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Christian Rioux
« Macron, démission ! » Ces deux mots ont retenti jeudi à Ganges alors que le président français visitait le collège Louise-Michel, où il a annoncé une hausse du salaire des enseignants de 100 à 230 euros (150 à 345 dollars) par mois. La veille, on les a aussi entendus à Muttersholtz, en Alsace, à l’entrée de l’usine Mathis, où le chef de l’État était venu s’entretenir avec des ouvriers. Le 12 avril, les protestataires s’étaient même rendus à La Haye, où Macron était en visite officielle. Après trois mois de chaos et même si la loi sur les retraites a été adoptée, validée et promulguée, rien ne semble réglé. Pas une sortie du président sans son cortège de casseroles.
Il faudra s’y habituer, dit-on dans les coulisses de l’Élysée: selon les sondages, 63 % des Français souhaitent que la mobilisation sociale se poursuive. Car, à deux jours du premier anniversaire de sa réélection, le président n’entend pas demeurer enfermé. C’est ce qu’on appelle dans les officines politiques « réinvestir le terrain ». Un type d’opération dont est passé maître Emmanuel Macron, qui ne manque jamais de répartie. Ces déplacements à haut risque n’ont pas manqué non plus à ses prédécesseurs. De Chirac à Sarkozy, de Jospin à Hollande, tous ont eu à affronter ce type de retour sur le terrain après une réforme difficile à faire avaler.
Avec seulement 28 % d’opinions favorables, Emmanuel Macron atteint des niveaux d’impopularité qu’ont déjà connus Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Mais on constate qu’il chute dans toutes les catégories sociales, y compris dans le noyau dur de son électorat largement constitué de cadres et de professionnels. Seul François Hollande avait fait pire. Mais, la particularité d’Emmanuel Macron est de taille : il est exceptionnel que cela se produise en tout début de mandat. Or, Emmanuel Macron n’a été réélu que depuis un an.
Cent jours pour rebondir
Dans ce contexte, comment relancer un quinquennat qui ne fait que commencer ? C’est la question angoissante que se posent tous les stratèges depuis deux semaines. Après avoir songé à changer de premier ministre et à remanier son Conseil des ministres, le président s’est donné cent jours pour tenter de renouer le contact avec les Français et calmer la colère. Une colère largement déclenchée par la façon dont le président est passé en force, sans faire voter directement le texte de la réforme, et en utilisant toutes les procédures d’exception qu’offre la Constitution.
Il faut dire que, dans le contexte actuel, l’effet d’un changement de premier ministre aurait été négligeable. « Pour que quelqu’un serve de fusible, encore faut-il qu’il ait été exposé », écrit la directrice adjointe de la rédaction de L’Express, Laureline Dupont. Or, Élisabeth Borne a surtout servi d’exécutante. Le 22 mars dernier, le président lui avait confié la mission d’élargir la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. L’équation étant insoluble, sa démission aurait même été jugée injuste.
Mais ce n’est que partie remise. Pour la plupart des observateurs, il serait surprenant que la première ministre survive à ces cent jours, dont le président lui a froidement demandé de « fixer la feuille de route ». Voilà donc Emmanuel Macron réduit à prendre son bâton de pèlerin pour sillonner la France. C’est ce qu’il avait fait au début de 2019 en lançant un « grand débat national » à la suite de la crise des Gilets jaunes. Une opération qui n’a donné que des mesures disparates (écologie, exemptions fiscales, disparition de l’ENA) dont on se demande encore quels liens elles pouvaient avoir avec une révolte populaire déclenchée par l’augmentation des taxes sur l’essence.
Série noire
Cette fois, « le sac à malices de Macron ne lui sera plus d’aucun secours », lance Franz-Olivier Gisbert dans Le Point. D’autant que le président peut difficilement se permettre de dépenser à nouveau 17 milliards d’euros comme il l’avait fait pour calmer la révolte des Gilets jaunes. La situation catastrophique des finances publiques relativise d’autant les appels du président à lancer une grande négociation sur le travail. Appels boudés pour l’instant par tous les dirigeants syndicaux, à commencer par le plus respecté d’entre eux, le patron de la CFDT, Laurent Berger, qui, grâce à sa fermeté et à sa modération, est le seul à sortir de ce conflit avec les honneurs.
La défiance semble là pour durer. C’est le constat que l’on fait aussi bien à droite qu’à gauche. « Comment croire que la seule élection permet de gouverner durablement et sereinement contre deux tiers de la population ? » demande dans Le Figaro Vincent Trémolet de Villers. À gauche, dans une de ses très rares sorties, l’ancien ministre socialiste Dominique Strauss-Kahn accuse Emmanuel Macron d’avoir « malmené le peuple français » et « rendu difficile toute législation d’envergure jusqu’à la fin du quinquennat ».
Selon Ludovic Vigogne, « à peine commencé, c’est comme si ce mandat était déjà terminé ». Le confrère de L’Opinion publie ces jours-ci un livre qui éclaire d’une lumière crue le début de ce second quinquennat (Les sans jours. Macron : les secrets d’un passage à vide, Bouquins). Il y raconte comment cet échec à convaincre les Français de la réforme des retraites n’est que le dernier en date d’un mandat qui a débuté par une série de cafouillages. De la non-campagne des élections législatives à l’incapacité d’Emmanuel Macron d’intégrer dans une seule structure les partis de la majorité (Renaissance, le MoDem et Horizons), en passant par le rejet de son candidat (Roland Lescure) à la présidence de l’Assemblée nationale, le président est allé d’échec en échec depuis un an. Une série noire couronnée par son impuissance à imposer à son propre parti celle qu’il avait choisie comme première ministre : la présidente de Reims métropole Catherine Vautrin. Une rebuffade qui obligea Emmanuel Macron à troquer à 48 heures d’avis cette sarkozyste de terrain pour une techno de gauche.
La peur du « régalien »
« À peine élu, le temps de sa toute-puissance est déjà révolu », conclu Vigogne. À quatre ans des prochaines présidentielles, où il ne pourra se représenter, voilà le président réduit à devoir gagner du temps. Les sujets qui font consensus en France ne manquent pourtant pas. Les sondages indiquent depuis longtemps qu’une majorité écrasante de Français est favorable à une action énergique sur l’immigration et la sécurité. C’est bien ce qu’a compris le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, qui semble déjà en campagne pour la succession en 2027. Mais le président fuit comme la peste tous ces sujets régaliens, nous avait confié l’an dernier Corinne Lhaïk, coautrice de La nuit tombe deux fois (Fayard). Arrivé au pouvoir avec la conviction qu’il n’y a pas de problème politique qui n’ait de solution économique, Emmanuel Macron semble plus que jamais à la croisée des chemins : soit il ouvre une nouvelle séquence, soit il se résout, à quatre ans de la prochaine présidentielle, à une forme de « chiraquisation », synonyme en France d’immobilisme politique.
À peine élu, le temps de sa toute-puissance est déjà révolu.
— Ludovic Vigogne
En attendant, les plus cyniques n’auront pas manqué de rappeler au président que l’image des « cent jours » n’évoque pas que le début d’un nouveau mandat, mais surtout ces trois mois qui s’écoulèrent entre la fuite de Napoléon de l’île d’Elbe et… sa défaite à Waterloo.