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Article du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pour le magazine d’information Razvedchik

C’est un privilège pour moi de soumettre cet article au magazine d’information Razvedchik et de partager avec ses lecteurs ma compréhension des développements internationaux actuels, ainsi que les priorités de la politique étrangère de la Russie.
Nous vivons une époque de changements géopolitiques historiques. « Le changement d’époque est un processus douloureux, mais naturel et inévitable. Un nouvel arrangement mondial se dessine sous nos yeux », a déclaré le président Vladimir Poutine.
Aujourd’hui, la multipolarité émergente constitue une tendance clé dans les affaires internationales, comme je l’ai noté à plusieurs reprises. Les nouveaux centres de pouvoir en Eurasie, en Asie-Pacifique, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine ont obtenu des résultats impressionnants dans divers domaines, guidés par leur engagement en faveur de l’autosuffisance, de la souveraineté des États et de leurs identités culturelles et civilisationnelles uniques. Ils ont une politique étrangère indépendante, qui donne la priorité à leurs intérêts nationaux fondamentaux. Cela met en place des facteurs objectifs pour l’émergence d’un nouvel ordre mondial multipolaire – un cadre plus résilient, plus juste et plus démocratique reflétant le droit naturel et inaliénable de chaque nation à déterminer son avenir, ainsi qu’à choisir ses propres modèles de développement interne et socio-économique.
D’ailleurs, certains hommes politiques occidentaux commencent à accepter cette réalité, même si c’est à contrecœur. Par exemple, le président français Emmanuel Macron a parlé de la fin de l’hégémonie occidentale dans les affaires internationales à de multiples occasions, même si, à vrai dire, tout cela s’est produit avant qu’il ne rejoigne les rangs de la coalition pro-ukrainienne mise en place par Washington pour contrer la Russie. Le fait qu’un diagnostic correct ne se traduise pas nécessairement dans la pratique ou ne modifie pas la pensée de la politique étrangère basée sur les principes du droit international, de la sécurité égale et indivisible, est une autre question. Au contraire, le soi-disant Occident collectif dirigé par les États-Unis fait tout pour faire revivre le modèle unipolaire, qui a fait son temps. Ils veulent forcer le monde à vivre dans un ordre occidental-centré basé sur des règles qu’ils ont eux-mêmes inventées, tout en cherchant à punir ceux qui ne sont pas d’accord avec ces règles, même si personne ne les a jamais vues et qu’elles sont introuvables.
Nous ne nous sommes jamais fait d’illusions sur l’identité de nos interlocuteurs. Il était clair pour nous qu’après la fin de la guerre froide, Washington et ses satellites de l’OTAN recherchaient une hégémonie totale et voulaient résoudre leurs propres problèmes de développement aux dépens des autres. Dans la région euro-atlantique, l’expansion agressive de l’OTAN vers l’est est devenue une partie intégrante de cette politique égoïste, menée en dépit des promesses politiques faites aux dirigeants soviétiques de ne pas étendre l’OTAN, et contrairement aux engagements approuvés au plus haut niveau au sein de l’OSCE de s’abstenir de chercher à renforcer sa sécurité aux dépens de celle des autres États.
Les sommets de l’OSCE et de la Russie et de l’OTAN ont adopté de nombreuses résolutions proclamant qu’aucun groupe d’États ou organisation ne peut assumer la responsabilité principale du maintien de la paix et de la stabilité dans la région, ni considérer une partie de la région comme sa sphère d’influence, mais ces documents ont été foulés aux pieds. Pendant toutes ces années, l’OTAN a évolué dans une direction opposée.
Pendant des années, l’Occident a poursuivi ses efforts pour pénétrer l’espace géopolitique post-soviétique et pour construire ce que l’on appelle l’axe d’instabilité le long de la frontière russe. Les États-Unis et les pays de l’OTAN ont toujours considéré l’Ukraine comme l’un des outils qu’ils pouvaient utiliser contre la Russie. Pour achever la transformation de notre État voisin en un État antirusse, les doreurs d’image occidentaux ont conçu puis soutenu un coup d’État anticonstitutionnel à Kiev en février 2014. Ce coup d’État a été organisé alors même que l’Allemagne, la Pologne et la France s’étaient portées garantes d’un règlement politique pacifique entre le gouvernement et l’opposition.
