionnel, en quelque sorte un néo-illibéral qui, sous couvert de libéralisme, est un expert en vente par appartement de la souveraineté.

Certes, les événements, la crise des Gilets jaunes puis la pandémie ont contrarié sa feuille de route, mais dernier mandat oblige, le voilà qui entend renouer avec son marketing initial empreint de technocratisme et d’économicisme agrémenté d’une pincée de sociétal… D’où cette idée qu’il faut se délier de son serment du second tour d’avril 2022 pour satisfaire ses commanditaires, les supra-nationaux et son socle électoral, cette sociologie post-démocratique qui trouve que toutes ces histoires de nation, de souveraineté, de peuple sont autant d’obstacles et de vieilleries à un monde ouvert, performant, chiffré.

Or, l’envers de cette réalité fantasmagorique, ce n’est pas un monde ouvert, mais une société avec laquelle les CSP+ font sécession et s’enferment dans leur résidence imaginaire ; ce n’est pas une économie plus performante mais une économie qui ne produit plus et qui ne crée plus de richesses, mais du profit, à usage principalement de la sociologie des actionnaires ; quant aux chiffres, outre qu’ils sont parfaitement interprétables de manière différenciée, ils ne sauraient être, à eux seuls, la clef de compréhension d’une société, la mesure de toutes les choses…

La vision macroniste n’est pas majoritaire ; elle est celle qui à ce stade est la mieux organisée politiquement sans doute, mais elle est minoritaire. Elle se nourrit des divisions de ses opposants ou de l’incapacité des opposants à prendre un leadership socio-politique décisif. C’est cela, la condition politique de la France sous Macron : une bulle politiquement virtuelle qui éclaterait à la moindre offre politique un tant soit peu souverainiste, si cette offre parvenait à se structurer de manière solide et quelque part définitive. L’irréductibilité inconciliable de chacune des oppositions entre elles sert le macronisme, mais ce dernier a tout du funambule au-dessus du vide qui, s’il s’arrête sur le fil, risque à tout moment la chute dans le précipice.

Emmanuel Macron est d’abord le symptôme le plus visible de la crise démocratique. Nous y sommes, et son intérêt est le déni, car s’il en sort, tout son fragile échafaudage politique s’effondrera. D’où cette auto-satisfaction permanente à laquelle toute la macronie continue de cotiser, y compris après que démonstration a été faite encore lundi, lors du débat sur la censure, qu’elle était assiégée par la colère sociale, l’insatisfaction politique, l’impuissance parlementaire.


Comment s’extraire de cette impasse ? Le changement de Premier ministre ne réglera rien car encore une fois, le sujet n’est pas un sujet de casting ; la dissolution est une hypothèse car cette législature n’ira pas jusqu’au bout du fait d’une assemblée sans majorité. Mais à ce stade, au regard de ce que l’on sait de la conjoncture, tout laisse à penser que le risque est grand de se retrouver avec une assemblée encore moins lisible.

Reste la seule solution, celle que le Général De Gaulle avait prévu : le référendum, qui remet le peuple au centre du jeu et qui nous ramène à l’essentiel, car dans une démocratie tout procède du peuple et tout ramène à celui-ci. Si le Président de la République habitait vraiment la fonction, comme l’exige l’esprit de la Vème République, Emmanuel Macron prendrait son risque. Il le doit bien aux Français, notamment sur un enjeu, celui des retraites, qui concerne tout le monde et dont l’héritage relève de la mémoire collective.

Front Populaire