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les nouveaux généraux, Russie, Vladimir Poutine, zone de guerre
En réponse à l’échec de l’offensive hivernale russe, le Kremlin a procédé à d’importants remaniements au sein de la généralité. Lors d’un voyage dans la zone de guerre, Poutine signale désormais qui bénéficie de ses faveurs.
Andreas Rüesch

A l’époque soviétique, les défilés sur la place Rouge étaient une source importante pour les kremlinologues : Celui qui se tenait sur la tribune à proximité du chef du parti communiste comptait parmi les cercles les plus intimes du pouvoir. Aujourd’hui, les vidéos des centres de commandement des forces armées russes fournissent des informations tout aussi passionnantes. Le régime de Poutine n’informe qu’au compte-gouttes sur les personnages militaires clés de la guerre contre l’Ukraine. Souvent, le public n’apprend que par hasard les remaniements au sein de la généralité.
Ce fut encore le cas ce mardi, lorsque le Kremlin a surpris tout le monde en annonçant un voyage de Poutine dans la zone de guerre et en l’illustrant par une vidéo montée de manière manipulatrice. Ce n’est pas tant le voyage en lui-même qui était remarquable – le président s’était déjà rendu une première fois dans les territoires occupés en mars – que le groupe d’officiers qui l’accompagnait.
Le général Valeri Gerasimov, formellement le commandant en chef des opérations en Ukraine, était singulièrement absent. Un porte-parole a justifié cette absence par le « risque évidemment très important » qu’aurait pris la Russie si le président et le chef d’état-major s’étaient rendus en même temps au même endroit. Cela n’est qu’à moitié convaincant, car Poutine seul constituerait également une cible attrayante pour les Ukrainiens. De plus, le président ne s’est jamais trouvé à portée de l’artillerie ukrainienne.
Deux surprenants promus
Il serait néanmoins prématuré de conclure que Gerasimov est tombé en disgrâce. Mais Poutine a sans doute voulu mettre en avant certains généraux dont la carrière a connu quelques turbulences en raison des intrigues de Moscou. En premier lieu, le colonel-général Mikhaïl Teplinski qui, dans la vidéo du Kremlin, prend place à la droite de Poutine dans un centre de commandement au sud de la province de Kherson.
Teplinski avait été promu l’été dernier à la tête des troupes aéroportées russes. A l’époque, ces anciennes troupes d’élite se trouvaient dans une crise profonde après l’échec de l’assaut sur Kiev, qui a entraîné d’énormes pertes. Teplinski jouit d’une grande vénération chez les parachutistes, mais aussi chez les ultranationalistes de la ligne dure. Mais en janvier, il a été soudainement évincé, en même temps que la nomination de Gerasimov au poste de commandant en chef.
Cet homme maigre de 54 ans est désormais de retour, et ce, selon les données officielles, avec le grade de vice-commandant des troupes ukrainiennes, donc plus élevé qu’avant sa « mise en congé » temporaire. Selon des correspondants militaires russes bien informés, la « réhabilitation » a eu lieu dès la fin mars.
La remontée de Teplinski est d’autant plus remarquable que l’on soupçonne une alliance de circonstance entre ce général et le chef du groupe de combat paramilitaire Wagner, Evgueni Prigoschin. Par le passé, Prigoschin ne tarissait pas d’éloges à son égard, alors qu’il n’avait que des invectives à l’égard de Gerasimov. Depuis quelques semaines, on remarque que des troupes aéroportées sont intervenues dans la bataille de Bakhmout. Leur intervention sur les flancs nord et sud de la ville assiégée permet de soulager les troupes d’assaut de Wagner, qui semblaient parfois au bord de l’effondrement et qui avancent à nouveau.
Il serait toutefois erroné de considérer Prigoschin, qui se présente avec assurance, comme le vainqueur d’une lutte de pouvoir interne. C’est ce qui ressort de la deuxième partie de la vidéo du voyage de Poutine dans les territoires occupés. Lors d’une visite dans un centre de commandement de la province de Louhansk, le président a en effet été reçu par un ennemi intime de Prigoschin, le colonel-général Alexander Lapin. La carrière de ce dernier a également pris des tournures étonnantes dans la récente tourmente moscovite. L’été dernier encore, il était en quelque sorte considéré comme le général préféré de Poutine, mais à l’automne, des échecs militaires et une campagne de dénigrement lancée par Prigoschin lui ont coûté son commandement.
Alexandre Lapin.
Lapin a d’abord disparu dans la nature, a obtenu en janvier un poste d’état-major peu important en guise de lot de consolation et a maintenant été présenté de manière totalement inattendue comme un autre adjoint aux côtés de Teplinski dans le commandement des troupes russes. Les « réalisateurs » de la vidéo officielle du Kremlin semblent avoir carrément cherché, par le montage des images, à mettre en scène le fringant Lapin comme figure centrale sur le front du Donbass. Manifestement, Poutine continue à le tenir en haute estime. En promouvant simultanément des figures aussi différentes que Lapin et Teplinski, le chef du Kremlin démontre en même temps son vieux talent pour équilibrer les différents courants au sein de l’appareil de sécurité.
Déposé après une défaite désastreuse
Il est également frappant de constater que, pour la première fois depuis le début de la guerre, les chefs des quatre districts militaires « Ouest » (Evgueni Nikiforov), « Sud » (Sergueï Kouzovlev), « Centre » (Andreï Mordvitchov) et « Est » (Andreï Kouzmenko) ont été mis en scène simultanément. Ces commandants dirigent les troupes depuis les régions du pays qui leur sont attribuées et remplissent ainsi une fonction clé dans la guerre. Toutefois, aucun de ces généraux n’est officiellement en poste depuis plus d’un trimestre – une expression des nombreux rodomontades auxquelles Poutine a procédé en réponse aux échecs de sa campagne. Dans la vidéo du Kremlin, les quatre commandants apparaissent lors des entretiens avec Poutine, mais clairement dans l’ombre des promus Lapin et Teplinski.
Comme autrefois à l’époque soviétique sur la tribune du mur du Kremlin, ce ne sont toutefois pas seulement les présents qui sont importants, mais aussi les absents : Lors des conseils de guerre de Poutine, il manquait notamment le colonel-général Rustam Muradow, qui est toujours considéré comme le commandant du district militaire de l’Est sur le site Internet du ministère russe de la Défense. En réalité, Mouradov est tombé en disgrâce. Fin mars déjà, des rumeurs avaient fait état de son remplacement par Kusmenko, qui s’est effectivement assis à la table de Poutine. Son prédécesseur Mouradov est considéré comme responsable de la défaite catastrophique des Russes dans la bataille pour la petite ville ukrainienne du sud-est Vuhledar en février et aurait été « mis en congé ».



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