Pendant huit ans, l’Occident a non seulement fermé les yeux sur le génocide des habitants du Donbass, mais il a aussi ouvertement encouragé les préparatifs du régime de Kiev en vue d’utiliser la force armée pour s’emparer de ces territoires. En témoigne le récent aveu d’Angela Merkel et de François Hollande, qui ont admis qu’ils n’avaient besoin du paquet de Minsk que pour donner à Kiev le temps de renforcer ses capacités de combat. Un autre signataire de ce document, Petr Porochenko, a fait un aveu tout aussi cynique. Ce n’est rien d’autre que la preuve de l’hypocrisie de l’establishment politique occidental et du régime de Kiev qu’il a nourri.
Les véritables objectifs des politiciens occidentaux se sont à nouveau manifestés en décembre 2021, lorsque Washington et Bruxelles ont rejeté les propositions de la Russie visant à lui fournir des garanties de sécurité concernant la région située à l’ouest des frontières russes.
Il est évident que la situation en Ukraine et autour de ce pays n’est qu’un élément d’une collision à grande échelle créée par un petit groupe d’États occidentaux désireux de maintenir leur domination mondiale et de faire reculer le processus objectif de la montée en puissance d’une architecture multipolaire. Agissant dans la pire des traditions coloniales, les Américains et leurs chiens de poche tentent de diviser le monde entre « démocraties » et « régimes autoritaires » ou, en clair, entre quelques privilégiés, qui sont exceptionnels, et tous les autres, qui doivent servir les intérêts du « milliard d’or ». L’essence ultime de cette philosophie cynique a été exprimée par le responsable de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, qui a déclaré : « L’Europe est un jardin. Le reste du monde […] est une jungle ». Il s’agissait d’un lapsus freudien qui a révélé leurs véritables intentions.
Il n’est pas surprenant que les menaces et le chantage aient été utilisés non seulement contre la Russie, mais aussi contre de nombreux autres États. Un objectif stratégique de dissuasion systémique de la Chine a été formulé, notamment dans le cadre des stratégies dites indo-pacifiques. La pratique malveillante de l’ingérence dans les affaires intérieures des États, y compris l’État frère du Belarus, n’a pas cessé. Le blocus commercial et économique de Cuba, qui dure depuis des années, n’a pas été levé. Il existe de nombreux autres exemples de ce type. Dans l’ensemble, personne n’est aujourd’hui à l’abri des raids et des attaques de type mafieux des États-Unis et de leurs satellites.
Pour garantir l’adoption d’un agenda international conforme à leurs propres intérêts, Washington et Bruxelles tentent de « privatiser » les organisations internationales et de les mettre au service de leurs intérêts mercantiles. En voici quelques exemples. Le Secrétariat technique de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) s’est vu attribuer des fonctions attributives qui ne sont pas de son ressort, et le Conseil de l’Europe a été transformé en instrument de la politique anti-russe et, en fait, en appendice de l’OTAN et de l’UE. La situation de l’OSCE, qui a été créée pour mener un dialogue européen honnête, est presque la même. Cette organisation basée à Vienne est devenue une agence marginale où l’Occident accumule saletés et mensonges pour noyer les principes fondamentaux de l’Acte final d’Helsinki. Il est évident que l’OSCE ne peut plus s’occuper des questions sérieuses de sécurité européenne. L’Occident poursuit ses efforts pour éliminer les capacités restantes de l’OSCE, notamment en lançant une « communauté politique européenne » exclusive, fermée à la Russie et à la Biélorussie.
Aujourd’hui, nos relations avec les États-Unis et l’UE sont au plus bas depuis la fin de la confrontation bipolaire. Lorsque l’opération militaire spéciale a commencé, l’Occident a déclaré une guerre hybride totale contre la Russie. Son objectif est de nous vaincre sur le champ de bataille, de détruire l’économie russe et de saper notre stabilité politique interne.
Nous en avons tiré les conclusions qui s’imposent. Il n’y aura plus de « business as usual ». Nous ne frapperons pas à la porte fermée, et nous ne ferons pas de concessions unilatérales. Si l’Occident revient à la raison et propose une reprise des contacts, nous verrons ce qu’il propose exactement et nous agirons en fonction des intérêts de la Russie. Tout accord hypothétique avec l’Occident doit être juridiquement contraignant et inclure un mécanisme simplifié de vérification.
