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Avec les « Ellines », un parti d’extrême droite pourrait à nouveau faire son entrée au Parlement grec. Le néonazi condamné Ilias Kasidiaris tire les ficelles depuis la prison.

Elena Panagiotidis

Ilias Kasidiaris sur une photo prise en avril 2012, l’année où le parti d’extrême droite Aube dorée est entré pour la première fois au Parlement. Petros Giannakouris / AP

Le spectre du néonazisme est de retour en Grèce, si tant est qu’il ait jamais disparu. En 2012 et 2015, le pays a fait les gros titres de la presse internationale parce que le parti d’extrême droite Chryssi Avgi (Aube dorée) a réussi à entrer deux fois au Parlement grec. Il a parfois été la troisième force politique du pays. Les députés du parti se sont déchaînés contre les migrants et tous ceux qu’ils considéraient comme des ennemis de la Grèce. En 2013, le musicien hip-hop antifasciste Pavlos Fyssas, alias Killah P, a été assassiné par un membre du parti.

En 2020, la Grèce a de nouveau fait les gros titres, cette fois-ci de manière positive. Après un procès de plus de cinq ans, un tribunal a qualifié l’Aube dorée d’organisation criminelle. L’ensemble de la direction du parti et de nombreux membres ont été condamnés en première instance à des amendes et parfois à de longues peines de prison pour appartenance à une organisation criminelle et pour divers délits comme le meurtre de Fyssas. Ilias Kasidiaris, le porte-parole du parti et l’une de ses figures de proue, a été emprisonné pendant 13½ ans.

Le condamné participe même aux réunions du parti.

Mais la voix incendiaire de Kasidiaris ne s’est pas éteinte depuis. L’ancien soldat d’élite, dont le haut du bras est tatoué d’une croix gammée, a fondé peu avant sa condamnation le parti Ellines (Grecs pour la patrie), qui ne se distingue guère de l’Aube dorée sur le plan idéologique. Depuis sa cellule de la prison de Domokos, en Grèce centrale, il mène en grande partie sans entrave la construction et la campagne électorale du parti.

Le criminel condamné jouit apparemment d’un accès incontrôlé aux réseaux sociaux, il apparaît même dans des émissions de radio. Sa chaîne Youtube est suivie par 134 000 personnes, il y diffuse régulièrement ses idées imprégnées de haine et de violence et s’en prend au gouvernement du Premier ministre conservateur Mitsotakis. Il participe aux réunions du parti par téléphone.

Kasidiaris et les Ellines continuent d’exercer un pouvoir d’attraction sur la population : Lors des élections législatives fixées au 21 mai, ils peuvent compter, selon les sondages, sur jusqu’à cinq pour cent des voix.

Le gouvernement grec tente depuis quelques semaines d’empêcher l’entrée des Ellines au Parlement. En février, le Parlement a approuvé une loi interdisant la participation aux élections des partis dont les dirigeants ont été condamnés en première instance pour des activités criminelles. Selon la Constitution, une telle exclusion n’était jusqu’à présent possible que pour les politiciens condamnés en dernière instance. Cette mesure a également mis en lumière l’inertie souvent critiquée de la justice grecque. Ainsi, huit ans après le début de son procès, l’Aube dorée n’a toujours pas été jugée en dernière instance.

Début avril, les Ellines ont réussi un coup en sortant de leur chapeau le procureur général à la retraite Anastasios Kanellopoulos comme nouveau président du parti. Celui-ci avait travaillé jusqu’à sa retraite à la plus haute cour de justice grecque, l’Aréopage, et n’était même pas membre du parti jusqu’à présent. Le Premier ministre Mitsotakis a immédiatement parlé d’une « astuce » du parti pour pouvoir tout de même se présenter.

Mardi dernier, les députés de la ND au pouvoir et les députés sociaux-démocrates du Pasok ont approuvé une loi élargie qui doit permettre d’exclure le parti Ellines des élections. A l’avenir, dix juges de l’Aréopage décideront de l’autorisation des partis et des candidats, la décision concernant les Ellines devant être prise le 5 mai.

Crainte d’une « héroïsation de Kasidiaris ».

Les critiques contre la démarche du parti au pouvoir sont nombreuses. Le Parti communiste, interdit dans le pays pendant des années, a voté contre le projet de loi. Celui-ci pourrait devenir un précédent pour d’autres interdictions, craignent-ils. La Solution grecque, qui se situe à l’extrême droite de l’éventail des partis, a également voté contre. Le principal parti d’opposition, Syriza, s’est abstenu, plaidant pour une action qui ne viole pas la Constitution. Le parti libéral de gauche Mera 25, dirigé par l’ancien ministre des Finances Janis Varoufakis, n’a pas soutenu la proposition de loi, car il ne veut pas participer à « l’héroïsation d’Ilias Kasidiaris ».

En effet, les critiques craignent que l’action contre les Ellines ne fasse qu’accroître leur popularité. De plus, la Cour suprême pourrait encore renverser l’exclusion du parti. Si l’Aréopage confirmait l’interdiction, le parti irait jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Et Ilias Kasidiaris ? Une enquête est menée depuis mercredi à la prison de Domokos pour déterminer s’il a enfreint le règlement interne. Selon celles-ci, il ne peut avoir de contact qu’avec des membres proches de sa famille et ses avocats. Pendant ce temps, Kasidiaris continue à communiquer allègrement. Sur Twitter, il a qualifié la nouvelle loi de « monstre ». En même temps, elle réveillera des millions de citoyens grecs « qui aspirent consciemment à nos côtés ».

NZZ