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Le chef du renseignement intérieur français lève le voile sur les opérations des services de renseignement russes en France.

Nicolas Lerner, chef du service national de renseignement français, la DGSI | Ludovic Marin/AFP via Getty Images

Par Clea Caulcutt et Paul de Villepin


Les hommes politiques français continuent d’être une cible privilégiée des efforts d’espionnage russes malgré la répression des opérations de Moscou en France, selon des documents nouvellement publiés.

Les services de renseignement français ont détecté des espions russes tentant d’entrer en contact avec des législateurs français au cours des derniers mois et ont mené des opérations pour sensibiliser les députés aux risques d’ingérence étrangère, selon des transcriptions d’auditions parlementaires publiées jeudi.

Lors d’une audition en février, le chef de la DGSI a averti les députés que la Russie était la puissance étrangère la plus active, avec « plusieurs dizaines d’agents des trois agences de renseignement russes » utilisant des couvertures diplomatiques pour infiltrer le système politique français, révèlent les documents. La Chine, également au centre des préoccupations de la DGSI, était moins susceptible d’utiliser des agents sous couverture diplomatique, selon les auditions qui ont été expurgées avant publication.

Depuis décembre, une commission parlementaire enquête sur l’ingérence étrangère en France, en interrogeant à huis clos les principaux responsables des services de renseignement. La création de cette commission a été initiée l’année dernière par le parti d’extrême droite, le Rassemblement national, à la suite d’accusations d’ingérence étrangère à l’encontre de l’extrême droite.
Les dizaines de pages d’interviews donnent un aperçu du monde obscur des opérations d’espionnage russes en France, qui incluent des détails sur un agent se faisant passer pour un étudiant afin d’obtenir des cours de soutien en mathématiques avec un ingénieur français et un autre utilisant un passeport brésilien pour infiltrer la Cour pénale internationale à La Haye.

« Nous sommes en contact régulier avec les députés, à leur demande ou à notre initiative, pour les sensibiliser et, si nécessaire, leur dire avec qui ils sont en contact », a déclaré Nicolas Lerner, le chef de la DGSI, sans donner de détails sur la manière dont les prises de contact suspectes sont signalées aux services de renseignement français.

« Nous l’avons fait à plusieurs reprises ces derniers mois après avoir détecté des contacts avec des agents des services de renseignement russes sous couverture diplomatique », a-t-il déclaré, malgré une « baisse significative » du nombre d’espions russes opérant depuis le début de la guerre en Ukraine. Selon M. Lerner, les opérations de Moscou en France ont été réduites dans le cadre de « l’opération de contre-espionnage la plus importante depuis des décennies », qui a conduit à l’expulsion de 35 diplomates russes, de six espions infiltrés et à la fermeture de la représentation russe au Conseil de l’Europe à Strasbourg.

Si M. Lerner n’a pas révélé l’ampleur ou la nature du ciblage des députés par la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine, il a donné un aperçu des opérations de contre-espionnage menées par la France dans le monde politique au cours des dernières années.

M. Lerner a déclaré que depuis le début de son mandat en 2018, il a rencontré des députés, des ministres et d’anciens ministres pour leur rappeler « les risques d’attacher leur nom à une certaine société ou à un conseil d’administration. » En 2022, la DGSI a réalisé 6 500 entretiens avec des personnalités appartenant aux milieux économiques, universitaires, de la recherche et politiques.

Selon M. Lerner, les opérations de surveillance de la DGSI ont « très occasionnellement » conduit à des suspicions ou des confirmations de « relations d’un autre type » entre un élu et une puissance étrangère. Dans un cas, la DGSI a transmis aux autorités compétentes un cas de suspicion de délit de « financement ».

« D’après mes informations, il y a des démarches individuelles, et certaines personnes qui ont noué des relations que la loi française ne permet pas – plusieurs exemples me viennent à l’esprit », a-t-il déclaré.

L’ingérence étrangère dans le monde de la politique est devenue un sujet brûlant en France dans le sillage de la guerre en Ukraine, car plusieurs hommes politiques ont fait l’objet d’un examen minutieux pour des liens présumés avec la Russie. Lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, le président français Emmanuel Macron a accusé la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen de « dépendre de la puissance russe » après que son parti a contracté un prêt auprès d’une banque russe.

Interrogé par un député du Rassemblement national, le parti de Mme Le Pen, sur la question de savoir si des partis ou des hommes politiques français étaient sous influence étrangère, le chef de la DGSI a déclaré qu’il n’avait pas connaissance d’un parti politique faisant « l’objet d’une ingérence organisée et systématique ».

« Il n’y a pas d’emprise sur [les partis politiques], ce sont plutôt des actions individuelles de séduction ou de croyance personnelle […] que nous détectons et qui nous obligent à sensibiliser l’opinion publique », a-t-il déclaré à la commission.

Politico