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Campagne legislative partielle  1ere circonscription de l'Ariege : La candidate deputee LFI Nupes, Benedicte Taurine

Lors d’une élection législative partielle en Ariège, un report de voix favorable des électeurs macronistes et du Rassemblement national a permis la victoire de la candidate socialiste dissidente face à la candidate LFI-Nupes. La députée nouvellement élue a reçu les félicitations de la majorité présidentielle, et même du RN. Jusqu’à la constitution d’un « front républicain » contre la Nupes ?

Par Louis Mollier-Sabet

« Un front républicain anti-Nupes est en cours de constitution », a-t-on pu lire, ce dimanche soir, sur le compte Twitter de Jean-Pierre Raffarin, en réaction à la défaite de la candidate LFI-Nupes face à une dissidente socialiste, lors d’une élection législative partielle en Ardèche. La phrase de l’ancien Premier ministre a de quoi surprendre à deux égards. D’abord, tirer des conclusions nationales d’une élection législative partielle à 34 % de participation paraît un peu périlleux.

Ensuite, l’expression « front républicain » désigne historiquement le fait que « les partis classiques se mettent d’accord pour appeler à voter pour celui le mieux placé pour faire barrage à l’extrême droite dans certaines élections », explique Gilles Ivaldi, chercheur au Cevipof et enseignant à Sciences Po. Ce spécialiste de la droite radicale rappelle qu’en ce qui concerne le FN, puis le RN, l’expression est née quand les partis traditionnels, comme le PS et le RPR faisaient barrage au FN de Jean-Marie Le Pen lors de certaines élections locales dans les années 1980 et 1990. « Mais au-delà de l’attitude des partis, le front républicain c’est aussi le comportement des électrices et des électeurs », précise Gilles Ivaldi.

« Une députée LFI en moins, c’est une victoire pour la République »

Historiquement, le concept remonte même à la fin du XIXème siècle, lors que les crises politiques du boulangisme et de l’Affaire Dreyfus ont conduit Waldeck-Rousseau à former un gouvernement de « défense républicaine », allant du socialiste Alexandre Millerand au général Galliffet, en passant par les radicaux et les modérés, afin de combattre les ligues nationalistes. Cet épisode entérinera même la pratique de « désistement républicain », qui veut que face à la droite monarchiste, les candidats « républicains » se désistent pour le mieux placé, et qui amènera à une large victoire du Bloc des gauches en 1902.

En 1956, l’expression « front républicain » naît en tant que telle sous la plume de Jean-Jacques Servan-Schreiber, fondateur de l’Express, pour désigner la coalition de centre-gauche qui se forme des socialistes aux « républicains sociaux » de Chaban-Delmas face à la poussée poujadiste. N’arrivant pas à convaincre communistes et gaullistes, opposés par principe à la IVème République, l’expérience fut de courte durée, mais il n’en reste pas moins qu’elle a consacré le « front républicain » comme alliance contre l’extrême droite.

Ce dimanche, c’est pourtant l’inverse qui s’est produit : en gagnant 6000 voix entre le 1er et le 2nd tour, contre 1000 pour la candidate LFI, Martine Froger a sans nul doute été élue grâce à des reports de voix d’Anne-Sophie Tribout, candidate Renaissance, (11 %) et de Jean-Marc Garnier, candidat RN (25 %). Ce « front républicain anti-Nupes » serait donc une alliance du centre-gauche à l’extrême droite au Rassemblement national, dont le porte-parole, Julien Odoul, s’est félicité sur Twitter : « Une députée LFI en moins, c’est une victoire pour la République. »

Ariège : « Le but pour le RN était de donner une consigne de vote pour être un ‘parti comme les autres’ »

Pour Gilles Ivaldi, qualifier de « front républicain » ce report de voix dans une élection partielle, c’est courir le risque d’une « confusion » : « Ce qui s’est joué est un peu différent. Le RN de Marine Le Pen est tout entier tourné vers sa normalisation et son institutionnalisation. Le but était de donner des consignes de vote comme tout le monde, afin de donner l’impression d’être un ‘parti comme les autres’. » D’après le politiste, il faut avoir une « lecture stratégique » du soutien du RN à la candidate socialiste dissidente, dans la continuité de la « stratégie de la veste et de la cravate » mise en place à l’Assemblée : « Ils ne sont pas au 2nd tour, donc la meilleure stratégie est de jouer la carte de la normalité sur le thème ‘on est républicains, intégrés, et on donne des consignes de vote’. »

Pour Benjamin Morel, politologue et maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, il ne faut aussi pas trop tirer de conséquences de ces commentaires sur le « front républicain », largement conjoncturel et lié à l’implantation locale du Parti socialiste, qui a réussi à « imposer une candidature dissidente contre la direction nationale. » La clé de lecture de cette élection partielle est donc aussi à chercher dans la division du PS qui a permis aux différents électorats d’avoir un débouché commode : « Cette alliance de circonstance n’a été possible que parce que la candidate dissidente n’était pas macroniste et n’avait donc pas d’effet ‘radioactif ’pour l’électorat d’extrême droite. »

En appeler au « front républicain » ? « Une stratégie délétère » face au « front anti-Macron »

Les deux chercheurs s’accordent sur le fait que la véritable nouveauté de ces derniers mois pour le front républicain, c’est plutôt son effritement face à un front anti-Macron, dans un sens ou dans l’autre. « En juin dernier, le rejet de Macron a été tel que beaucoup d’électeurs se sont reportés vers l’abstention. Au fond deux fronts se sont affrontés. Le front républicain contre Marine Le Pen et les candidats du Rassemblement national a été affaibli par un front anti-Macron, qui a cristallisé beaucoup de mécontentement, voire de fureur », analyse Gilles Ivaldi. D’après ce spécialiste de la droite radicale, c’est « aussi le résultat de la polarisation du système politique français : « Le front républicain est initialement une entente entre des grands partis traditionnels de centre-droit et de centre-gauche. Ces partis, même s’ils sont concurrents, évoluent dans des espaces politiques extrêmement proches. Aujourd’hui, on a un système politique complètement éclaté entre une force centrale, et des forces beaucoup plus radicalement concurrentes à gauche et à droite. »

Dans ce contexte, la stratégie d’appeler au « front républicain » paraît « assez dangereuse » pour la majorité présidentielle, analyse Benjamin Morel : « Certes le système électoral à deux tours a longtemps avantagé les partis centristes, en partie en faisant jouer ce front républicain. Mais lorsque vous insultez des électeurs en disant qu’ils ne sont pas républicains – quoi qu’on en pense sur le fond – et que vous leur demandez ensuite votre soutien… Aux dernières législatives, on a vu que ces électorats ne se déplacent plus pour le parti centriste, il y a un effet de neutralisation. » D’après lui, les appels répétés, à la présidentielle, aux législatives, au « front républicain » peuvent même devenir « délétères », en créant de la « frustration » et des « porosités » entre les électorats des blocs opposés au bloc central. Gilles Ivaldi abonde : « Au 2nd tour de la présidentielle, il y a déjà eu des reports de voix plus importants de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon vers Marine Le Pen. D’après le Cevipof, c’était 17 % en 2022, contre à peine plus de 7 % en 2017.

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