À vrai dire, nous ne nous faisons plus d’illusions quant à la convergence avec l’Europe, à l’intégration dans la « maison commune européenne » ou à la création d’un « espace commun » avec l’UE. Toutes ces déclarations faites dans les capitales européennes se sont révélées être un mythe et une opération sous fausse bannière. Les derniers développements ont clairement montré que le réseau ramifié de liens commerciaux, économiques et d’investissement mutuellement bénéfiques entre la Russie et l’UE n’était pas un filet de sécurité. L’UE n’a pas hésité à sacrifier notre coopération énergétique, qui était un pilier de sa prospérité. Nous avons vu que les élites européennes n’ont aucune indépendance et font toujours ce qu’on leur ordonne de faire à Washington, même si cela entraîne des dommages directs pour leurs propres citoyens. Nous tenons compte de cette réalité dans la planification de notre politique étrangère.
Nous continuons à examiner les perspectives et l’opportunité de notre adhésion aux mécanismes de coopération internationale où l’Occident peut manipuler les règles de procédure et les secrétariats pour forcer ces mécanismes de coopération à adopter l’agenda mercenaire de l’Occident au détriment des priorités de la Russie et d’une interaction égale. Nous nous sommes notamment retirés du Conseil de l’Europe et de plusieurs autres agences.
Nous travaillons avec nos partenaires internationaux fiables pour passer à des règlements du commerce extérieur dans des monnaies autres que le dollar et l’euro et pour créer une infrastructure de liens interbancaires et autres liens financiers et économiques qui ne seront pas contrôlés par l’Occident.
Si l’Occident décide d’abandonner sa ligne russophobe et d’opter pour une coopération égale avec la Russie, cela leur profitera avant tout. Cependant, nous sommes réalistes et savons que ce scénario est improbable dans un avenir proche. D’ailleurs, il faudra beaucoup d’efforts pour regagner notre confiance. Washington et Bruxelles devront travailler très dur pour y parvenir.
Il existe de nombreux partenaires dans le monde en dehors des États-Unis et de l’Union européenne. Nous vivons dans un monde global et multipolaire. Les tentatives d’isoler la Russie, de l’entourer d’une barrière et d’en faire un paria ont échoué. Les pays de la majorité mondiale, où vivent quelque 85 % de la population mondiale, ne sont pas disposés à tirer les marrons du feu pour leurs anciens États parents coloniaux. La communauté internationale ne considère plus l’Occident, que le président Poutine a qualifié à juste titre d' »empire du mensonge », comme l’ultime vérité ou l’idéal de la démocratie, de la liberté et de la prospérité.
Dans ce contexte, la diplomatie russe met en œuvre une politique étrangère indépendante, autonome et multidirectionnelle et multiplie ses efforts à travers le monde. Nous renforçons notre partenariat stratégique avec la Chine, qui est un facteur d’équilibre dans les affaires internationales. Les relations actuelles entre Moscou et Pékin sont les meilleures de notre histoire. Nous travaillons sans relâche à la consolidation des relations de partenariat stratégique privilégié avec l’Inde et au renforcement des liens avec le Brésil, l’Iran, les Émirats arabes unis, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud et de nombreux autres États amis. Le deuxième sommet Russie-Afrique, qui devrait se tenir à Saint-Pétersbourg en juillet 2023, renforcera les relations entre la Russie et l’Afrique.
Le centre d’intérêt de l’économie mondiale continue de se déplacer de la région euro-atlantique vers l’Eurasie, et la politique suit le mouvement. Même l’Union européenne ne peut plus prétendre à un leadership politique, économique ou de valeur en Eurasie. Les États du continent ont une réelle liberté de choisir leurs modèles de développement et leurs partenaires internationaux, ou de participer à diverses initiatives d’intégration.
La coopération au sein de l’État de l’Union continuera à se renforcer et à atteindre de nouveaux sommets. L’Union économique eurasienne est l’une des associations régionales qui se développent le plus rapidement, et la Russie la préside cette année. Les liens internationaux étendus de l’UEEA sont une preuve éloquente de l’efficacité et de la pertinence de cette association. La coopération au sein de l’OTSC reste un facteur essentiel de la stabilité régionale. La coopération au sein de la CEI progresse également – la Communauté des États indépendants a d’ailleurs déclaré 2023 Année de la langue russe comme langue de communication interethnique.
L’OCS et les BRICS sont des exemples frappants de diplomatie multipolaire, de partenariat multilatéral égalitaire et mutuellement bénéfique en Eurasie et dans le monde. Il n’y a pas de « leaders » ou de « suiveurs » parmi les membres, et les décisions sont prises par consensus. Il s’agit de plateformes où des pays aux systèmes politiques et économiques différents, avec leurs propres valeurs et paradigmes civilisationnels, coopèrent efficacement dans divers domaines et formats. Un nombre croissant de pays cherchent à établir des liens avec ces associations ou à en devenir membres à part entière. Cela prouve également leur prestige croissant.
L’harmonisation des différentes initiatives d’intégration est notre priorité. Nous pensons que les intérêts économiques doivent constituer la base de la future architecture de paix et de confiance mutuelle. Cette philosophie est inhérente à l’idée du président Vladimir Poutine de créer un Grand Partenariat Eurasien (GEP). Les États membres de l’EAEU, de l’OCS et de l’ASEAN, y compris nos amis chinois et indiens, ont déjà manifesté leur intérêt pour l’initiative russe. En particulier, les mesures visant à combiner les plans de développement de l’EAEU et l’initiative chinoise Belt and Road ont été prises dans la logique du GEP. L’approfondissement de l’intégration entre la Russie et la Biélorussie dans le cadre de l’État de l’Union contribue utilement aux efforts communs.
La Russie continuera à promouvoir un programme unificateur sur la scène internationale, à contribuer au renforcement de la sécurité et de la stabilité mondiales, au règlement politique et diplomatique de nombreux conflits et crises. Avec les États partageant les mêmes idées, nous avons l’intention de nous efforcer d’appliquer réellement les principes inscrits dans la Charte des Nations unies, notamment l’égalité souveraine des États et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. D’une manière générale, nous entendons contribuer à la démocratisation de la vie internationale, à la formation d’un ordre international moderne fondé sur une réglementation juridique internationale et non sur la force.
Bien entendu, le ministère russe des affaires étrangères n’est pas à l’abri des turbulences géopolitiques mondiales. La campagne russophobe à grande échelle a eu un impact direct sur le personnel de nos missions à l’étranger. Ils travaillent désormais dans un environnement extrêmement difficile, mettant parfois leur santé et leur vie en danger. Même pendant les jours les plus sombres de la guerre froide, le personnel diplomatique n’a pas été confronté à autant d’expulsions massives.
Dans cette situation, nous avons dû faire basculer l’ensemble de notre service de politique étrangère dans un cadre opérationnel spécial. Nos diplomates continuent d’exercer leurs fonctions professionnelles de bonne foi, avec diligence et dans leur intégralité. Ils font tout pour défendre les droits et les intérêts des ressortissants russes et de leurs compatriotes à l’étranger, ainsi que pour promouvoir les intérêts des entreprises russes.
À l’avenir, nous nous en tiendrons à la même approche agile pour adapter les ressources humaines du ministère aux changements tectoniques que connaît le monde. Si nécessaire, nous enverrons rapidement notre personnel diplomatique là où il est le plus nécessaire.
Nous veillons tout particulièrement à assurer la continuité des générations. Je suis heureux de constater que de plus en plus de personnes souhaitent devenir diplomates. Chaque année, de jeunes leaders créatifs rejoignent notre famille amicale du ministère des affaires étrangères après avoir obtenu un diplôme en relations internationales et réussi les tests supplémentaires qu’ils doivent passer pour obtenir le poste. L’université MGIMO du ministère des affaires étrangères et l’Académie diplomatique restent nos principaux établissements d’enseignement.
Pour réussir au ministère des affaires étrangères, il est indispensable de se perfectionner en permanence et d’être capable de suivre l’évolution du temps. L’Académie diplomatique propose chaque année une série de formations professionnelles spécialisées. Les diplomates russes ont toujours été réputés pour leurs excellentes compétences linguistiques, y compris dans les langues rares. Le ministère des affaires étrangères propose des cours de formation linguistique supérieure, un outil merveilleux pour améliorer ses compétences linguistiques.
Le ministère et ses missions à l’étranger poursuivent leurs efforts pour utiliser au maximum la diplomatie numérique, l’internet et les médias sociaux et pour exploiter leur potentiel afin de communiquer le point de vue de la Russie sur les développements en cours à un public international plus large. Nous avons l’intention d’intensifier nos efforts sur ce front prometteur en employant des méthodes et des approches créatives et innovantes.
Bien entendu, l’éducation patriotique des jeunes a également joué un rôle important. Cet effort est du ressort du Conseil des vétérans, de l’Association des diplomates russes et du Centre d’histoire du service diplomatique russe. Le Conseil des jeunes diplomates de notre ministère mène de nombreuses initiatives éducatives et caritatives. Il convient de noter que nous avons envoyé de l’aide humanitaire aux enfants du Donbass à plusieurs reprises. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que l’expérience diplomatique s’associe au pouvoir créatif des jeunes.
Pour conclure, je voudrais souhaiter aux lecteurs du magazine une bonne santé, du bien-être et le meilleur.
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